Les burkinis de la discorde
Comme le faisait fort justement
remarquer Archimède, tout corps plongé dans un liquide en ressort mouillé. Ce
qui est vrai pour un physicien grec l’est tout autant pour des maillots de
bains, y compris pour les plus larges d’entre eux, les burkinis. Il n’en
fallait pas beaucoup plus pour déclencher une belle polémique humide à la
française.
Tout
indiquait que ce qui n’aurait pas même fait l’objet d’une ligne dans un pays
dignement policé allait en France immédiatement enfler hors de
proportion : jugeant probablement indispensable de ramener à la mode
l’accoutrement de bain amusant du début du vingtième siècle quitte à en
augmenter encore la superficie, des femmes ont récemment introduit le burkini,
vêtement « de bain » aux formes amples, couvrant à peu près tout leur
corps.
Afin de
pimenter l’affaire, l’ensemble de la démarche a été posée dans un cadre
religieux, alpha et oméga pratique pour déclencher l’urticaire d’un pays confit
de son anticléricalisme forcené : pour ces femmes, il semble indispensable
de se couvrir ainsi en allant barboter à la mer afin, non pas d’attirer sur soi
les regards des moqueurs, mais de respecter leur conception de leur foi.
Prétexte amusant qui, au passage, pousse à s’interroger sur l’avis de Mahomet,
Abraham ou Jésus sur des pratiques sociales ou des technologies parfaitement
anachroniques avec eux, et qui, surtout, permet à l’observateur extérieur de
voir les bienpensants s’emberlificoter gravement avec leurs dogmes
intellectuels.
Alors qu’un Edwy Plenel,
journaliste tendrement pétri de valeurs socialistes, semble tout joyeux de
rappeler que la liberté, la vraie, suppose de pouvoir s’habiller comme on le
souhaite, Laurence Rossignol, député elle
aussi tendrement pétrie de valeurs socialistes, juge « profondément archaïque » un tel accoutrement et entend le combattre, le tout sans
ces arrière-pensées qui seraient à la fois nauséabondes et de droite.
Personne
ne s’étonnera de la « cohérence » vibrante d’humanisme étalé à gros
rouleaux baveux de nos deux phares de la pensée moderne. Pourtant, Plenel sera
le premier à fustiger violemment ceux qui viendraient à utiliser leur liberté
d’expression pour se moquer des femmes en burkini (la liberté n’est belle que
dans le cadre défini par Edwy, n’est-ce pas). Quant à Rossignol, elle n’aura
aucun mal à chanter les louanges des vêtements (ou disons, leur absence) de
certains individus lors de Gay Pride endiablées, le projet de société qu’ils
représentent alors étant sans aucun doute plus souhaitable à ses yeux que tout
autre projet, pas estampillé Camp du Bien. Mais peu importe.
Au-delà de ces « intellectuels » bavards, la
France se retrouve scindée en deux par le truchement de médias à court de
nouvelles intéressantes. Bondissant d’un arrêté municipal interdisant
les burkinis à ces rixes tragiques dans une crique corse, la presse a transformé en affaire
nationale ce qui ressemble pourtant à un concours du plus ridicule. Le pompon
serait probablement l’intervention du Président François, la mine grave et le
verbe hésitant, pour calmer les esprits sur cette question ô combien
essentielle à la survie de la Nation.
Car
c’est bien de survie qu’on va nous faire croire qu’il s’agit : la
République est en danger, mes petits amis ! Les burkinis sont à nos portes
et seule une main ferme et des lois taillées au cordeau pourront bouter le
danger hors de nos frontières, par ailleurs passoires scandaleusement ouvertes
par des traités européens scélérats, et gnagnagna souveraineté nationale, et
gnagnagna envoyez le Charles De Gaulle en opex et bombardez la Syrie !
Pourtant,
ce n’est pas la première révolution vestimentaire que le pays aura dû subir. Ce
n’est pas le premier faux-pas en habillage que le peuple français aura commis,
et auquel il aura pourtant brillamment survécu. D’autant qu’en fait de peuple,
seule une frange est concernée.
On
m’objectera, à raison, que la taille de cette frange semble augmenter et que ce
serait là le principal problème. Si l’observation est probablement exacte, le
problème n’est pas là. De même qu’il n’est pas dans l’augmentation du nombre de
femmes en burquas se baladant dans nos rues. Le problème est, malheureusement,
bien plus profond puisqu’il se situe dans l’absence de possibilité de réponse sociale à cette dérive.
