Acquisition d’Activision par Microsoft
L’acquisition d’Activision par Microsoft montre un appétit à la
hauteur de son gigantisme.
Microsoft montre un appétit à la hauteur de son
gigantisme. L’entreprise a annoncé le 18 janvier dernier l’acquisition
d’Activision, un pionnier de l’édition de jeu vidéo qui figurait
au premier rang des entreprises du secteur. Chiffrée à 68,7 milliards
de dollars, c’est la plus importante acquisition en 100 %
numéraire (c’est-à-dire « en cash », sans utiliser des actions comme
monnaie) de l’histoire, reléguant au second plan le rachat record du géant
Monsanto par Bayer il y a 6 ans.
Côté Microsoft, il s’agit de sa plus grosse opération,
représentant plus de deux fois et demie la valeur de sa prise de contrôle
de LinkedIn en 2016. Cela démontre l’importance qu’il accorde au secteur
du jeu vidéo. Et c’est compréhensible quand on sait qu’il s’agit d’un
immense marché de 3 milliards de joueurs actifs (soit 40 % de la
population mondiale !), qui pèse près de 200 milliards de dollars
de ventes annuelles.
Malgré une telle acquisition, Microsoft reste encore loin
de dominer le secteur. Il passera simplement de 6,5 % à 10,7 %
de parts de marché et se hissera seulement à la troisième
position derrière son concurrent direct Sony et le leader chinois Tencent.
La consolidation de sa position dans le jeu vidéo est certes une raison du
rachat, mais il est fort probable que les objectifs de Microsoft se situent
au-delà de ce secteur.
C’est en mobilisant une approche stratégique fondée sur les ressources et
les compétences, qui fait l’objet de nos recherches, que nous pouvons
mieux comprendre le mouvement concurrentiel de Microsoft. Le développement de
pièces maitresses doit mener la firme de Redmond du jeu vidéo au « métavers »,
ce fameux monde virtuel en 3D qui devrait constituer « l’Internet du
futur ».
Fédérer une communauté
Pour les géants du secteur, le succès dans les jeux vidéo
repose sur le développement et le contrôle de franchises, ces suites de jeux
devenus des blockbusters à partir desquels on peut créer contenus médias et
produits dérivés. Avec l’acquisition d’Activision, ce sont par exemple Diablo
ou Call of Duty, comptant parmi les séries les plus vendues de tous les
temps, qui tombent dans l’escarcelle de Microsoft.
La stratégie était déjà bien amorcée depuis 2009 avec
l’acquisition de Rare, puis couronnée de succès grâce à la prise de contrôle de
Mojang (créateur du célébrissime Minecraft) en 2014. Elle s’est très nettement
accélérée ces dernières années avec le rachat de 7 studios en 2018 et 2019 et
l’acquisition de Bethesda et ses 8 studios en 2021 pour 7,5 milliards
de dollars. Au total, Microsoft possède aujourd’hui 30 studios.
Posséder un large catalogue de jeux à succès est
déterminant car les bénéfices de l’industrie ne reposent plus sur la vente de
jeux mais sur la gestion des accès via les abonnements à des plates-formes.
Entrent aussi en jeu les achats intégrés (items, ressources, monnaie de jeu,
costumes de personnages, accès à du contenu ou des extensions de jeu, etc.) et
la collecte et l’exploitation des données des joueurs. C’est ce que l’on
appelle le jeu à la demande (GOD : game on demand), un peu comme Netflix
et la VOD, mais pour les jeux.
Microsoft, via sa plate-forme Xbox Game Pass, fédère une
communauté de 25 millions d’abonnés qu’il faut attirer et satisfaire en
proposant un catalogue toujours plus étoffé. Avec le rachat d’Activision,
Microsoft accède à un ensemble représentant une base de 400 millions
de joueurs actifs répartis dans 190 pays.
Conquérir de nouveaux segments de marché
L’opération apporte un autre atout déterminant :
l’accès au jeu sur mobile. Activision avait en effet racheté, pour
5,9 milliards de dollars en 2016, le studio King, créateur du célébrissime
Candy Crush, un des jeux sur mobile les plus rentables. Ce segment, sur
lequel Microsoft était peu présent, compte aujourd’hui pour 52 % des
ventes du secteur, loin devant les jeux pour console (28 %) et pour PC
(20 %). C’est donc une avancée concurrentielle importante pour Microsoft
dont la stratégie reposait jusqu’à présent essentiellement sur les jeux pour
console.
Microsoft se renforce également sur le segment spécifique
du jeu en ligne multi-joueurs, Activision possédant notamment World of
Warcraft, un des leaders en la matière. En s’offrant par la-même la Major
League Gaming, Microsoft entre enfin en force sur le marché du e-sport, dont la
valeur est estimée à 1 milliard de dollars et qui regroupe une communauté
active de plus de 200 millions de fans. À tout cela s’ajoute un
avantage en termes d’internationalisation des activités car Activision se
trouve bien implanté sur le marché chinois, le plus important du
secteur en volumes de ventes.
L’acquisition d’Activision permet à Microsoft de
renforcer ses activités, d’accéder à de nouveaux segments de marché et de
réaliser des synergies en combinant les compétences de création de contenu
d’Activision avec ses propres capacités technologiques et de distribution. Il
s’agit là de consolider une position face à des concurrents de diverses
natures.
