mardi 6 juin 2017

Billets-Fonction… bouc émissaire



Fonction… bouc émissaire

La fonction du bouc émissaire est essentielle dans une société qui veut asseoir son pouvoir, son autorité sur les autres et faire accepter l’inacceptable. Le nazisme n’a pu exister et perdurer pendant douze ans que parce qu’il s’appuyait sur le principe du bouc émissaire. Le bouc émissaire a comme fonction de souder le groupe contre un ennemi commun. Cet ennemi commun peut être l’étranger, le Juif, le Musulman, le voleur, le pauvre, le Roms, le gros, le fumeur, le buveur. On retrouve cette thématique du bouc émissaire dans les séries policières, diffusées à longueur de journée sur le petit écran. Le bouc émissaire représente à l’écran le méchant, celui que les policiers (américains, ou français) traquent en permanence : drogués, déviant sexuel, pédophile, alcoolique, voleur de voitures, vendeur de marijuana. Et le rôle de l’État (la police) c’est de nous protéger des méchants, comme dans les feuilletons télévisés. Le rôle de la série policière est donc de maintenir intacte cette croyance chez les téléspectateurs. En échange de cette protection policière étatique : le citoyen accepte que l’État lui prenne son argent, sa liberté, son épargne, sa santé, sa nourriture, ses enfants. En réalité, le bouc émissaire n’est jamais celui qui opprime, exploite, tue, racket les autres. Le bouc émissaire permet au pouvoir en place de détourner le doigt accusateur qui se dirige vers lui, vers un faux responsable. Lorsque Michelin licencie 8 000 personnes, lorsque Peugeot délocalise à l’étranger, lorsque les salariés de France Télécom se suicident, lorsque le Mediator tue plus de 2 000 personnes, lorsque la médecine tue plus de 100 000 personnes par an, lorsque le nucléaire cancérise des millions de personnes, lorsque les sociétés du CAC 40 cachent leurs fabuleux bénéfices dans des paradis fiscaux, ces « sociétés » ont toutes un besoin urgent d’un bouc émissaire, qui détournera le doigt accusateur pointé vers elles. Et ce bouc émissaire, bien souvent inoffensif, pourra être n’importe quelle cible, telle que les Juifs, les fumeurs, les gros, les paresseux, les sdf, les rmistes, les Musulmans, les alcooliques, les clients de prostitués, les pauvres, les conducteurs de 4x4, les amateurs de corrida, les acheteurs de fourrures. Ce ne sera à aucun moment l’État et ses partenaires économiques et financiers, puisque la propagande est là pour maintenir l’illusion d’un État vertueux et angélique, qui s’occupe du bien public, de la santé pour tous et de la prospérité de chacun.

Le nazisme n’a rien a voir avec la France (et l’Europe) de 2011, car les formes du pouvoir, les avancées technologiques, la centralisation des médias, l’internationalisation des industriels sont très différentes. En 1933, Hitler a pu s’appuyer sur le nouveau média de masse, la radio, pour faire sa propagande immonde auprès des masses. Aujourd’hui, la télévision permet de faire bien mieux et surtout de manière plus subtile, plus trompeuse pour l’intelligence. Hier, Adolf Hitler parlait seul dans un micro. En 2011, des spécialistes, des experts sont invités à débattre démocratiquement d’un sujet : le tabac, le sida, le réchauffement climatique, le cancer, l’islam, la mondialisation. Malheureusement, il manque un sous-titre essentiel aux émissions de télévision : elles sont orientées, elles ne présentent pas tous les points de vue d’un sujet. Par exemple, sur le sujet du cancer le principal point de vue autorisé est la chimiothérapie. Or une chimiothérapie correspond à des doses de plus de 10 000 mSv, soit l’équivalent de près de 3 minutes d’exposition à proximité de la centrale nucléaire de Tchernobyl, lors de son explosion… La majorité des autres thérapies contre le cancer sont soit absentes de la propagande, soit très critiquées. Hier, Adolf Hitler n’avait pas de caméra de vidéo surveillance afin de mettre sous contrôle l’ensemble des citoyens. Il fallait des agents de la Gestapo qui rapportaient ce qu’ils avaient vu dans la rue : un Juif sans étoile, un Juif dans le