Le Transhumanisme : ce futur pas si lointain
Au départ du transhumanisme, un humanisme scientifique.
Parachever l’homme, le
rendre meilleur : la question est récurrente dans les textes sacrés des
religions monothéistes. La fabrication du Golem en est un exemple parlant.
Pendant la Renaissance, l’homme de sciences, des arts et des lettres est également
plasticien, à l’instar de Pic de la Mirandole. Il s’étudie comme un objet, il
se pense, s’analyse, devenant le « créateur de lui-même ». C’est dans
les années 50, avec le mouvement de l’Université de Californie que naîtra la
notion de transhumanisme dont on attribue la paternité à Julian Huxley. Le
message de ce mouvement pro-libéral claque au vent, comme l’étendard d’une
émancipation nouvelle : personne ne peut fixer les limites de notre propre
nature. Une pensée animée par l’idée que non seulement la science n’asservira
pas l’homme, mais qu’elle contribuera activement à sa libération.
Améliorer l’homme, qui peut être contre et qui devrait s’en
inquiéter ?
La notion
d’amélioration, d’optimisation n’est pas une nouveauté dans l’histoire des
idées. Elle est à la base de la pensée de Condorcet. Et entre le transhumanisme
et le courant anglo-saxon de l’« enhancement » ou l’augmentation, la
rupture de paradigme culturel est majeure, car il n’est plus question de créer
un homme meilleur mais un homme plus performant, plus efficace. Cette idée même
de perfection génère des angoisses pour plusieurs raisons. Elle brise
l’équilibre ancien d’un déterminisme naturel, avec la possibilité inédite de
réparer un homme que la société aurait considéré comme « anormal »,
hors des normes. Réparer, améliorer, optimiser, le transhumanisme bouleverse
tout.
Et de fait,
l’augmentation d’une caste génère une population de laissés-pour-compte. Dans
la quête de performance absolue émerge une tranche discriminée, les
non-améliorés qui seront logiquement considérés comme « plus à la
hauteur », « hors du jeu ». Mais ce n’est pas tout : la
technique se régénère, elle se réinvente. À l’image des mises à jours
« Windows 1, 2, 3 », ne risque-t-on pas de créer des individus à
plusieurs vitesses ? Une humanité version 1, 2, etc ?
Dès lors, la technique est-elle un vecteur d’inégalité ou
d’émancipation ?
Question d’autant plus
complexe que la distinction entre l’homme augmenté et l’homme réparé n’est pas
aussi évidente qu’il n’y parait. Dans un futur pas si lointain, lorsqu’il sera
question de réparer un homme, on le fera à l’aide d’une technique reprogrammable,
intelligente et évolutive. L’homme réparé aura donc la capacité de se récréer
et d’accroître un écart discriminant avec le reste de la population. Et si les
techniques seront dans un premier temps utilisées pour un homme malade, nul
doute que les usages de « confort » ne tarderont pas à s’imposer,
portés par tous ceux qui revendiquent un accès équitable aux nouvelles sciences
de la santé.
L’humain augmenté n’est pas le sujet d’experts que l’on croit.
C’est un vrai sujet de société, de politiques publiques et de questions
sociales.
Faire un état des
lieux, anticiper les besoins, les appréhensions et les moyens qui entourent
l’homme « réparé » et demain l’homme « augmenté », c’est le
rôle du Comité consultatif national d’éthique. Dans l’une de ses notes, le
comité nous met en garde :
« Les
conséquences (du transhumanisme) ne sont cependant pas qu’individuelles car le
risque est grand d’aboutir à une classe sociale « améliorée » constituée d’une
petite minorité d’individus bien informés et disposant des ressources
financières suffisantes pour y accéder. Il en résulterait une aggravation de
l’écart qui ne cesse de se creuser entre riches et pauvres. Les riches
devenant non seulement de plus en plus riches mais aussi plus puissants, plus
intelligents, voire plus heureux que les autres, avec un risque évident de
discrimination et même de domination. La perception qu’aurait cette classe
sociale « augmentée » des paramètres de la bonne santé psycho-cognitive
pourrait même s’en trouver modifiée au point que soient considérés comme
pathologiques les « non augmentés », les « diminués ».
Le comité consultatif
redoute également des dérives consuméristes et cosmétiques, au service de la
performance :
« Après
avoir décrit les techniques biomédicales utilisées en vue de
neuro-amélioration, il convient de prendre la mesure de ce que l’on peut
appeler le « phénomène sociétal de neuroamélioration », c’est-à-dire le fait
que certaines personnes non malades recourent à ces techniques dans un but
supposé de neuro-amélioration. Le culte de la performance dans les sociétés
modernes, le recours « cosmétique » à de telles techniques, l’usage détourné de
médicaments conçus pour des pathologies spécifiques, les enjeux militaires et
financiers : cet ensemble de facteurs nécessite une analyse du phénomène de
neuro-amélioration quant à ses implications sociétales ».
De la santé publique à la sécurité sociale, le transhumanisme
est un enjeu bien plus concret qu’il n’y parait.
Des choix sociétaux et
des politiques publiques s’imposent. Si demain notre médecine devient
partiellement « améliorative », jusqu’où la collectivité
pourra-t-elle participer à son financement ? D’un point de vue économique,
il n’est pas exclu de penser que les individus augmentés contribuent à
l’accroissement du PIB d’une nation. De ce constat découlent également des
choix politiques. Si la technique permet de devenir meilleur, plus performant,
ces dispositions permettent-elles seules de légitimer une solidarité collective
de l’ « enhancement » ?
Nul doute que certains États, pour des raisons idéologiques ou religieuses
s’opposeront à une technique vecteur de discriminations et d’inégalités. Pas
d’angoisse, le temps de l’appropriation sociale et de la mise en place
effective de ces dispositions nous laissera sans doute le temps d’affiner et
d’adoucir les déclinaisons régionales et nationales de ces politiques.
Ne pas perdre de temps : le projet Calico
Pour Google et Apple,
inutile de tergiverser. Le train est en marche, sa course inévitable. L’humain
augmenté, c’est un investissement d’avenir. C’est le projet Calico, acronyme
pour « California Life
Company ». Calico se présente comme une société de biotechnologies
fondée en 2013. Avec une audace assumée, aussi fascinante qu’arrogante, la
société se donne pour mission la lutte contre le vieillissement et les
maladies. Vaste programme. À sa tête, Arthur Levinson, le président
d’Apple. Si les géants américains n’ont pas hésité longtemps avant de se lancer
dans l’aventure, c’est parce que la quête de l’immortalité colonise nos
imaginaires comme un fantasme irrépressible et universel. C’est également une
belle opération de marketing.
Faire de la transhumanité un enjeu de société.
Dès lors, peut-on
affirmer que nous allons vers une démocratisation de cette immortalité ?
Pas vraiment. Mais faire du transhumanisme un objet scientifique périphérique,
ou un gadget pour spécialiste chevronné serait un immense gâchis. Un rendez-vous
manqué avec une révolution des sciences et de la santé qui nous concerne tous.
Des choix de société vont s’imposer à nous et l’improvisation n’est pas une
option. C’est aujourd’hui qu’il faut penser l’opportunité et le financement
d’une médecine améliorative. C’est aujourd’hui qu’il faut anticiper l’impact
économique d’une société de citoyens augmentés. Et c’est enfin cette approche
technique qui doit précéder les positionnements politiques et culturels qui
détermineront à terme comment chaque pays et chaque individu souhaite ou non
s’engager dans cette évolution en marche.
Source contrepoints.org
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