Médecine traditionnelle chinoise
Qu’un journal généraliste dépasse les clichés
sur les médecines « traditionnelles » ou « alternatives » pour alerter sur
leurs dangers, voilà un événement suffisamment rare pour être souligné, et
salué. Courrier International, dans sa livraison du 30 octobre 2014, édite en
français un article paru dans un journal de Hong-Kong, Fenghuang Zhoukan.
Le constat est fait
par les médecins chinois eux-mêmes :
« Un nombre croissant de recherches montre pourtant que
la consommation à forte dose et sur une longue durée de certains remèdes
traditionnels, qu’il s’agisse de plantes ou de produits conditionnés, peut
entraîner des lésions mortelles. Le professeur Xu Jianming, de l’université de
médecine de l’Anhui, a réalisé en 2005 une enquête rétrospective sur les
lésions hépatiques d’origine médicamenteuse dans 16 grands centres hospitaliers
de différentes régions de Chine.
Conclusion : des substances pathogènes de la
pharmacopée chinoise étaient en cause dans 20,6% des 1 200 cas recensés. Par
ailleurs, selon un article scientifique publié en 2013 par l’hôpital Xinqiao de
Chongqing, sur les 24 111 lésions hépatiques médicamenteuses recensées entre
1994 et 2011, 18,6% s’expliquaient par l’absorption de remèdes d’herboristerie
chinoise. »
- Médecine traditionnelle chinoise : entre empirisme et pensée magique
À l’image des remèdes
de grand-mère, la pharmacopée traditionnelle chinoise a été établie au fil du
temps de manière empirique, et non sur la base d’études rigoureuses et
contrôlées. Sans surprise, ses praticiens mettent en avant un savoir datant de
plusieurs millénaires, ce qui est beaucoup plus confortable que la preuve
scientifique. Ceci n’exclut certes pas que certains remèdes soient efficaces,
comme dans le traitement de l’eczéma.
Mais sans validation
scientifique, le scepticisme vis-à-vis des bénéfices de la plupart de ces
traitements reste de rigueur. D’autant plus que les praticiens refusent de
reconnaitre les critères scientifiques de validation, au nom d’un argument
éculé que partagent toutes les pseudo médecines : les standards de la médecine
occidentale ne seraient pas pertinents pour évaluer la médecine traditionnelle
chinoise. Les dérèglements dans une maladie peuvent être classifiés dans
plusieurs « modèles ». Des maladies multiples pourraient relever d’un même «
modèle » et être traitées par la même formule d’herbes tandis qu’une même
maladie pourrait relever de plusieurs « modèles » différents et être traitée
par des formules multiples. Inutile de chercher la définition précise de ces
fameux « modèles » qui évoquent irrésistiblement l’approche « individualisée »
des homéopathes…
Comme les autres
branches de la médecine traditionnelle chinoise, les pouvoirs attribués aux
remèdes relèvent largement de la pensée magique et d’analogies naïves :
« Selon la Médecine traditionnelle chinoise, le
potentiel thérapeutique d’une plante dépend de l’ensemble de ses
caractéristiques : sa couleur ; sa nature : chaude, froide, neutre ; sa saveur
: sure, amère, douce, épicée, salée ; sa configuration : forme, texture, teneur
en humidité ; ses propriétés : disperser, consolider, purger et tonifier.
En ce qui a trait aux propriétés, prenons l’exemple
d’un type d’arthrite qui est aggravée par l’humidité ou la pluie : dans la
perspective chinoise, cela est attribuable à de l’Humidité et du Froid dans les
méridiens. Or la plante Hai Tong Pi, qui pousse en bordure de mer, possède,
selon la logique chinoise (et l’expérience d’années de pratique), la propriété
de disperser l’Humidité et le Froid. Mentionnons aussi que la propriété de
tonification est fondamentale dans cette approche et sert de base à toute
entreprise thérapeutique. Ici, « tonifier » veut dire accroître la compétence,
l’adaptabilité et la résistance de l’organisme aux facteurs adverses. »
Autant dire que le
système de prescription est assez fantaisiste !
- La composition de ces médicaments, mal connue, révèle toutefois la présence de substances toxiques
Courrier International alerte sur les lésions
hépatiques sévères que peuvent provoquer certains remèdes traditionnels
chinois. Un problème dont ils n’ont certes pas le monopole. Ainsi, de nombreux
médicaments prescrits par la médecine moderne peuvent être dangereux pour le foie.
Mais ces médicaments contiennent très peu de molécules actives dont les effets
peuvent être bien documentés ; le mode de production de ces médicaments est
bien contrôlé, les médecins peuvent donc en tenir compte dans leur prescription
et pour établir une posologie adaptée. Il n’en va pas de même pour les remèdes
de la médecine traditionnelle chinoise, qui peuvent combiner plus d’une dizaine
de plantes ou d’extraits d’animaux. Leur composition chimique complexe, et
probablement peu homogène, n’est donc jamais entièrement connue.
Plusieurs études ont
mis en évidence la présence dans ces remèdes de métaux
lourds toxiques (arsenic, plomb, mercure) à des niveaux élevés. Selon un
article récent paru dans la revue Plos
Genetics, les échantillons étudiés révélaient la présence de toxines
végétales dangereuses pour le foie, les reins, ou cancérigènes.
- Un problème de santé publique ignoré
À en croire Courrier International, c’est le cas en Chine
et il est probable que cela le soit aussi parmi les émigrants chinois. Et chez
les occidentaux ? Une étude
menée en 2000 en Australie, qui portait à la fois sur l’acupuncture et les
remèdes de la médecine traditionnelle chinoise, rapporte un nombre modéré de
cas d’intoxications, mais sévères. Mais les auteurs soulignent eux-mêmes les
limites de leurs investigations, qui ne permettent pas d’évaluer de façon
précise la fréquence et la sévérité des effets iatrogènes liées à la prise de
remèdes de la médecine traditionnelle chinoise. À ma connaissance, de telles
études n’ont pas été menées depuis en Europe…
Le sujet est pourtant
loin d’être anodin. Et on ne peut que s’étonner du fossé qui existe entre la
réglementation tatillonne des produits pharmaceutiques en général et celle qui
s’applique pour les remèdes de la médecine traditionnelle chinoise. Ainsi, la
directive européenne 2004/24/CE qui permet leur autorisation dans les pays de
l’UE est délicieuse de candeur en affirmant que « l’ancienneté
du médicament permet de réduire la nécessité de réaliser des essais cliniques
puisque son efficacité est plausible du fait de l’ancienneté de l’usage et de
l’expérience ». Pour le législateur comme pour le praticien des
médecines traditionnelles chinoises, les traditions millénaires ont donc plus
de valeur que les essais cliniques. On croit rêver .
Le succès des
médecines « parallèles » et les croyances à propos des vertus du « naturel »
devraient inquiéter le monde médical. Les revendications de la médecine
traditionnelle chinoise, qui se présente comme une médecine avant tout
préventive, favorisent enfin l’automédication, ce qui est susceptible
d’aggraver le problème.
Source contrepoints.org
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