La transparence jusque dans vos poubelles
Finalement, la devise résumant le mieux la tendance actuelle des États occidentaux pourrait bien être : « Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’aurez rien à cacher ». Et si c’est bien évidemment vrai pour vos données personnelles, il n’en va pas différemment… de vos déchets.
Eh oui : non contents d’être maintenant triés et séparés, vos déchets seront bientôt scrutés et évalués avec le plus grand soin. Si la vérification poussée du contenu de vos poubelles n’est pas encore en place partout, il n’y a cependant pas à douter qu’elle va progressivement s’étendre à mesure que le discours sur le recyclage continue de prendre son essor.
En tout cas, une vingtaine de communes en Seine-Maritime ont décidé de prendre de l’avance et expérimentent ainsi, depuis le 1er septembre, l’obligation pour leurs administrés d’utiliser des sacs d’ordures ménagères transparents (en remplacement des sacs opaques). Cette transparence, habilement construite, non pas de l’État envers les citoyens mais – comme c’est commode ! – des citoyens envers l’État, permet de vérifier, au moment de la collecte, que les usagers ne font pas un peu n’importe quoi en matière de tri.
L’idée est aussi simple que délicieusement perverse : avec des sacs poubelle transparents, il devient aisé de vérifier que les déchets d’une catégorie ne se retrouvent pas malencontreusement mêlés avec ceux d’une autre. Dans l’hypothèse – improbable mais pas impossible, l’usager se croyant parfois plus malin que les Autorités Officielles de La Vérification Des Poubelles – où un pot de yaourt se retrouve avec les déchets en papier et en carton, le sac reste tout simplement à la maison.
Le but officiel n’est d’ailleurs pas – je cite – de « punir le contrevenant », mais bien évidemment d’améliorer la qualité du tri ou, pour à peine paraphraser, de progresser dans la liberté cosmique d’un âge réminescent du tri écologique permettant de gérer nos poubelles en toute conscience syntonisée avec Gaïa. Comme l’explique d’ailleurs Jérôme Lheureux, le président de cette communauté de communes :
« L’idée de la mise en place des sacs translucides, c’est de dire qu’il faut absolument mettre le bon déchet au bon endroit, et d’inciter les habitants à mieux trier, même s’ils le font déjà. C’est aussi un moyen de communiquer sur les grands enjeux des déchets à moyen terme. On travaille pour nos enfants et l’avenir de notre planète ».
Vous avez bien lu : il faut absolument mettre le déchet au bon endroit, un manquement dans ce précepte étant le fondement même de dérives beaucoup plus graves qui, comme l’explique cette Autorité Officielle de la Vérification des Poubelles, contrevient à la sacro-sainte lutte pour l’avenir de notre planète. Et puis l’article se fend d’un rappel salutaire : lorsqu’il y a manquement, pour l’instant, les agents distribuent des flyers informatifs et font de la prévention.
Bien évidemment, la locution importante est ici pour l’instant.
Il ne fait pas le moindre doute que, passé le 1er janvier prochain, les consignes seront censées être connues, et alors, les sacs contrevenants ne seront plus collectés. On sait déjà que d’autres étapes sont prévues (réprimandes ? amendes ? ban public ? goulag ?), notamment pour ces usagers qui ne voudraient toujours pas comprendre, et pour ces ordures qui seront toujours du mauvais côté de la frontière de conformité (on parle juste des déchets, ne vous emballez pas, ou pas tout de suite avec du sac transparent).
Du reste, la bonne volonté et la compréhension règnent chez les usagers, même si leur enthousiasme est distribué avec parcimonie et qu’ils conviennent ainsi : « On est bien obligé de le faire, il faut bien se débarrasser des poubelles, on n’a pas le choix ».
Eh oui, la bonne humeur avec un bras coincé dans le dos et, un jour, un pistolet sur la tempe, une amende dodue, c’est vraiment une excellente façon de procéder. On s’adapte, quoi.
De toute façon, comme le rappelle l’Autorité Officielle de la Vérification des Poubelles, tout ceci n’a rien à voir avec de l’écologie punitive : « La punition, elle va venir seulement si on ne s’occupe pas des problèmes écologiques qui nous sont soumis »…
En tout cas, la tournure que prend cette initiative ne manquera pas d’intéresser des milliers d’écologistes et de politiciens un peu partout en France qui, parions-le, trouveront dans ce champ d’expérience des applications ludiques à tout un tas de problématiques qu’on n’aura aucun mal à trouver indispensables pour « nos enfants et l’avenir de notre planète ».
Bien sûr, on rappellera au passage que le recyclage au niveau des usagers (le tri dit sélectif) est celui qui produit les moins bons résultats : comme je le mentionnais dans un précédent article, non seulement les consommateurs se lassent, mais l’infrastructure (de collecte) est rendue d’autant plus complexe, ce qui finit par avoir un coût astronomique pour toute la société. Comme le notait en 2021 un think-tank suisse (les Suisses ne sont pas réputés pour être les citoyens les plus crados de la planète, n’est-ce pas), il est à la fois plus efficace et plus économiquement pertinent de faire le tri directement aux déchetteries (le taux de recyclage augmente alors de 15 %, et le volume recyclé augmente aussi).
Mais peu importe : les moins naïfs d’entre nous ne s’étonneront absolument pas que ce genre d’initiatives de plus en plus intrusives va se mettre en place à mesure que l’hystérisation écologique continue de s’étendre dans la société.
En effet, le but n’est pas tant cette chimérique sauvegarde de Gaïa, du climat ou de nos enfants ; les dettes croissantes que l’État ou les communautés de communes creusent avec un appétit démesuré devraient instiller un peu plus d’humilité dans les bouches de nos politiciens sur ces sujets. Non. Le but est bien de traquer tout ce que vous faites, et en s’acharnant sur vos déchets, de vous obliger insidieusement, non pas seulement à les diminuer, mais bien à diminuer toute forme de consommation, de la plus futile à la plus nécessaire (tout n’étant ici qu’une question de temps). Pour rappel, vous êtes le pollueur ultime, celui qui produit le plus de déchets, et votre empreinte écologique ne devient acceptable que lorsque vous êtes mort.
À plus long terme, ces sacs transparents ne sont qu’une étape avant la désignation comme honteuse de toute forme de déchet. Ce n’est pas une exagération tant l’Histoire a montré la direction prise par ce genre d’idéologies, ces cultes religieux faisant passer le groupe, la Nature ou des entités désincarnées avant les individus. Par exemple, les périodes les plus sombres en Corée du Nord étaient marquées par une absence quasi-totale de déchets de la part de la population : entre les pénuries et l’absolue nécessité pour elle de recycler le peu qu’elle avait, rien n’était laissé au hasard. Même leurs excréments.
Le saut logique vous paraît hardi ?
Qui, en 2010, aurait pu croire que dix années plus tard on interdirait les voitures à essence pour des motifs aussi bidon ? Qui aurait imaginé qu’on renoncerait au nucléaire pour installer des éoliennes et des centrales au charbon partout en Allemagne, sous couvert d’écologie ? Qui peut garantir que cela va s’arrêter là ?
Personne. Au contraire, même.
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