Emmanuel Macron lors de la conférence de presse
donnée à Kiev le 16 juin 2022. | Ludovic Marin / Pool / AFP
Emmanuel Macron victime de sa légèreté
Il avait tout pour lui mais, par désinvolture, il a gâché sa propre réélection et celle de sa majorité. Après avoir chamboulé le jeu électoral droite-gauche de la Ve République, Emmanuel Macron a cassé son propre jouet.
En 2017, Emmanuel Macron
avait brouillé les cartes et changé les règles d'un jeu qu'on pensait figé à
jamais. Consubstantiel à la Ve République, l'affrontement droite-gauche
fut, en quelques mois, balayé. Un jeu de quilles, un désordre inédit d'où
sortit, goguenard, un gamin, entre Rastignac et Tintin, qui raflait la
mise sans coup férir. Cinq ans après, le désordre est toujours là; il s'est
même accru. Mais le désordre s'est vengé de celui qui l'a créé. Par désinvolture,
le président mord la poussière.
Le candidat Cerfa
Reprenons les faits de cette
double campagne ratée.
Mauvais calcul? Vanité?
Orgueil? Désintérêt? Mépris? Condescendance? Maladresse? Parmi les mots qui
viennent à l'esprit pour qualifier la double campagne –ou non-campagne– d'Emmanuel
Macron, ce sont peut-être ceux de légèreté ou de désinvolture qui conviennent
le mieux.
Cinq ans à l'Élysée? Un tel
séjour change un homme. Sans doute ne voit-il plus le monde comme il le
faudrait. Submergé de dossiers, peut-être écoute-t-il un peu moins les ronchons
et davantage les flatteurs. Au palais, on s'isole. Réduite en notes et
statistiques, la perception de la réalité s'émousse et il ne reste plus guère
de temps pour la proximité. Emmanuel Macron a oublié ce qu'était une campagne.
Au candidat inventif,
disruptif, combattif, volontaire et optimiste de 2017 a succédé un habitué
des lieux, prêt à renouveler son bail en signant un formulaire Cerfa, et
quelque peu surpris –on n'ose dire ennuyé– qu'on lui demande de faire campagne.
Le débat, pris de haut
Car il fallait prendre cette
campagne à bras le corps, se mettre en scène, flatter le cul des vaches,
arpenter les rues, bouffer des rillettes et boire des canons, trouver
magnifique le reblochon et sublime la betterave, s'inviter à Pôle emploi, accepter
un collier de fleurs ultramarin, observer une chaîne de montage, faire du
people, pousser un caddie dans un supermarché. Certes, le président avait
arpenté la France pendant cinq ans; mais ces «miles» ne sont jamais portés au
crédit du candidat.
Qu'a-t-il bien pu se passer
dans le cerveau élyséen? Une conjoncture incroyablement favorable le portait.
Certes, la présidence de l'Union européenne obligeait Emmanuel Macron. Mais la
«fin» de la crise sanitaire offrait un espace de liberté retrouvée. Puis la
Russie envahissait l'Ukraine, faisant du chef des armées un chef de
guerre. La percée dans les sondages fut immédiate.
Alors, par l'enchaînement
des événements, le candidat disparut. Sans doute a-t-il cru revivre les
circonstances heureuses de 2017, avec le renoncement de François Hollande et l'échec
industriel de François Fillon. Mais, enfin, où était-il écrit que l'on gagne
sur un coup de dés, par discrétion, par évitement, presque par effraction?
Pourquoi débattre avec ceux qui ne lui arrivaient pas à la
cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt.
Et, évidemment, plus que
jamais, il fallait débattre. Après un quinquennat où l'affrontement fut
fréquent, ses adversaires, comme l'électorat, l'attendaient dans l'arène.
Macron, redoutable débatteur, n'avait rien à craindre: sa connaissance des
sujets et l'expérience de la fonction lui donnaient un avantage évident. La
constitution de la Ve République, qui réduit –réduisait– l'opposition
à de la figuration, fige et caricature les échanges.
Le besoin de débat était
légitime. Bien sûr, un pugilat à douze eût été absurde lorsqu'un débat à
trois ou quatre était envisageable, et même utile. Le président-candidat refusa
et se contenta du service institutionnel minimum dans l'entre-deux-tours.
L'audace de 2017 avait fui, grippée par l'embourgeoisement de 2022.
Président partout, candidat nulle part
Un embourgeoisement et une
manière de suffisance aussi. Bien, vite, aucune candidature ne parut en mesure
de contester sa victoire. Dès lors, pourquoi débattre avec ceux qui ne lui
arrivaient pas à la cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt.
Le président méprisait, se dérobait: ses adversaires ne se privèrent pas de le
lui reprocher. Et l'opinion acquiesça qui, bien vite, oublia l'Ukraine pour ne
s'intéresser qu'au plein de diesel. Macron distribua des chèques
cadeaux qui ne calmèrent aucune inquiétude ni aucun ressentiment.