tramway, un Aryen discutant avec un juif. Hier, Adolf Hitler avait besoin de camps de concentration pour fournir une main-d’œuvre gratuite à IG Farben et au reste de l’industrie de guerre. Aujourd’hui, les esclaves sont chinois ou indiens, loin des regards occidentaux. Hier, Adolf Hitler n’avait pas de radars automatiques, ni de système informatique complexe, ni de programme Échelon, ni de puces RFID. Notre époque est donc totalement différente du nazisme de 1933-1945 dans sa forme, mais pas dans ses objectifs : fabriquer des boucs émissaires pour que les cartels industriels et bancaires puissent continuer à tuer, monopoliser, coloniser, exploiter, esclavager, délocaliser, polluer, cancériser. Aujourd’hui, plus besoin d’un Adolf hurlant dans un micro pour accepter l’inacceptable : prison pour alcool au volant, retrait de permis, permis à point, gilet jaune, exclusion des fumeurs, exclusion des sdf, exclusion des pauvres, exclusion des gros, chute du pouvoir d’achat, dettes étatiques colossales, détournements de fonds publics, destruction des artisans, etc. La propagande démocratique de la presse, de la radio et de la télévision suffit à ce que le peuple se soumette à la volonté de l’État et de ses experts grassement payés.

Le nazisme a été un système excellent pour les milliardaires des cartels qui permit de ruiner la classe populaire, la classe moyenne et même une bonne partie de la classe bourgeoise. Le nazisme était un modèle exemplaire pour permettre : la soumission, l’ordre, l’esclavage, le racket, l’exploitation, les journées de douze heures, la guerre, les bombes, la famine. Mais, comment un peuple entier a-t-il pu accepter les cartes d’alimentation, la faim, les contrôles incessants, la Gestapo en permanence ? Parce que le peuple allemand avait un bouc émissaire sur qui taper, le « sale » Juif sur lequel il pouvait cracher, se défouler. Bien sûr, une grande partie des Allemands se doutait bien que le petit cordonnier juif de leur quartier n’était pas responsable de leurs misères, de même que le Français de 2011 se doute que le fumeur n’est pas responsable de la multiplication par 100 des cancers des poumons depuis 1945. Mais la propension de l’humain à se mentir à lui-même est sans limite. Cette farce du Juif responsable de sa torture quotidienne lui permettait donc de ne pas avoir à être courageux, de ne pas avoir à affronter de face l’État, seul responsable avec ses amis industriels de ce totalitarisme. Et, bien souvent, les Allemands, peuple très discipliné, se contentaient simplement d’obéir aux ordres de leurs supérieurs. « Mon supérieur veut que je vous interdise de sortir de chez vous après 21h, alors j’exécute les ordres ». « Mon supérieur souhaite vous exproprier de votre logement, alors j’obéis, mais je comprends votre situation désespérée… » Le principal défaut du nazisme était son côté trop rapide et trop voyant. En 2011, le nazisme est beaucoup plus intelligent : il avance de manière progressive et de façon démocratique : les experts pensent que vous devez arrêter de fumer, de boire, de rire, de penser, de désobéir, de manifester, de vous révolter ou de faire du bruit. Le nazisme est la conséquence logique du capitalisme. Pour faire des milliards il faut des usines immenses et des esclaves soumis et pauvres. Pour sortir du nazisme, il faudra sortir du capitalisme, sortir d’un système de domination par un petit groupe, un système où le gigantisme est l’objectif central. Comme le disait Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Un monde humain sera possible lorsque les citoyens auront mis au point des outils pour contrôler, encadrer tous les centres de pouvoir (État, multinationales, banques, médias, OMS, OMC, FMI, BM, Codex Alimentarius, ministres, députés, maires, juges, policiers, etc.). Les humains doivent abandonner la religion capitaliste, la religion technologique, la religion communiste pour apprendre à cultiver ce que l’école et les autorités ne leur enseignent pas : la liberté, l’insoumission, l’autonomie, l’indépendance et le combat de tous les pouvoirs en place.

