Compte pénibilité
Tout comprendre au nouveau casse-tête
bureaucratique
En cette période de
Noël, les entrepreneurs français s’apprêtent à trouver au pied du sapin un
étrange cadeau de leur ministre des Affaires Sociales et de la Santé, Marisol
Tourraine. J’ai bien-sûr nommé la réforme du Compte
Personnel de Prévention de la Pénibilité, mesure qui entrera en vigueur
au 1er janvier 2015.
Qui est concerné par le compte pénibilité ?
Dès janvier prochain,
chaque travailleur, peu importe son contrat de travail, ayant travaillé au
moins un mois sur un trimestre pourra être éligible à l’obtention de points sur
son compte
pénibilité. Et ce jusqu’à un maximum de 100 points accumulés au cours d’une
carrière. Quels sont donc les fameux critères d’éligibilité à ces points ?
Réponse : l’exposition à l’un des 10 critères de pénibilité suivants (les
6 derniers ne rentreront en considération qu’à partir du 1er janvier
2016) :
Bon, vous l’aurez
compris, si vous n’êtes pas employé de bureau avec des horaires de 9h à 17h,
grandes sont les chances que vous tombiez effectivement dans une ou plusieurs
des catégories listées ici. Si vous avez des doutes sur votre appartenance à
l’une des catégories, vous pouvez toujours regarder ce document fourni par le
ministère détaillant au degré près la flexion d’un torse pouvant être qualifiée
de posture pénible, la vibration minimum en mètre/seconde2 des mains pouvant
être qualifiée de pénible, etc. Pour les autres, passons tout de suite aux
systèmes d’accumulation des points :
Pour faire simple, un
salarié présent à l’année empoche 4 points par an s’il se qualifie sur un
critère et 8 s’il se qualifie sur au moins deux critères. Pour les salariés de
plus de 52 ans en janvier 2015, des conditions spéciales plus généreuses seront
mises en place dans le calcul et l’utilisation des points.
À quoi serviront les points pénibilité ?
Que peut-on faire de
ces points ? Pour les 20 premiers points, le salarié a le droit à de la
formation professionnelle à raison de 25h par point, pour un total de 500h au
cours de sa carrière. Pour les 80 autres points, le salarié peut convertir chaque
tranche de 10 points en 1 trimestre de retraite supplémentaire ou un trimestre
de travail à mi-temps sans réduction de salaire.
Évidemment, alors que
les syndicats applaudissent à deux mains la réforme, les chefs d’entreprise
soucieux se demandent déjà combien va coûter la facture de cette joyeuse
kermesse salariale. Une inquiétude légitime puisque le financement de la caisse
couvrant les frais du programme sera assuré à 100% par les entreprises par le
biais d’un prélèvement nouveau sur la masse salariale qui entrera en vigueur en
2017, et qui sera doublé pour les emplois qualifiés de pénible. Tentons donc de
jauger le coût de l’ensemble des mesures annoncées dans le cadre de la réforme.
Quelle sera l’addition pour les entreprises ?
Le gouvernement
n’ayant pas d’estimation précise à fournir sur le nombre de salariés
potentiellement concernés par la réforme, seuls les chiffres de l’INSEE sur
l’emploi salarié par secteur d’activité peuvent nous aider à y voir plus clair.
Comme chacun peut le
constater, nombreux sont les domaines d’activité potentiellement concernés par
la réforme. Le secteur de la construction par exemple, fort de ses 1,39
millions d’employés, compte à lui seul au moins 1 million de salariés exposés à
des critères de pénibilité. Quiconque ayant travaillé sur un chantier vous le
dira, la manutention d’objets lourds, les postures pénibles, l’exposition au
bruit, aux vibrations mécaniques ou encore l’utilisation d’agents chimiques
font partie intégrante de toute activité de construction pour la quasi-totalité
des corps de métier de la construction. On pourrait assurément en dire autant
de beaucoup d’emplois manufacturiers. Enfin parmi tous les secteurs d’activité,
comment évaluer avec précision les nombreux salariés concernés par le critère
de pénibilité sur le travail de nuit ? La Dares évoquait
déjà le chiffre de 3,5 millions de salariés travaillant habituellement ou
occasionnellement de nuit en 2012.
Bref, vous l’aurez
compris, la pénibilité concerne au moins entre 3 et 5 millions de salariés au
minimum. Sachant que d’après les dispositions de la réforme, chacun de ses
salariés pourra bientôt, pour chaque trimestre de travail qualifié de pénible
sur au moins un critère, prétendre à 25 heures de formation professionnelle
(jusqu’à un maximum de 500 heures dans une carrière) aux frais des entreprises,
on imagine facilement que l’addition va grimper à un rythme effréné. Pour
n’arranger en rien les choses, la formation professionnelle en France, pilotée
par les partenaires sociaux, l’État et les collectivités locales, est depuis de
nombreuses années maintenant cette passoire à argent public dénoncée presque
tous les ans par la Cour des Comptes. Inefficacité, organisation inadéquate,
coûts astronomiques (31 milliards d’euros au dernier comptage, dont plus de la
moitié viennent des entreprises) : les dysfonctionnements relevés par la
Cour des Comptes étant si profonds, on ne peut que légitimement se demander si
une réforme totale du système actuel serait à mettre à l’ordre du jour avant
d’évoquer l’idée de faire payer aux entreprises un nouveau dispositif de
formation continue.
En plus du coût des
heures de formation professionnelle, les entreprises devront aussi couvrir le
coût des départs en retraite anticipés et des trimestres à temps partiel payés
à temps plein prévus dans le cadre de la réforme. Ainsi, pour un départ anticipé
de 2 ans (le maximum prévu dans le cadre du compte pénibilité), on parle d’au
moins 24 versements mensuels de pensions à financer via les cotisations
prélevées sur les entreprises. Malgré les maigres pensions des retraités du
privé, environ 1166 euros par mois, la facture promet d’être salée au vu du
nombre d’ayant-droits. À titre d’indication, à terme, 3 millions de
travailleurs pouvant partir deux ans en avance après 40 ans de travail avec une
pension moyenne coûteraient au bas mot plus de deux milliards par an au système
du compte pénibilité.
Alors que l’État ne
sait même pas combien de salariés seront à terme concernés par la réforme et
que toutes les estimations conservatrices se chiffrent en milliards d’euros, on
ne peut que douter de l’estimation gouvernementale chiffrant le coût de la réforme
à 155 millions d’euros par an entre 2015 et 2018, et à environ 500 millions par
an à l’horizon 2020. Une estimation si grotesque qu’on en vient naturellement à
douter de la compétence des individus diffusant ces chiffres.
Enfin, comment peut-on
encore se permettre d’imposer un énième fardeau économique et bureaucratique
digne des 35 heures alors que le chômage explose et que les entreprises plient
sous le poids des charges ? À défaut de pouvoir dire à combien s’élèvera l’addition,
on peut déjà parier qu’en renchérissant le coût du travail manuel en France,
cette réforme achèvera d’enterrer des pans entiers de l’industrie
manufacturière française et enfoncera encore plus le secteur de la construction
déjà moribond. Comme à l’accoutumée, les premières victimes de ce suicide
économique seront encore une fois les cols bleus les plus fragiles.
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire