LA GRANDE DÉPRESSION DES MÉDIAS FRANÇAIS
Les études d’opinion le montrent année après année : les Français
figurent parmi les peuples les plus pessimistes au monde. Pour expliquer ce
phénomène, les analystes convoquent toute une série d’hypothèses : le complexe
de l’ancienne grande puissance coloniale, la tradition nationale de défiance
envers le pouvoir (héritée d’une monarchie longtemps autoritaire et d’une
République instable), ou encore un goût prononcé pour les « passions tristes »,
nourri par une culture littéraire et artistique du tragique - de Pascal à Camus
en passant par Baudelaire. Curieusement, le rôle des
médias dans ce climat de morosité collective est rarement interrogé. Et
pourtant…
DES RÉDACTIONS AIMANTÉES PAR LE DRAME
Rares sont les pays où le flux d’informations morbides, anxiogènes ou
catastrophistes atteint un tel niveau. Faits divers sordides, catastrophes
naturelles, crimes, arnaques et faillites en série : l’actualité française
semble ne connaître que la noirceur. Selon notre décompte réalisé depuis le 1er
septembre 2025, 76 % des cinq premiers titres des
journaux télévisés de TF1 et France 2 relèvent du registre dramatique ou
négatif. Le constat est le même dans la presse écrite : les unes de
Le Point, Marianne, Valeurs Actuelles ou L’Express rivalisent de mots
anxiogènes - « crise », « effondrement », « colère », «
menace », « déclin ». Quant au groupe Bolloré, il a fait de la
pulsion mortifère et du catastrophisme permanent un modèle économique : plus c’est sombre, plus ça attire.
DES ÉDITORIALISTES EN DÉTRESSE EXISTENTIELLE
Le ton dominant sur les plateaux et les antennes est rarement à la
nuance ou à la sérénité. Des figures comme Natacha Polony (France Inter),
Franz-Olivier Giesbert (Europe 1), François Lenglet (LCI), Pascal Praud (CNews
et Europe 1), Jean-Michel Aphatie (TMC) ou Béatrice Saporta (RTL) déclinent,
chacun à sa manière, la même mélodie du déclin :
la France serait en train de mourir, l’école s’effondre, la jeunesse ne croit
plus en rien, la démocratie vacille. Le commentaire
politique s’est mué en psychodrame national permanent, où l’indignation fait
office d’analyse et la colère de réflexion.
UNE MÉLANCOLIE MÉDIATIQUE AUTO-ENTRETENUE
Ce climat éditorial délétère ne se contente pas de refléter la réalité
sociale : il la modèle. À force d’entendre que tout va
mal, les Français finissent par le croire. Obsédées par l’audience
instantanée et la compétition entre chaînes d’info, les rédactions privilégient
l’émotion au détriment du recul et de la nuance. Résultat : une boucle de
rétroaction dépressive, où les médias amplifient la peur qu’ils prétendent
simplement relater. Les mêmes s’étonnent ensuite de «
la baisse de confiance des ménages » ou du ralentissement de la consommation.
Mais comment pourrait-il en être autrement, quand du matin au soir le pays est
abreuvé de récits anxiogènes - les fermetures d’usines sur France 2, les débats
sans fin sur la réforme des retraites sur France Inter, ou les vociférations
syndicales relayées en boucle sur France Info ? Le
pessimisme français n’est donc pas seulement culturel ou historique : il est
médiatiquement produit, scénarisé et entretenu. La « déprime
nationale » a trouvé son principal fournisseur : un système médiatique converti
à la dramaturgie permanente et à la fascination du pire.
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