Voyons maintenant ce qu’était concrètement le nazisme de 1933-1945, avec des extraits d’un livre de Victor Klemperer (1881-1960), universitaire juif allemand victime et rescapé du nazisme, qui racontât dans un livre de plus de 1400 pages sa vie au quotidien sous le joug d’Adolf dans “Mes soldats de papier” et “Je veux témoigner jusqu’au bout”, parus aux éditions du Seuil, en 2000, et en 1995 en Allemagne. Victor Klemperer est aussi l’auteur de l’ouvrage “LTI, la langue du IIIe Reich”, paru en 1996 chez Albin Michel. L’une des raisons de sa survie au nazisme est le fait qu’il était marié à une protestante, les mariages mixtes étaient, en effet, un peu moins persécutés.


Extraits :

2 août 1934
“La langue du IIIe Reich a commencé sur le mode lyrique et extatique, puis elle est devenue langue de guerre, puis elle a glissé vers le mode mécaniste et matérialiste.”
[…]
2 mai 1935
“Mardi matin, sans aucun préavis, deux feuilles délivrées par la poste : « En vertu de l’article 6 de la loi portant rétablissement du fonctionnariat de carrière, j’ai demandé votre révocation. Document de révocation ci-joint. » Le Directeur par intérim du ministère pour l’Éducation populaire.”
[…]
9 novembre 1935
“Nous sommes allés chez les Wengler dans l’après-midi. J’ai été encore une fois incroyablement impressionné de les voir allumer la TSF et passer de Londres à Rome, de Rome à Moscou, etc. Les notions d’espaces et de temps sont annihilées. On ne peut que devenir mystique. Pour moi, la radio détruit toute forme de religion et engendre en même temps la religion. Et cela doublement : a) par le fait qu’il existe un tel miracle, b) par le fait que c’est l’intelligence humaine qui l’invente, l’explique, l’utilise. Mais cette même intelligence humaine tolère sans broncher le gouvernement d’Hitler.”
[…]
16 mai 1936
“Je ne crois plus du tout que ce gouvernement ait encore des ennemis à l’intérieur. Le peuple, dans sa grande majorité, est satisfait, un petit groupe accepte Hitler comme un moindre mal, personne ne veut vraiment s’en débarrasser, tout le monde voit en lui le libérateur des affaires extérieures, tout le monde a peur des conditions russes comme un enfant a peur du croque-mitaine, et tous, dans la mesure où ils ne sont pas sincèrement grisés, jugent inopportun au nom du réalisme politique de s’indigner de bagatelles telles que l’oppression des libertés civiles, la persécution des Juifs, la falsification de toute vérité scientifique, l’annihilation systématique de tout sens moral. Et tout le monde tremble pour son pain, sa vie, tout le monde est si épouvantablement lâche.”
[…]
12 septembre 1937
“Où que j’aille, partout cet écriteau : « Juifs indésirables ! » Et maintenant, pendant le cinquième congrès du parti, cette recrudescence de la haine antijuive. Les Juifs assassinent l’Espagne, les Juifs sont un peuple de criminels, tous les crimes sont à imputer au Juif (Goebbels). Et le peuple est si stupide qu’il croit tout ce qu’on lui raconte. Tout le monde rouspète ; mais personne ne bouge, et la masse finalement croit tout ce qu’on lui raconte.”
[…]
23 mai 1938
“J’avais écrit un jour, dans ma critique de Jolles qu’il ne fallait pas séparer le peuple des intellectuels, mais distinguer dans l’âme de tout un chacun, d’une part la strate du peuple, celle qui relève de l’instinct et qui est susceptible de tomber sous le joug de la suggestion, et d’autre part la strate de la pensée. J’ajoute aujourd’hui que l’éducation sous le IIIe Reich a pour but d’élargir chez tout le monde la strate du peuple au point qu’elle en vienne à étouffer la strate de la pensée : fêtes, rassemblements, presse, émotions nationales, etc.”
