Milan Kundera
L’insoutenable légèreté de l’être
Traduit de tchèque par François Kérel
Postface de François Ricard
(4ème de couverture)
« Qu’est-il resté des agonisants
du Cambodge ?
Une grande photo de la star américaine
tenant dans ses bras un enfant jaune.
Qu’est-il resté de Thomas ?
Une inscription : Il voulait le
Royaume de Dieu sur la terre.
Qu’est-il resté de Beethoven ?
Un homme morose à l’invraisemblable
crinière, qui prononce d’une voix sombre : « Es muss
sein ! »
Qu’est-il resté de Franz ?
Une inscription : Après un long
égarement, le retour.
Et ainsi de suite, et ainsi de suite.
Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la
station de correspondance entre l’être et l’oubli. »
(1ere phrase :)
L’éternel retour est une idée
mystérieuse et, avec elle, Nietzsche a mis bien des philosophes dans
l’embarras : penser qu’un jour tout se répétera comme nous l’avons déjà
vécu et que même cette répétition se répétera encore indéfiniment ! Que
veut dire ce mythe loufoque ?
(Dernière phrase :)
D’en bas leur parvenait l’écho
affaibli du piano et du violon.
475
pages – Editions Gallimard 1987 (1989 pour la traduction française et la
postface de François Ricard)
(Aide mémoire perso :)
Peut-on parler de roman à thèse, à propos de L'Insoutenable Légèreté de l'être ?
Les deux premiers chapitres s'attachent à expliquer le titre,
par une référence à Nietsche et à l'éternel retour. Le romancier annonce la
couleur : c'est, de toute évidence, une vision tragique de l'existence que
donne le récit, puisque, faute de toute reprise
possible, la vie n'est qu'un essai. La vie est une répétition (au sens théâtral du terme) qui ne débouche sur
aucune représentation : faute de partition à exécuter, toute existence est à la
fois première et dernière. On pense à Sartre, à l'existentialisme athée.
On ne saurait toutefois réduire ce roman à une thèse ; les idées
qui parcourent l'œuvre de Kundera ont été fort bien dégagées par Nancy Huston
dans Professeurs de désespoir
(Actes sud). Mais le plus intéressant demeure que chaque roman est avant tout
une interrogation sur l'existence : ses possibilités, ses choix, ses limites, ses sens possibles. La fiction permet
de mener à bien cette recherche sur l'angoissante liberté qui est la nôtre,
avec, précisément, la liberté qui est le propre du genre romanesque.
C'est pourquoi Kundera refuse de se laisser prendre au piège des mots : même (et
surtout) les mots connotés le plus positivement (compassion, beauté, amour,
etc.) sont soumis à une implacable mise
en situation ; ils sont, littéralement, mis au monde ; et non seulement les mots, mais les figures qui,
par leur ancienneté, dessinent les contours de dangereuses illusions («L'amour
commence par une métaphore. Autrement dit : l'amour commence à l'instant où une
femme s'inscrit par une parole dans notre mémoire poétique.», p. 301). Les
certitudes tissent ainsi autour de nous une toile qui se veut rassurante, mais
qui nous emprisonne et nous tue : c'est le décor poétique de l'idylle et du
kitsch, critiqué avec violence dans la Ve partie... autant de «mensonges
visibles» (donc beaux, poétiques), qui déguisent la fascination pour la
faiblesse, et occultent l'«incompréhensible» liberté qui est la seule vérité.
Ce qu'on aperçoit alors (dans cette déchirure
que Sabina, une des maîtresses de Tomas, représente sur ses toiles) est une
liberté étourdissante (celle, justement, qui caractérise le personnage de
Sabina), faite de trahisons et d'infidélités.
Le lecteur voit ainsi - de manière tangible, parce que narrée,
décrite - les significations mensongères (politiques, philosophiques,
culturelles), se déchirer - il
assiste au surgissement de l'incompréhensible dans le visible, c'est-à-dire de
la vérité dans le mensonge.
Par conséquent, le récit joue avec les attentes et les émotions
du lecteur de roman, pour les déjouer,
au moment même où elles pourraient être satisfaites. Ainsi, le narrateur
intervient ostensiblement, soit pour développer des idées philosophiques et
protéger le lecteur contre ses propres certitudes, qui fausseraient sa lecture,
soit pour rappeler que le roman est une fiction (p. 63, par exemple) - ce qui
ne laisse pas d'être déstabilisant.
L'idée du roman,
c'est donc cette liberté : ni heureuse ni malheureuse, elle est, tout
simplement, le partage des personnages de cette fiction. Et il y a, en
nous-mêmes, quelque chose de ces personnages, qui nous parlent. Prenons l'amour : «les amours sont comme les
empires : que disparaisse l'idée sur laquelle ils sont bâtis, ils périssent
avec elle» (p. 247). Mais, privé de toute assise certaine, l'amour peut être beau, car il est «ce qui n'appartient
qu'à nous et par quoi nous échappons au Créateur. L'amour, c'est notre
liberté.» (p. 341)
Cette histoire d'amour et de liberté est une histoire venue de
l'est, dans le contexte du "printemps" et (comme l'a appelé Dubcek
lui-même) "l'hiver de Prague" : l'histoire politique d'un
emprisonnement politique, militaire, idéologique à l'échelle d'un pays (et de
toute l'Europe orientale soumise à la Russie), à lire conjointement avec le
journal de Jan Zabrana (1931-1984), Toute
une vie (Allia, 2005).
De L'Insoutenable
Légèreté de l'être, nous pourrions dire que c'est le roman de la crise de la liberté individuelle, une
liberté qui cherche à se donner un sens, et qui n'en trouve pas d'autre
qu'elle-même. Cette évidence se montre avec la brutalité et la clarté du mythe
intemporel d'Œdipe. Au règne des certitudes, l'expérience romanesque oppose
l'évidence de l'absurde.
Du coup, c'est incontestablement l'autre qui en fait les frais :
le roman de Kundera n'est pas un roman sur l'autre.
La Ve partie et la VIe partie s'orientent nettement vers la
démonstration. L'argumentation gagne le récit, et les personnages y perdent en
profondeur.
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