Christian Salmon
“Plus les politiques passent à
la télévision, plus ils deviennent transparents”
Affaires,
remaniement, manque d’autorité... Le nouvel ouvrage de Christian Salmon, “Les
derniers jours de la Ve République”, analyse la confusion politique et
médiatique qui règne autour du quinquennat de François Hollande.
Dans son
nouveau livre, Les derniers jours de la Ve
République, l'écrivain et essayiste Christian Salmon, auteur du fameux Storytelling (2007), raconte un pouvoir à
l'agonie, le désarroi et « l'infinie
tristesse » d'une haute administration qui « ne sait plus où elle habite », ni ce qu'est le bien
commun, les luttes intestines entre les ambitions, les calculs et les égos des
uns et des autres. Président de « bas
régime », François Hollande n'est à ses yeux que la victime et
l'accélérateur d'une décomposition à l'œuvre bien avant lui. Le signe urgent
d'une nécessaire réinvention démocratique.
Montage de captures d'écran du premier débat sur France 2, entre
Martine Aubry et Francois Hollande, avant le 2e tour des Primaires citoyennes
organisées par le PS en 2012. © Marlene Awaad / IP3
- A quoi assistons-nous aujourd’hui ? A une simple crise politique ou plus profondément à une crise de régime, comme le suggère le titre de votre livre Les derniers jours de la Ve République ?
A
l'évidence, l'actuel président de la République n'est pas le seul problème et
le Hollande bashing qui sévit depuis des
mois me semble un peu injuste. Certes, on peut lui faire de sérieux reproches.
Difficulté à trancher, obsession de la synthèse, manque d'autorité, pas de
vision ni de projet dans lesquels la gauche pourrait se retrouver. A rebours de
son discours du Bourget, pendant la campagne électorale, tous les marqueurs de
gauche sont aujourd'hui piétinés.
Le
candidat qui déclarait avoir la finance pour ennemi n'est même pas social
libéral. Le pacte de compétitivité est un signe terrible parce qu'il marque une
rupture dans l'histoire de la gauche. Jusqu'ici, en arrivant au pouvoir, toutes
les majorités de gauche, même les plus modérées, ont soutenu des réformes
portées par les syndicats de salariés. C'est la première fois que le coeur du
programme d'un président de gauche sort des cartons d'une organisation
patronale.
François
Hollande n'est donc pas innocent de la perte de légitimité qu'il subit, mais
ses défauts et ses échecs ne font qu'accélérer un mouvement déjà en cours.
- Que voulez-vous dire ?
Ce
mouvement a commencé avec le passage du septennat au quinquennat, en octobre
2000, et l'inversion du calendrier électoral entre législatives et
présidentielle. Destiné à éviter la cohabitation entre un président et un
gouvernement politiquement antagonistes, cet alignement des différents mandats
a en fait affaibli la suprématie présidentielle. Tous les cinq ans, les cartes
sont rebattues. A peine l'élection terminée, on pense à la suivante.
Le
président est ainsi contraint de réaffirmer en permanence son autorité sur ses
concurrents au sein même du gouvernement. C'est le fameux « Je décide, il exécute » de Jacques
Chirac obligé, en 2004, de recadrer Nicolas Sarkozy, son piaffant ministre de
l'Intérieur. Ou, comme en écho, le « Manuel
Valls applique la politique que j'ai moi-même fixée » de François
Hollande à l'occasion de sa récente prestation télévisée du 6 novembre. Et le
processus de la primaire, initié par le Parti socialiste, en passe d'être
adopté par l'UMP, aggrave encore cet affaiblissement de la fonction
présidentielle.
“Toute
la pyramide du pouvoir se défait sous nos yeux.”
- Pourquoi ?
Jusqu'à
présent, le gouvernement était constitué en fonction des compétences de ses
membres, de leur appartenance à tel courant politique, des départements et
régions dont ils étaient issus. Aujourd'hui, nous avons affaire à un
gouvernement dominé par les présidentiables issus des primaires qui leur ont
offert une visibilité et un statut. Arnaud Montebourg et Manuel Valls en ont
été les principaux bénéficiaires. Ils sont au cœur des jeux de forces et de
contre-forces qui ont abouti aux remaniements des 2 avril et 25 août 2014. A
l'extérieur, Martine Aubry pèse sur le climat politique à travers la
« fronde » de ses amis députés.