[…]
12 juillet 1938
“De nouveau, durcissement invraisemblable de l’antisémitisme. J’ai parlé de l’obligation de déclaration des biens juifs dans une lettre aux Blumenfeld. En plus de cela : interdiction de certaines activités professionnelles, carte jaune pour les cures dans les stations thermales. La « Weltanschauung » se déchaîne sous des allures scientifiques. À Munich se tient la Société académique pour la recherche sur le judaïsme ; un professeur détermine les traits éternels du judaïsme : cruauté, haine, passion, grande adaptabilité au milieu.”
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2 octobre 1938
“La politique est devenue plus que jamais le jeu secret d’une poignée de gens qui décident du sort de millions d’hommes et de femmes en prétendant incarner le peuple. Désespoir grammaticalisé, désespoir inconscient. Mais, pour citer Bernardin de Saint-Pierre : « Si le gouvernement est corrompu, c’est la faute au peuple corrompu. »”
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2 décembre 1938
“À Leipzig, les SA ont versé de l’essence dans la synagogue et dans un grand magasin juif, les pompiers avaient seulement le droit de protéger les immeubles environnants, pas de combattre l’incendie. On a ensuite arrêté le propriétaire du magasin comme incendiaire et escroc à l’assurance.”
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3 décembre 1938
“Aujourd’hui, c’est la « Journée de la solidarité allemande ». Interdiction aux Juifs de sortir de douze heures à vingt heures. Lorsqu’à onze heures et demie, je suis allé à la boîte aux lettres et chez l’épicier, où il m’a fallu attendre, j’ai eu de vrais spasmes cardiaques. Je ne supporte plus cette situation. Hier soir, ordonnance du ministre de l’Intérieur : les autorités locales sont dorénavant habilitées à imposer aux Juifs des restrictions de temps et de lieux dans leur circulation en ville. […] Hier après-midi, à la bibliothèque, le préposé au prêt, Striegel, m’a invité à le suivre dans l’arrière-salle. De la même manière qu’il m’avait annoncé, il y a un an, l’interdiction de la salle de lecture, il m’annonce maintenant l’interdiction totale de la bibliothèque.”
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6 décembre 1938
“Le bon sens juridique de l’homme allemand s’est à nouveau manifesté hier dans une ordonnance, prenant effet immédiatement, du ministre de la Police Himmler : retrait du permis de conduire pour tous les Juifs. Motif : le meurtre commis pas Grünspan prouve que les Juifs ne sont pas « fiables », ils n’ont donc plus le droit de prendre le volant.”
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1er janvier 1939
“Eva (ndlr : sa femme) était profondément exaspérée d’entendre Fräulein Gump dire que rien ne s’arrangerait tant que nous n’aurons pas un État juif quelque part dans le monde. Certes, c’est du pur nazisme, c’est pour moi tout aussi répugnant que pour elle.”
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20 septembre 1939
“Notre situation devient de jour en jour plus catastrophique. Hier nouvelle ordonnance pour les Juifs : compte spécial de garantie à disposition restreinte, obligation de déposer à la banque tout argent liquide. Aujourd’hui : enquête de la police au sujet de nos fournisseurs. Tout indique que nous allons être plus sévèrement rationnés que le reste de la population.”
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9 décembre 1939
“Je suis allé lundi à la Communauté juive, à côté de la synagogue qui a été brûlée puis rasée, pour payer mes impôts et ma cotisation pour l’Aide d’hiver. Grande agitation : les tickets de pain d’épice et de chocolat ont été retirés des cartes d’alimentation « en faveur de ceux qui ont des proches au front ». Les cartes d’habillement devraient elles aussi être rendues : les Juifs n’obtiennent des vêtements que sur demande spéciale auprès de la Communauté. C’était le genre de petite chose qui ne compte plus. Puis le fonctionnaire du parti qui était là a voulu me parler : « Nous vous en aurions de toute façon avisée ces jours-ci : vous devez quitter votre maison d’ici le 1er avril. Vous pouvez la vendre, la louer, la laisser vide, c’est votre affaire, mais vous devez la quitter. Vous avez droit à une pièce. Comme votre femme est aryenne (ndlr : non-juive), on vous accordera deux pièces dans la mesure du possible. » Le fonctionnaire n’était pas du tout impoli, il comprenait parfaitement aussi dans quelle misère nous allions être plongés, sans que quiconque en tire le moindre avantage. La machine sadique nous passe tout simplement sur le corps.”