En
effet, sur les quarante dernières années, tout a été construit pour que soit
impossible la seule réponse possible du corps social à ce qu’il trouve incongru
(peu importe ici que ce soit à tort ou à raison) : en quatre décennies, on
a progressivement rendu tabou voire éventuellement illégal de se moquer de
certaines pratiques, de certaines pensées, de certaines religions. À force de
subventions et d’orientations politiques délétères, on a donné un pouvoir
quasi-illimité à des fourmillements d’associations lucratives sans autre but
que celui de policer la pensée des gens.
Il est devenu de facto impossible de
ridiculiser ce qu’on trouve ridicule : des ligues de vertu, du CRAN à la
LICRA en passant par tant d’autres acronymes grotesques, se sont érigées en
pourfendeurs d’oppressions fantasmées et sont toujours sur la brèche pour
lutter contre les mauvaises paroles ou les mauvaises pensées (pour les coups et
blessures effectives, elles se font plus timides, et deviennent
totalement inexistantes lorsque la victime n’est ni
de la bonne religion, ni de la bonne couleur).
Les
individus, finalement assez rationnels lorsqu’il s’agit de leurs propres
intérêts, ont vite compris qu’à ce petit jeu, se moquer ouvertement de ce
qu’ils trouvaient ridicule pouvait leur coûter cher. La pression sociale, celle
qui fit (heureusement) disparaître les habitudes vestimentaires les plus
abominables (depuis les coiffures à queue de rat jusqu’aux chemises
pelle-à-tarte en passant par les sous-pulls en tergal) et, plus important
encore, cette pression sociale qui permit à la société d’évoluer en relâchant
justement les contraintes qui existaient sur les habitudes et les ségrégations
de tous ordres, cette pression sociale n’est plus possible puisqu’elle est
maintenant juridiquement encadrée.
C’est
par exemple cette pression sociale qui faisait que, jadis, un petit con surpris
à faire des bêtises se prenait les rodomontades de la maréchaussée suivie d’une
déculottée de ses parents. Le petit con grandissait et devenait moins con. À
présent, la pression sociale ne joue plus, les parents, confits de l’idéologie
collectiviste, ayant abdiqué leurs prérogatives aux forces de l’ordre (on paye
l’État pour ça, après tout) qui n’ont plus le temps de les utiliser. Les petits
cons deviennent grands mais restent cons.
Maintenant,
si on a encore le droit de faire des blagues sur les blondes (pour combien de
temps encore ?), il est en pratique très risqué d’en faire sur d’autres
catégories de personnes. Or, s’il est impossible de se moquer, de ridiculiser
ou de simplement exprimer son opinion, la norme sociale n’est plus définie et
la frustration s’installe. Elle se traduit mécaniquement par une montée des
tensions entre les individus qui font alors tout pour marquer leurs
différences. Et là où la pression sociale aurait utilisé la moquerie pour
juguler les envies des uns et des autres de trop se différencier, la perte de
liberté d’expression entraîne une montée des comportements radicaux, destinés à
marquer la capacité des uns et des autres à bien se rebeller contre le pouvoir
en place.
Mieux
encore : les burkinis n’auraient pas été un
problème si la République avait pu garantir à ses citoyens le pouvoir de s’en
moquer sans craindre ni les ires des associations mouche-du-coche, ni, plus
incroyable encore, celles des coreligionnaires armés de harpons qu’un état
d’urgence devrait pourtant rendre fort improbable. S’il y a un problème
avec ces vêtements, ce n’est pas dans leur existence ou dans la volonté
farouche et ridicule de certaines de s’en accoutrer, mais dans le fait qu’on ne
puisse plus librement critiquer ces choix (ou tout autre, du reste) sans
risquer l’incident juridique ou la rixe punitive : une société saine peut
fort bien prôner la tolérance sans
s’imposer l’approbation.
En
France, on en est maintenant très loin, et à chaque consternante poussée
d’hystérie médiatique sur ce genre de sujet, on s’en éloigne encore en
polarisant les foules en deux groupes diamétralement opposés, irréconciliables
: celui de l’approbation niaiseuse et universelle au prétexte de valeurs
républicaines indéfinies, et celui de l’interdiction impraticable sous les
mêmes prétextes grandioses.
De
burquas en burkinis, de débats médiatiques idiots en prises de position
politique consternante, que croyez-vous donc qu’il va bien pouvoir se
passer ?
Source contrepoints.org
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