Enfants nés à l’étranger d’une GPA
Dès lors que la filiation d’un enfant avec un
Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient
les circonstances de sa naissance, y compris en cas de Gestation pour autrui.
Le 13 mai 2015, le
tribunal de grande instance de Nantes a ordonné au procureur de la République
de cette ville la transcription sur les registres d’état-civil des actes de
naissance de trois enfants nés en Ukraine, en Inde et aux États-Unis d’un père
français et d’une mère porteuse. Observons d’emblée que ce recours à la
gestation pour autrui (GPA) était en l’espèce le choix de couples
hétérosexuels, couples dont la femme n’était pas en mesure, pour des raisons
médicales, de porter un enfant. Ces décisions montrent donc, une nouvelle fois,
que le débat sur la GPA est totalement indépendant de celui sur les droits des
couples homosexuels.
La jurisprudence Mennesson
À dire vrai, le
jugement n’a rien de surprenant. Dans deux importantes décisions Mennesson
c. France et Labassee
c. France rendues le 26 juin 2014, la Cour européenne avait déjà affirmé
que l’intérêt supérieur des enfants nés aux États-Unis d’une gestation pour
autrui (GPA) était d’avoir un état civil français, élément de leur identité au
sein de la société de notre pays. Le tribunal de Nantes applique donc purement
et simplement la jurisprudence de la Cour européenne.
De son côté, le
Conseil d’État a adopté une position très proche dans un arrêt
du 12 décembre 2014, dirigé contre la circulaire
Taubira du 25 janvier 2013 qui porte sur la délivrance de certificats de
nationalité française aux enfants nés à l’étranger de parents français, y
compris « lorsqu’il apparaît, avec
suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant
sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».
L’article
18 du code civil énonce qu' »est
français l’enfant dont l’un des parents au moins est français« .
Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité
française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance,
circonstances dont il n’est en aucun cas responsable. Dans ce cas, le Conseil
d’État s’appuie sur le droit au respect de la vie privée de l’enfant, le droit
d’avoir la nationalité de ses parents et de pouvoir l’attester étant
précisément un élément de cette vie privée.
Certes, la
jurisprudence du Conseil d’État concerne la nationalité, mais le raisonnement
peut parfaitement s’appliquer à l’état-civil. Le fait, pour un enfant, d’avoir
un état-civil américain, ukrainien ou indien alors qu’il réside en France avec
ses parents ne porte-t-il pas atteinte de la même manière à sa vie privée ?
La construction
jurisprudentielle semble donc solide, et on peut s’étonner que le procureur de
Nantes ait cru bon d’annoncer un appel contre la décision du TGI. S’agit-il
d’une démarche purement idéologique manifestant une opposition personnelle à la
GPA ? Ce n’est pas impossible, à moins qu’il espère le maintien par la Cour de
cassation de sa jurisprudence antérieure à l’arrêt Mennesson de la Cour
européenne.
La position traditionnelle de la Cour de cassation
Saisie le 17 décembre
2008 de l’affaire Mennesson, la Cour de cassation avait développé un
raisonnement aussi simple qu’implacable : dès lors que la naissance est
l’aboutissement d’un processus frauduleux comportant une convention de GPA,
tous les actes qui en résultent sont entachés d’une nullité d’ordre public. Par
la suite, cette position bien peu soucieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant
avait été confirmée dans deux décisions du 13 septembre 2013, dans lesquelles
la première Chambre civile avait refusé la transcription sur les
registres de l’état civil français de l’acte de naissance d’enfants nés d’une
GPA à Mumbay (Inde).
Cette sévérité
résultait d’une application rigoureuse de l’adage « Fraus omnia corrumpit« , depuis longtemps
intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de
prononcer la nullité de tous les actes issus d’une fraude. Le problème est tout
de même que la fraude, qu’elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté
de nuire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les parties à un contrat de
gestation pour autrui n’ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit,
seulement celui de mettre un enfant au monde.
Depuis la décision
Mennesson, celle rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en 2014,
la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur l’état-civil
d’un enfant né d’une GPA à l’étranger. Le procureur de Nantes pouvait donc
espérer que la juridiction suprême française maintiendrait sa position, envers
et contre tous.
Vers une évolution jurisprudentielle ?
Rien n’est moins sûr,
du moins si l’on en croit les informations diffusées dans la presse, à propos
de deux pourvois que la Cour de cassation devrait prochainement examiner. Ils
sont dirigés contre deux décisions rendues par la Cour d’appel de Rennes à propos
de l’état-civil d’enfants nés par GPA en Russie. Le 19 mai, le procureur près
la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, a fait savoir qu’il demanderait
l’inscription de ces enfants à l’état-civil français. Reprenant l’argument du
Conseil d’État, il affirme que « le droit
au respect de la vie privée de l’enfant justifie que son état civil mentionne
le lien de filiation biologique à l’égard de son père à condition que ce lien
soit incontestablement établi ». En d’autres termes, il suffira
d’une expertise biologique prouvant la filiation paternelle avec un Français
pour que l’inscription soit acquise.
Si les réquisitions du
procureur sont suivies, la Cour de cassation fera un grand pas en avant dans le
sens de la jurisprudence européenne. Il demeure tout de même deux
interrogations.
La première réside
dans cette répugnance un peu surprenante, que la Cour de cassation partage avec
le Conseil d’État, à l’égard de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Or,
cette notion figure dans la Convention
de 1989 relative aux droits de l’enfant, pourtant signée et ratifiée par la
France. Son article 3 énonce que dans « toutes
les décisions qui concernent les enfants (…) l’intérêt supérieur de l’enfant
doit être une considération primordiale ». De toute évidence, les
juges suprêmes internes préfèrent se référer à une notion tirée du droit
interne, en l’espèce celle de vie privée.
La seconde
interrogation porte sur la situation des couples qui ont besoin non seulement
d’une mère porteuse mais aussi d’une fécondation hétérologue. Autrement dit,
ils ne peuvent procréer qu’avec des gamètes données par un tiers, soit par
insémination avec donneur (IAD), soit par fécondation in vitro. Ces pratiques
sont parfaitement licites en droit français. Or, l’exigence d’un lien de
filiation biologique risque de conduire à interdire la reconnaissance de
l’état-civil de l’enfant, s’il est né à la suite d’un tel don. L’objet d’une
telle exigence n’est évidemment pas d’exclure les couples homosexuels, car rien
ne les empêche de procéder à l’insémination de la mère porteuse avec les
gamètes de l’un des conjoints. Cette exigence conduit cependant à empêcher la
reconnaissance de l’état-civil français d’un enfant né par GPA à l’étranger
d’un père stérile. Doit-on établir une discrimination uniquement fondée sur
cette stérilité, alors que l’intervention d’un donneur est parfaitement licite
? C’est la question actuellement posée. Ceci dit, elle ne résout pas le
problème du procureur de Nantes dont la position se trouve singulièrement
affaiblie par l’annonce du procureur près la Cour de cassation.
D’une manière
générale, ces hésitations jurisprudentielles, voire ces combats
d’arrière-garde, ne modifient guère un mouvement global qui tend à reconnaître
aux enfants nés à l’étranger par GPA les mêmes droits que les autres enfants
nés de parents français. C’est, en soi, une évolution favorable. L’intérêt
supérieur de l’enfant ne constitue peut-être pas le fondement de la
jurisprudence mais il en est la conséquence.
Source contrepoints.org
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