[…]
6 juillet 1940
“Nouvelle interdiction pour les Juifs : cette fois de pénétrer dans le Grosser Garten et tous les autres parcs. […] Nous allons faire de petites promenades après le dîner, nous profitons de chaque minute jusqu’à neuf heures pile. Quelle inquiétude pour moi, l’idée que nous pourrions rentrer trop tard ! Katz prétend que nous n’avons pas non plus le droit de manger à la gare. Personne ne sait exactement ce qui est permis, on se sent menacé de partout. N’importe quel animal est plus libre et plus assuré juridiquement.”
[…]
9 juillet 1940
“Il se peut que mon scepticisme actuel face aux grandes idées comme patrie, honneur national, héroïsme, etc. soit un signe général de vieillesse. Mais que les idées que je tenais pour certaines et sur lesquelles reposait pour l’essentiel le travail de ma vie s’effondrent totalement… Mon idée de l’Allemagne, brisée depuis des années, et maintenant la France ! Comme si c’était un petit État des Balkans ou la Tchécoslovaquie. Tout d’abord cette cessation des combats : deux millions de soldats se rendent. Metz est prise par une poignée d’hommes, Belfort ne fait pas mine de se défendre, des pans entiers de la ligne Maginot non plus. Et voilà qu’ils convoquent leur Assemblée nationale pour modifier leur constitution dans un sens « totalitaire », qu’ils se battent contre l’Angleterre, à laquelle ils ont déjà porté préjudice en acceptant les conditions de l’armistice, voilà qu’ils menacent de mort tout Français qui continuerait à combattre au sein des forces anglaises, ils se mettent eux-mêmes sous le joug allemand et font de leur pays un protectorat. Que reste-t-il de mon idée de la France ?”
[…]
11 août 1940
“Le téléphone a été supprimé et interdit pour tous les juifs. La nasse dans laquelle nous nous trouvons se resserre de plus en plus.”
[…]
30 août 1940
“Chaque jour, de nouvelles rumeurs circulent au sujet de nouvelles tortures, et jusqu’à présent la plupart ont été avérées. Maintenant, il paraît qu’on a prévu des brassards jaunes pour distinguer les Juifs (ils ont déjà été introduits dans les usines), en outre confiscation des machines à coudre et à écrire juives.”
[…]
10 décembre 1940
“Le Juif, l’Anglais : rien que des collectifs, l’individu ne compte pas. Usage ancien renouvelé, élargi, souligné jusqu’à l’emphase, « idéologisé ». Dans le journal juif que Katz me passe de temps en temps, on peut lire souvent cette expression nauséabonde : « l’homme juif ». Katz dit : la doctrine de la race de Herzl (ndlr : l’un des promoteurs du sionisme au début du 20e siècle) est la source des nazis, ils ont copié le sionisme par l’inverse.”
[…]
23 juin 1941
“J’ai dit : de la même manière que le tribun de Rousseau s’adresse sur l’agora à la cité-État, Hitler s’adresse par la radio à tout le monde. Il y a une différence majeure. L’homme de Rousseau et après lui, les hommes de la Révolution française s’adressent à une assemblée populaire physiquement présente, ils doivent s’attendre à tout moment à des objections, ce sont des orateurs parlementaires, ils ne peuvent pas raconter n’importe quoi, ils sont obligés de discuter, d’argumenter, ils sont freinés dans leurs ardeurs. Les nouveaux Führers parlent seuls, personne ne peut les contredire, ils parlent devant un parlement fantoche muet comme ils parlent à la radio, ils n’ont à craindre aucune critique de la presse, ils sont totalement effrénés. Ils cherchent sans aucun scrupule à abrutir les masses muettes, ils aspirent à faire de cette multitude d’individus doués d’âme le corps collectif mécanisé qu’ils appellent peuple et qui n’est plus que masse.”
