Manif parisienne du 1er mai
Que s'est-il passé à la manif
parisienne du 1er mai: le témoignage d'un universitaire
Boulevard Diderot
à Paris
Depuis
Nicolas Sarkozy la méthode est bien connue, on nasse deux cents personnes dans
une souricière, on les fait patienter pour créer un effet de claustration, à la
première crise de panique, on gaze copieusement la foule. Tout le monde est
alors chargé dans un bus après avoir été tout aussi copieusement rossé. Les
leaders d’opinion (comme notre collègue sociologue Nicolas Jounin de Paris VIII
jeudi) sont exfiltrés, mis en garde à vue dans des conditions considérées comme
dégradantes par toutes les organisations des droits de l’homme de la planète.On
cherche ensuite un chef d’inculpation afin de terroriser "ceux qui nous
font peur".
Que
s’est-il passé hier à Paris ? Il faut savoir que ce 1er mai le défilé
était très soudé (FO et CGT ensemble avec les comités de mobs de la CNE :
Coordination Nationale Étudiante, enseignants-chercheurs, précaires). Aux
étudiants qui sont à l’avant-garde de la lutte contre la loi travail depuis
plus de sept semaines revenait donc la première place du cortège.
C’est là
que la préfecture de police a décidé de mettre en œuvre une stratégie
innovante. Et pourquoi ne pas appliquer la méthode de la nasse sarkozienne à un
défilé de 80 000 personnes ? Il suffit d’enfermer la tête de
manifestation : puisque ces jeunes sont évidemment des voyous, des
casseurs, cette fameuse « minorité violente et marginale » dont parle
Cazeneuve et que ressassent en boucle la musique des médias. Et c’est là qu’on
voit bien que la méthode Coué et l’intox gouvernementale doublent
l’autosatisfaction d’une solide dose d’auto-intoxication .Se mentir à soi-même
est finalement bien pire que de mentir aux autres parce qu’on y perd le sens de
la réalité. Je rappelle que ce ne sont pas 2500 étudiants parisiens mais un
pays tout entier qui rejette le projet de loi "travaille !".
Contre
toute raison, ils ont donc enfermé (bouclier contre bouclier) la tête d’une
manifestation pacifique (environ 2500 personnes, les comités de mobilisation
des facs d’ile de France) pour la séparer des organisations syndicales et
briser l’unité du défilé-un peu avant Nation. Ils ont ainsi pu gazer
tranquillement 2500 personnes une heure durant, à leur guise. La foule scandait
« gazez-nous, frappez-nous, nous irons jusqu’au bout ! ».
Quelques uns (pacifiques par ailleurs) avaient prévu la manœuvre et étaient
équipés en conséquence, mais ce n’était qu’une toute petite minorité, les
autres se passaient les tubes de sérum physiologique, et on a même soigné un
chien qui a dû souffrir cette barbarie !
Le
problème c’est que cette géniale tactique préfectorale a fait bouchon. Le reste
du cortège (77 500 personnes) devenait lui-même prisonnier de la nasse
organisée en tête de manifestation par les cerveaux de la préfecture. Au bout
d’une heure d’attente et de stagnation, l’ambiance est peu à peu devenue
électrique : pourquoi un barrage de quelques centaines de CRS s’amusait
donc à faire patienter une heure durant 80 000 personnes ? Combien de
temps devions-nous attendre le bon vouloir de la préfecture de police ?
Ils attendaient évidemment une violence qui ne venait pas (les instructions de
la CNE de la veille ont été fermement appliquées), ce qui les a déçu.
Mais au
bout d’une heure la situation est devenue tellement intenable et dangereuse
pour les fonctionnaires de police (en sous-effectif) qu’ils se sont mis à
discuter entre entre eux fébrilement. Au début les manifestants
scandaient : « Libérez le cortège » mais après une heure
d’attente, il apparut que les gardes mobiles étaient eux-mêmes en danger,
enfermés dans un piège qu’on leur avait ordonné de tendre. La peur avait changé
de camp, elle était palpable sous les casques, la nasse se refermait sur ceux
qui l’avaient organisé. Ils ont dû maudire les supérieurs dûment primés pour ce
plan génial, car la retraite fut piteuse et chahutée.
Si l’on y
réfléchit bien, nasser 80 000 personnes n’est pas possible, quant à nasser tout
un pays c’est un rêve de tyran. le projet d’enfermer la colère d’un peuple est
vain.
Ce que
nous avons vécu est une parfaite métaphore de l’impasse dans laquelle se trouve
la France actuellement : un pays nassé, cadenassé par les blocages de
quelques oligarques qui attendent la retraite en faisant patienter tout un
pays.
Ce que
nous apprennent les grecs, c’est que l’hubris, (la démesure) n’est pas réservée
aux personnages fous de la mythologie ou de la tragédie. Au lieu de renvoyer
toute prise de décisions aux calendes grecques, la raison consisterait donc à
laisser tomber ce projet de loi stupide avant que n’arrive une vraie tragédie.
Car un jour viendra où il faudra rendre des compte devant tout un peuple d’un
attentisme stérile et violent.
Olivier LONG, maître de conférences en Art et Sciences
de l’Art à l’Université Paris1-Sorbonne, et peintre
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