Ses adversaires couraient de
plateau en plateau et leur omniprésence rappelait à tout instant son absence.
Où était-il? Dans son
palais. À Bruxelles. Loin. Il se déguisa en Zelensky. Peut-être
s'ennuyait-il. Cette élection? Une formalité, mais un pensum aussi.
Il partit enfin dans l'arène, puisqu'il le fallait. Dans des débats publics, que ses adversaires dénoncèrent comme préparés (eux-mêmes se gardant bien d'en faire) et qui ne l'étaient pas tout à fait. Il s'en sortit honorablement. Mais les médias, vexés eux aussi de son refus du pugilat télévisé, n'en retenaient que les points négatifs.
C'était comme une punition dont on ignorait l'origine, une manière
de défi: vous voterez pour moi malgré tout.
Peu importait, c'était déjà
plié.
La folle campagne de
2017 était loin. Cinq ans après, plus rien ne surprenait et même
l'enthousiasme des supporters semblait surjoué. Absents des réseaux sociaux, où
les fans de Zemmour et Mélenchon faisaient le spectacle, les macronistes
n'avaient que du désarroi à offrir.
La retraite à 65 ans, une punition sans explications
Pour affaiblir le camp de la
droite, Macron dégaina une retraite à 65 ans. C'était un chiffon
rouge, un cadeau fait à ses adversaires qui s'en emparèrent comme d'un totem.
Il en resta là.
65 ans, et puis plus rien.
Dans une campagne, les propositions doivent se cogner, se frictionner, se
frotter à l'adversaire comme à la population, évoluer, disparaître ou
percer. 65 ans: pour qui? Pourquoi? On l'ignorait. C'était comme une punition
dont on ignorait l'origine, une manière de défi: vous voterez pour moi malgré
tout.
La victoire suivit, plus
large qu'attendue. Mais peut-on tirer gloire d'obtenir 58% des voix face
à la présidente du Rassemblement national? De ce deuxième tour, au fond
étriqué, il ne tira nulle leçon.
Des législatives gagnées d'avance
Pis: il récidiva. En
choisissant un gouvernement où la compétence des ministres masquait mal leur
faiblesse politique et, plus encore, l'impossibilité pour le président de faire
bouger les lignes. Le voyant affaibli, ses adversaires ne lui firent pas le
cadeau d'un ralliement, d'autant plus qu'ils savaient la faible valeur d'un
maroquin avant les élections législatives.
Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat n'avait
qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron.
Par nature, ou par
mimétisme, Élisabeth Borne ne fit pas davantage campagne que le président.
Les parlementaires de Renaissance partaient au front, sans enthousiasme et sans
soutien. Macron leur fit l'aumône de quelques brefs discours, trop alarmistes
pour être crédibles.
Fait-on campagne sur le
tarmac lorsqu'il n'y a plus d'huile d'arachide ni de moutarde en rayons?
Quel ennui cette campagne et quelle tristesse que ces préoccupations si terre à
terre! De toutes façons, tous le disaient, les législatives ne sont là que pour
donner une majorité au président élu. Une formalité!
La détestation comme bulletin de vote
Léger, absent, désinvolte:
Macron a cru qu'il pourrait gagner à Kiev ou à Bruxelles. Se croyant
irrésistible comme en 2017, il a ignoré la haine, tenace, que sa personnalité
suscite. Au point de faire de chacun de ces quatre tours un référendum
progressif contre lui. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat
n'avait qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron. Après sa
victoire en 2017, il avait déclaré vouloir tout faire pour que l'électorat
n'ait «plus aucune raison de voter pour les extrêmes». En juin 2022,
l'extrême gauche et l'extrême droite sont les principaux partis d'opposition.
Et, fait majeur, le RN passe devant Les Républicains. L'échec est total.
Il serait injuste de faire
de Macron le seul responsable de ce nouveau bouleversement. Entamée il y a
trois décennies, la progression du Front national continue et il n'a pu, comme
ses prédécesseurs, l'entraver. Observable dans la plupart des mouvements
sociaux, la radicalisation de la gauche a désormais un relais politique majeur,
celui de la gauche d'opposition, qui a avalé la gauche de
gouvernement. L'abstention progresse inexorablement et la voie «raisonnable» du
centre n'enthousiasme plus guère.
Demain, peut-être, le président
trouvera une coalition inédite, «à l'allemande», qui mettrait fin à notre
passion du fait majoritaire. Et il pourrait, d'une pirouette, y voir une
adéquation avec sa volonté de rassemblement. Mais pour quel projet? Comme ses
supporters, chez qui la déception est à la hauteur de l'occasion gâchée,
Emmanuel Macron sait que cet échec est avant tout le sien. C'est l'échec d'un
enfant gâté de la démocratie qui a trop cru en sa bonne étoile et
refusé la violence d'une campagne électorale avant de la recevoir en boomerang.
Source :
Slate.fr Jean-Marc Proust — Édité par Thomas Messias
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