lundi 5 octobre 2015

Billets-Lettre ouverte à Alain Finkielkraut par Maurice Szafran


Lettre ouverte à Alain Finkielkraut par Maurice Szafran

Je n'ai jamais supporté, cher Alain Finkielkraut, que l'on tente de vous transformer en intellectuel organique de l'extrême droite. J'entends, même si je le réprouve, votre attachement culturel à Renaud Camus. Mais Morano, franchement…
  
Cher Alain Finkielkraut,
Il y a peu, j'ai refermé votre nouveau livre, "La seule exactitude" dont le titre est tiré d'une citation de Charles Péguy, ce moraliste que vous aimez tant : "Se mettre en avance, se mettre en retard, quelles inexactitudes. Être à l'heure, la seule exactitude". J'ai beaucoup aimé cet opus qui rassemble des textes épars, mais d'une indéniable et impressionnante cohérence, consacrés à l'actualité de ces deux dernières années. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de l'écrire ailleurs, notamment dans ma chronique du Magazine Littéraire et j'y reviendrai bientôt dans la page "livres" de Challenges. J'y ai admiré la puissance et la fluidité de l'écriture qui fait sans doute aujourd'hui de vous le prosateur français le plus accompli en compagnie de Bernard Henri Lévy et de Régis Debray, ce dernier avec qui vous partagez désormais tant de points et de combats communs à  l'exception d'Israël. De nombreux passages, mais vous le savez déjà, m'ont agacé, parfois irrité, mais c'est le jeu quand on accepte de se frotter au débat d'idées.

Vous êtes à mon goût trop focalisé sur cette affaire dite de "l'identité nationale", la France qui, dès aujourd'hui et demain à coup sûr, ne sera plus la France, dépossédée de son histoire, de sa culture, de ses racines judéo-chrétiennes, de sa langue, de ses principes républicains, la France, votre France, notre France prise d'assaut par l'idéologie islamiste et ses guerriers de l'intérieur. Comme vous, l'intégration de l'islam en France me préoccupe et, comme vous, j'estime que l'islam doit se plier aux règles républicaines du vivre ensemble, et non pas l'inverse. Il n'empêche que votre nostalgie de plus en plus exacerbée me semble hors de propos, et même dangereuse parce que sans issue politique ni collective. La déprime n'est pas une solution pour la France et les Français. Or vous ne nous offrez aucune autre perspective tant le bilan et les perspectives sont sombres et, j'oserai le mot, glauques. Enfin je m'abstiendrai de tout commentaire superflu concernant votre dénonciation désormais névrotique de l'antiracisme et des antiracistes qui, à eux seuls, incarnent une espèce de quintessence du mal. Vous n'avez pas l'impression de forcer outrageusement le trait ? D'inverser l'ordre du mal ? Vous trouvez toujours bien des excuses aux errements du raciste ; jamais à ceux de l'antiraciste, pourtant beaucoup moins graves du seul point de vue éthique. Je soulignerai volontiers que cette hystérie est étrange, mais je ne prétends pas à la psychanalyse. Au moins m'aidez-vous à réfléchir et, sans aucun doute à progresser dans mon cheminement. Que peut-on demander de plus ou de mieux à un intellectuel ?

"J'estime que, parfois, vous déraillez. Gravement"
Je n'ai jamais supporté, cher Alain Finkielkraut, que l'on tente de vous caricaturer, puis de vous transformer en intellectuel organique de l'extrême droite. Il suffit de vous lire avec attention pour comprendre qu'au delà des excès répertoriés ci-dessus - et je ne les mésestime pas -, votre tradition reste celle des républicains de gauche ; vous revendiquez d'ailleurs la filiation de Jean Daniel ou celle de Claude Lévi-Strauss et il n'y a aucune raison de ne pas vous en donner acte, même si par ailleurs votre hyper conservatisme vous éloigne quelque peu de vos deux "maîtres" qui, eux, se sont toujours revendiqués du progressisme dont ils mesuraient pourtant les limites. Il n'en est pas moins indubitable que vous êtes devenu le penseur référent de la bourgeoisie de droite, celle qui achète des livres, celle qui se plonge dans Le Figaro Magazine et Le Point. Il suffit d'ailleurs de constater la place conséquente que, couverture après couverture, ces deux hebdomadaires vous offrent pour comprendre l'influence que vous exercez sur leurs lecteurs et tant d'autres Français qui épousent vos analyses, vos colères, vos combats. Votre position de force ne vous donne, à mon sens, que davantage de responsabilité. Or, et c'est là que je voulais en venir vous en vous doutiez, j'estime que, parfois, vous déraillez. Gravement. Je songe par exemple, vous l'avez déjà compris, à votre récente défense de Nadine Morano, tant au micro de la Matinale de France Inter que sur le plateau de "On n'est pas couché", le talk show (ça s'appelle comme cela dans cette novlangue qu'à raison, vous détestez tant) de Laurent Ruquier, l'émission la plus influente de la télévision française.

"Votre soutien à Nadine Morano ne m'a pas surpris. Peiné, oui..."
Depuis quelques années déjà, vous vous êtes fait, au nom de votre lutte acharnée contre une omniprésente "pensée unique" (incarnée par les tenants de la social-démocratie, de l'antiracisme, vos deux exécrations) l'avocat des indéfendables. Je songe à votre si cher ami, l'écrivain Renaud Camus. Son antisémitisme ne se discute pas puisqu'il l'a écrit, noir sur blanc, dénonçant les collaborateurs juifs de France Culture. Aucune importance, vous n'avez cessé de le soutenir. Camus a fini par rejoindre Marine Le Pen. Aucune importance, vous avez à peine relevé ce ralliement. Quand Camus a théorisé le "grand remplacement" (celui des Français-blancs-de souche, on y arrive - par les envahisseurs musulmans), votre silence m'a stupéfait. En quelque sorte, il valait absolution. Pourquoi ? Parce que Renaud Camus aurait du style et que son maniement de la langue française vous charme ? Céline, Drieu La Rochelle, Brasillach et Rebatet en avaient davantage que lui. Vous reprochez à tous ceux que vous dénoncez leur "esprit de système". Mais, apparemment, vous souffrez d'un mal identique. Votre soutien à Nadine Morano ne m'a pas surpris. Peiné, oui, étonné, pas du tout.

Cette fois pourtant, cher Alain Finkielkraut, vous me désarçonnez plus qu'à l'accoutumée. J'entends, même si je le réprouve, votre attachement culturel, quasi stylistique à Renaud Camus. Mais Morano, franchement... Comment avez-vous pu affirmer chez Ruquier que "Nadine Morano qui cite (NDLR: mal) de Gaulle, ça devient Hitler"... Non, pas vous. Pas ça... Pas cette comparaison oiseuse. Elle ne vous mérite pas, vraiment pas.


Source challenges.fr

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