C'est ce que j'ai appelé l'effet-Smith de la primaire, du
nom de l'agent Smith dans le film Matrix.
Capable de transformer les êtres de la Matrice en copies de lui-même, il
infeste tout le système. De la même manière, devant les caméras de France 2, la
primaire a démultiplié la figure présidentielle, les présidentiables ont
proliféré. Et dès le lendemain de l'élection, ont commencé à s'agiter en vue de
la prochaine.
A
l'origine de la Ve République, le général de Gaulle disait de la présidentielle
qu'elle était la rencontre d'un homme et d'un peuple. Aujourd'hui ce n'est plus
d'un homme qu'il s'agit, mais d'un attroupement. Et ce à quoi nous assistons
n'est pas seulement la faillite de François Hollande, c'est toute la pyramide
du pouvoir qui se défait sous nos yeux. Une pyramide devenue désuète dans une
société qui fonctionne de plus en plus en réseau, à l'horizontal.
- Si cette crise de la souveraineté se nourrit de spécificités françaises, elle affecte tous les Etats...
Oui,
cette crise est mondiale, on en voit les effets sur Barack Obama pourtant bien
meilleur communicant que François Hollande. Mais, comme le tweetait récemment
Paul Begala, l'un des architectes de la victoire de Bill Clinton, en 1992 : « Le Titanic avait un problème d'iceberg, pas un
problème de communication ».
La
souveraineté des Etats fuit de partout, elle s'est fracassée sur le pouvoir
grandissant des marchés, des multinationales, des agences de notation, des
instances supranationales, des banques centrales, du FMI. Particulièrement en
Europe où l'on a, dans les traités, organisé des abandons majeurs de
souveraineté : la monnaie et le contrôle des frontières. Comme je l'analysais
dans mon précédent livre, La cérémonie
cannibale, la souveraineté qui s'appuyait sur une double réalité, le
pouvoir et sa représentation en la personne du roi ou de l'élu, s'est ainsi
scindée en deux. D'un côté le pouvoir sans visage des marchés et des
technocraties. De l'autre, le visage impuissant des gouvernants.
En
France, le décalage est immense entre les reliques de notre culture
monarchique, l'or de nos palais gouvernementaux, les hôtels particuliers, les
afféteries du protocole, le greffier qui annonce « Monsieur
le président de la République » à chaque fois que François Hollande
entre dans une pièce, et l'impuissance de celui-ci, ni thaumaturge, ni même
manager, juste quelqu'un qui attend. Godot ou la reprise économique.
“Les
images de la primaire socialiste, c’est The
Voice plutôt que la voix de la France”
- Quelles sont les conséquences pour les hommes et les partis politiques ?
A l'ère
de l'insouveraineté généralisée, la guerre pour le pouvoir n'est plus un
affrontement de projets ou d'idées. C'est un théâtre où dominent les stratégies
de communication, le storytelling, une scène où l'on mime la puissance d'agir,
où l'on surenchérit dans le discours volontariste et l'incantation.
En regardant les images de la primaire socialiste, tous
les candidats en rang, derrière leur pupitre, je me disais c'est The Voice
plutôt que la voix de la France. Les voici soumis à une obligation de
performance, c'est à celui qui chantera le mieux. Et Arnaud Montebourg s'est
révélé un excellent chanteur. A-t-on remarqué que c'est précisément le
réalisateur de The Voice, Tristan Carné, qui a été choisi pour mettre en scène et
en images l'émission politique de TF1du 6 novembre 2014 avec François Hollande
?
« En regardant les images de la
primaire socialiste, tous les candidats en rang, derrière leur pupitre, je me
disais c'est The Voice plutôt que la
voix de la France. Les voici soumis à une obligation de performance, c'est à
celui qui chantera le mieux. »
© Olivier Corsan/MaxPPP
- Comment analysez-vous cette émission ?
Je comparerais les hommes politiques qui sont devenus des
performers, des machines à conquérir le pouvoir, aux hubots de la série Real Humans.
Mi-robots, mi-humains, ils ont régulièrement besoin d'être rechargés, de
remonter leur côte de sympathie et de confiance en se rendant à la télévision.