Se positionner en diffuseur incontournable
La presse spécialisée a annoncé tout récemment
l’intention de Sony de lancer le projet Spartacus. Le créateur de la
console Play Station, numéro deux du secteur des jeux vidéo, souhaite
développer un service visant à concurrencer le Game Pass de Microsoft en
fusionnant ses deux offres Play Station Now (jeu en ligne ou à télécharger) et
Play station Plus (jeux multi-joueurs en ligne). Car si l’entreprise japonaise
est en effet devant Microsoft en ventes de consoles, elle reste en retard sur
les offres d’abonnement.
Face à la montée de son concurrent direct, Microsoft a
tout intérêt à rendre son propre catalogue de jeux le plus large possible pour
accroître l’attractivité de sa plate-forme. Mais le contrôle du marché des
consoles n’est sans doute pas l’objectif de Microsoft, qui vend depuis des
années ses consoles Xbox à perte. La stratégie de Microsoft semble reposer
surtout sur le développement du Game Pass. Dans ce secteur, les concurrents se
nomment plutôt Apple, Google et Amazon.
Les deux premiers contrôlent non seulement les accès au
jeu mobile via l’App store et le Google store mais ils se développent également
directement dans le jeu avec Apple Arcade et Google Stadia. De
son côté, Amazon ne cache pas ses ambitions : le géant de la
distribution en ligne a déjà créé son premier jeu, New World, a développé
Amazon Prime Gaming, qui propose mensuellement une sélection de jeux
offerts, a lancé l’année dernière un service de cloud gaming, Luna, et
possède la plate-forme Twitch.
Avec l’acquisition d’Activision, Microsoft se positionne
lui-même comme un diffuseur incontournable dans le cloud gaming en associant un
catalogue attractif à son Game Pass. Il étoffe et fidélise sa communauté de
joueurs, qui est sans doute la ressource la plus précieuse et celle qui lui
ouvre les portes du métavers.
Se distinguer de Meta
Facebook est récemment devenu Meta et Marc Zuckerberg a
présenté en détail son projet de métavers, un espace virtuel permettant des
interactions sociales et commerciales en utilisant la réalité virtuelle et la
réalité augmentée. Dans sa conférence d’annonce de l’acquisition d’Activision,
Satay Nadella, le PDG de Microsoft, a lui aussi précisé, à plusieurs reprises,
ses intentions de devenir un acteur majeur en la matière. Il s’est positionné
clairement contre Méta en proposant une vision autoproclamée plus ouverte du
métavers.
À la suite de ses diverses tentatives ratées de pénétrer
le secteur des réseaux sociaux en rachetant TikTok, Discord ou Pinterest,
le jeu vidéo semble être la voie principale qu’il choisit finalement pour
accéder au métavers. Tout comme Méta, Microsoft a développé étape par étape les
pièces maitresses composant l’architecture du métavers. Citons ici son casque
de réalité augmentée Hololens, sa plate-forme de réalité virtuelle Horizon
World, la deuxième plus grande plate-forme cloud avec Azure, des
investissements dans les cryptomonnaies, le développement d’avatar 3D pour
l’application de visioconférences Teams, ses réseaux sociaux spécialisés
LinkedIn et GitHub, et, surtout, sa plate-forme de collaboration virtuelle
holographique Mesh.
Ces éléments certes nécessaires ne permettent cependant
pas à Microsoft de se distinguer franchement de Meta. La firme créée par Bill
Gates et Paul Allen peut en revanche se différencier grâce à sa position de
force dans les jeux. Ils sont une porte d’entrée privilégiée dans le métavers
non seulement parce qu’ils en seront une des applications principales, mais
aussi parce qu’il y a là un formidable intégrateur de communauté en ligne.
En pleine confiance
Les planètes se sont même alignées de façon heureuse pour
Microsoft. Le tourbillon dans lequel Activision est entrainé avec les
accusations de sexisme et de harcèlement sexuel en son sein l’a très
certainement fragilisé et rendu plus facile à acquérir pour Microsoft. Et
l’annonce peut être effectuée dans un timing parfait, quelques semaines à peine
après le lancement de Meta
Il reste encore à passer de l’annonce à la réalisation de
l’acquisition, prévue pour 2023. Une étape importante en sera la validation par
les autorités de régulation de la concurrence. Et à ce niveau, les planètes ne
semblent plus vraiment alignées car la Federal Trade Commission et le
Département de la Justice aux États-Unis ont annoncé ce même 18 janvier,
quelques heures à peine après l’information du rachat d’Activision par
Microsoft, qu’elles souhaitaient renforcer les lois anti-trust et
porter une attention toute particulière aux Big Tech.
Microsoft, qui a longtemps été marqué par le traumatisme
de son procès anti-trust et ses amendes record qui ont failli entrainer
son démantèlement il y 20 ans, semble néanmoins aujourd’hui en pleine
confiance, comme en témoigne son PDG Satya Nadella. La firme a même accepté
d’inclure dans le contrat d’acquisition des pénalités de 3 milliards
de dollars qui seraient versées à Activision si l’affaire ne devait pas
être conclue.
Sources :
Frédéric Prévot, Professeur de Stratégie et Management
International, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The
Conversation sous licence Creative Commons.
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