[…]
8 septembre 1941
“Ce matin, Frau Kreidl, les traits décomposés, blême, nous a apporté la nouvelle : le Journal officiel du Reich annonce que les Juifs vont devoir porter un brassard jaune. Pour nous, c’est un chavirement, une catastrophe.”
[…]
15 septembre 1941
“Le brassard juif devenu réalité sous forme d’étoile de David, entre en vigueur le 19 septembre. En outre : interdiction de quitter le périmètre urbain. Frau Kreidl était en larmes, Frau Voss a eu une crise cardiaque. Friedheim déclare que c’était le coup le plus dur jusqu’à présent, pire que le prélèvement sur la fortune. Moi-même, je me sens brisé, totalement décontenancé. Eva, qui peut maintenant bien marcher, veut se charger à ma place de toutes les courses, et j’ai décidé de ne quitter la maison que la nuit tombée pour quelques minutes seulement. […] Le manque de tabac est tel que je suis forcé depuis deux jours de vivre sans fumer du tout, aujourd’hui plus dur que jamais. On peut encore en dégoter ici ou là quelques cigarettes (qui ne me disent rien). Hochgemuth fournit encore Eva, lui donne encore cinq cigarillos par semaine, il m’arrive encore d’eux ou trois chez Walter dans la Moritzstrasse. La plupart du temps il est fermé pendant l’heure juive. Walter est supprimé à partir de vendredi, combien de temps encore et en quelle quantité Hochgemuth va-t-il livrer ? Eva va être aussi échec et mat dans peu de temps en ce qui concerne la possibilité de fumer. À partir de vendredi elle va devoir faire tous les jours la cuisine à la maison pour nous deux. Mais faire la cuisine avec quoi ? La gêne se fait de plus en plus oppressante, nous n’avons plus de pommes de terre et il pleut, il pleut depuis des semaines.”
[…]
13 octobre 1941
“Le cordonnier : « À partir de maintenant, envoyez donc votre épouse. La corporation interdit strictement qu’on travaille pour vous. Vous devez aller chez le cordonnier juif. »”
[…]
9 novembre 1941
“Les déportations se poursuivent vers la Pologne, dépression extrême partout chez les Juifs. J’ai rencontré les Neumann à l’école normale primaire dans la Teplizer Strasse (ndlr : rue se dit « Strasse » en allemand), eux d’habitude si vaillamment optimistes étaient complètement effondrés, ils avançaient l’idée du suicide. Une possibilité d’aller à Cuba venait de s’offrir à eux au moment même où l’arrêt absolu de toute émigration est entré en vigueur. À Berlin, l’oncle de Frau Neumann, le frère aîné d’Atchen Fink, presque soixante-dix ans, s’est suicidé avec sa femme au moment où ils devaient être déportés. Neumann m’a dit qu’il préférait mourir et savoir sa femme morte plutôt que de la voir : « couverte de poux à reconstruire Minsk ».”
[…]
17 janvier 1942
“L’usine Zeiss-Ikon se bat pour conserver sa section juive qui est bien rôdée. Elle doit employer dans les 400 personnes. Dans un premier temps, tous devaient être déportés. Une première réclamation hier a permis d’en garder la moitié. L’usine semble avoir fait appel à une commission militaire, et il est possible que d’autres libérations aient lieu aujourd’hui. Paul Kreidl se trouve dans un autre Arbeitseinsatz (ndlr : travail forcé) ; il est travailleur de force à la construction ferroviaire. C’est lui qui avait récemment exprimé la crainte que les convois de Juifs ne soient fusillés à leur arrivée.”