Avec une popularité à 12 % fin octobre, François Hollande avait grand besoin de
se recharger. Il a donc accepté de se rendre à TF1. Et s'est retrouvé pris au
piège d'une exhibition dévorante.
Plus que
les propos du chef de l'Etat, c'est en effet le dispositif de l'émission qu'il
est intéressant d'analyser. Quel est-il ? Une sorte de théâtre en trois actes,
ou de jeu vidéo en trois plateaux. Dans le premier, le hubot politicus doit
faire la preuve de son humanité. Son interlocuteur est une sorte de prêtre,
Thierry Demaizière, la voix du magazine dominical de TF1, Sept à huit, où il invite à la confession ceux
qui font l'actualité de Diam's à Thomas Vergara. Cette séquence est consacrée
au dévoilement de l'intime, le livre de Valérie Trierweiler, la rue du Cirque,
le casque intégral. Je ne suis pas un robot, j'ai une histoire personnelle.
Le
second plateau est un test de proximité. Le président se retrouve face à quatre
Français choisis comme un échantillon de sondage quali (âge, sexe, profession
etc.). Il doit se montrer proche des gens, écouter, noter, dire qu'il les
comprend, même s'il ne peut pas grand-chose.
La
troisième scène, enfin, est celle de la crédibilité où il s'agit de faire la
preuve de sa compétence, montrer qu'on n'est pas piloté par quelqu'un d'autre,
le premier ministre ou le patronat par exemple, qu'on n'est pas un robot dans
les mains d'un autre. La forme de cette séquence est celle de l'examen et
l'interrogateur est un journaliste qui doit se montrer sévère et brutal, Yves
Calvi. La question n'est pas celle de la France, c'est de vous qu'il s'agit.
Etes-vous capable de diriger ? De l'exercice émergeront trois phrases : « Je me cramponne » pour le test de
l'intime, « J'aime les gens »
pour celui de la proximité et « J'ai
décidé tout seul » pour la crédibilité.
Le piège
a parfaitement fonctionné. Hubot roi s'est rechargé, mais n'a guère pu parler
de la France ou de ses projets. Ainsi va la perversité du système médiatique.
Le trou noir de l'écran aspire le peu qui subsiste du rayonnement du politique.
Et l'on en vient à ce paradoxe que plus les politiques apparaissent à la
télévision, plus ils deviennent transparents.
“Aujourd’hui,
la majeure partie de la population se sent exclue des décisions”
- Si nous vivons « les derniers jours de la Ve République », que pourrait-il se passer après ?
La
légitimité d'une constitution dépend de sa capacité à mobiliser les moyens de
l'Etat à des fins collectives. Cette capacité fonde la croyance en la
possibilité d'agir sur le monde et les régimes tombent quand ils ne sont plus
capables d'assurer cette croyance légitime. C'est ce qui est en train d'arriver
à la Ve République. Si on laisse faire, le pourrissement à l'œuvre risque de
déboucher sur la violence, des émeutes, des phénomènes incontrôlables.
La
question des transformations institutionnelles est dans l'air. On évoque la
révocabilité des élus, le non cumul des mandats, le tirage au sort plutôt que
l'élection des représentants, la dé-professionnalisation de la vie politique.
Toutes ces réflexions sont intéressantes, mais insuffisantes car il ne s'agit
pas seulement d'une question juridique.
Aujourd'hui,
la majeure partie de la population se sent exclue des décisions. Les inégalités
économiques et sociales, l'écart entre les riches et les pauvres se creusent
dangereusement, la survie de la planète pose question. Il faut avoir l'ambition
d'une profonde réinvention démocratique. Imaginer une fiction constituante dans
laquelle le peuple lui-même se réinvente. Une constitution, c'est un acte
d'écriture. Et la politique et la littérature ont un but commun quand elles
sont à leur plus haut niveau d'exigence et d'intensité : créer des mondes
possibles, explorer des possibilités de vie, changer les perceptions.
Il faut
donc ouvrir le débat le plus large possible, l'organiser, faire émerger de
nouvelles compétences et de nouvelles énergies, convoquer une Constituante.
Reconstruire un récit commun.
Source telerama.fr
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