[…]
16 mars 1942
“Fräulein Ludwig nous a envoyé une tête de poisson pour Muschel (ndlr : son chat), elle avait obtenu ce poisson par des amis en tant qu’Aryenne. Le poisson est excessivement rare et strictement interdit aux ménages juifs. Instruction : faire aussitôt bouillir la tête, brûler les arêtes ! La peur de la Gestapo. 90 % de toutes les conversations des Juifs tournent autour des perquisitions de la Gestapo. Friedmann, qui a été arrêté récemment, on a, paraît-il, trouvé chez lui une quantité assez importante de vin et de conserve de fruits. Il se trouve maintenant en camp de concentration.”
[…]
14 mai 1942
“ Deux jeunes garçons, six et douze ans à peu près, pas prolétaires, viennent à ma rencontre sur un trottoir étroit. Le plus vieux pousse en chahutant son petit frère contre moi au moment de me croiser et me lance « sale Juif ! ». Il devient de plus en plus difficile de supporter toute cette infamie. Et toujours cette peur de la Gestapo.”
[…]
15 mai 1942
“Il est interdit aux Juifs portant l’étoile et à toute personne habitant avec eux de garder des animaux d’intérieur (chiens, chats, oiseaux), l’interdiction prend effet immédiatement. Il est également interdit de donner ces animaux aux soins d’un tiers. C’est la sentence de mort pour Muschel, que nous avons eu pendant plus de onze et auquel Eva tient beaucoup.”
[…]
18 mai 1942
“Un homme de quatre-vingt-cinq ans avait longé le Grosser Garten. J’ai appris hier que le trottoir qui longe le parc faisait partie de la zone interdite aux Juifs. Il a été convoqué à la Gestapo et tellement roué de coups qu’il a fallu venir le chercher pour le ramener chez lui et le mettre au lit.”
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23 mai 1942
“Dans notre appartement, après le passage de la Gestapo, j’ai trouvé le chaos laissé par des brutes simiesques, ivres et cruelles, exactement cette dévastation bestiale dont j’avais si souvent entendu parler, mais qui, dans sa réalité est monstrueusement impressionnante.”
[…]
19 juillet 1942
“Premier jour de faim véritablement cruelle. Un minuscule reste de pomme de terre, si noir, et si puant qu’il soulève l’estomac, un minuscule reste de pain. Pour Eva non plus rien à dénicher parce qu’elle n’a plus de tickets. Demain, elle va devoir mendier chez Frau Fleischer.”
[…]
21 août 1942
“Sur un quart de page de journal, j’ai trouvé ce titre dans la rubrique culturelle : « Humanité ordonne ! » Curieux qu’il soit autorisé ; car il est « idéologiquement » un persiflage de la formule « Führer ordonne ». À cette occasion, j’ai compris à quel point cette formule est centrale dans tout le système de pensée du national-socialisme, et combien se révèle justement ici une racine, et peut-être la plus puissante, du national-socialisme et du fascisme. La lassitude d’une génération. Elle veut se libérer de la contrainte d’une vie propre.”
[…]
8 septembre 1942
“Il y a seulement un an, Zeiss-Ikon employait 7 000 ouvriers allemands ; aujourd’hui il n’y a plus que 500 Allemands, le reste, les 6 500 ont été remplacés par des étrangers, des Russes, des Polonais, des Français, des Hollandais, etc. 6 500 ouvriers forcés, des étrangers, des ennemis pour seulement 500 Allemands, c’est tout de même une situation extrêmement morbide et symbolique de l’état actuel de l’Allemagne.”
[…]
29 décembre 1942
“ La sœur cadette de Frau Glaser nous a dit que Vienne était sur le point d’être totalement vidée de ses Juifs, Berlin aussi procède maintenant à des évacuations massives. Elle a parlé de cruautés épouvantables à l’encontre des Juifs roumains. Ils ont dû creuser leur propre fosse commune, se dénuder, puis ils ont été abattus.”
[…]
10 septembre 1944
“Nouvelles dispositions de « totalisation » : universités en grande partie fermée, les classes supérieures des écoles secondaires envoyées au travail d’usine, toutes les revues à part celles qui sont importantes pour la guerre supprimées, dissolution du ministère des Finances prussien, reprise par le Reich.”


Source “Nos Libertés”

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