mercredi 5 novembre 2025

Billets-La grande dépression des médias français

 


LA GRANDE DÉPRESSION DES MÉDIAS FRANÇAIS

Les études d’opinion le montrent année après année : les Français figurent parmi les peuples les plus pessimistes au monde. Pour expliquer ce phénomène, les analystes convoquent toute une série d’hypothèses : le complexe de l’ancienne grande puissance coloniale, la tradition nationale de défiance envers le pouvoir (héritée d’une monarchie longtemps autoritaire et d’une République instable), ou encore un goût prononcé pour les « passions tristes », nourri par une culture littéraire et artistique du tragique - de Pascal à Camus en passant par Baudelaire. Curieusement, le rôle des médias dans ce climat de morosité collective est rarement interrogé. Et pourtant…

DES RÉDACTIONS AIMANTÉES PAR LE DRAME

Rares sont les pays où le flux d’informations morbides, anxiogènes ou catastrophistes atteint un tel niveau. Faits divers sordides, catastrophes naturelles, crimes, arnaques et faillites en série : l’actualité française semble ne connaître que la noirceur. Selon notre décompte réalisé depuis le 1er septembre 2025, 76 % des cinq premiers titres des journaux télévisés de TF1 et France 2 relèvent du registre dramatique ou négatif. Le constat est le même dans la presse écrite : les unes de Le Point, Marianne, Valeurs Actuelles ou L’Express rivalisent de mots anxiogènes - « crise », « effondrement », « colère », « menace », « déclin ». Quant au groupe Bolloré, il a fait de la pulsion mortifère et du catastrophisme permanent un modèle économique : plus c’est sombre, plus ça attire.

DES ÉDITORIALISTES EN DÉTRESSE EXISTENTIELLE

Le ton dominant sur les plateaux et les antennes est rarement à la nuance ou à la sérénité. Des figures comme Natacha Polony (France Inter), Franz-Olivier Giesbert (Europe 1), François Lenglet (LCI), Pascal Praud (CNews et Europe 1), Jean-Michel Aphatie (TMC) ou Béatrice Saporta (RTL) déclinent, chacun à sa manière, la même mélodie du déclin : la France serait en train de mourir, l’école s’effondre, la jeunesse ne croit plus en rien, la démocratie vacille. Le commentaire politique s’est mué en psychodrame national permanent, où l’indignation fait office d’analyse et la colère de réflexion.

UNE MÉLANCOLIE MÉDIATIQUE AUTO-ENTRETENUE

Ce climat éditorial délétère ne se contente pas de refléter la réalité sociale : il la modèle. À force d’entendre que tout va mal, les Français finissent par le croire. Obsédées par l’audience instantanée et la compétition entre chaînes d’info, les rédactions privilégient l’émotion au détriment du recul et de la nuance. Résultat : une boucle de rétroaction dépressive, où les médias amplifient la peur qu’ils prétendent simplement relater. Les mêmes s’étonnent ensuite de « la baisse de confiance des ménages » ou du ralentissement de la consommation. Mais comment pourrait-il en être autrement, quand du matin au soir le pays est abreuvé de récits anxiogènes - les fermetures d’usines sur France 2, les débats sans fin sur la réforme des retraites sur France Inter, ou les vociférations syndicales relayées en boucle sur France Info ? Le pessimisme français n’est donc pas seulement culturel ou historique : il est médiatiquement produit, scénarisé et entretenu. La « déprime nationale » a trouvé son principal fournisseur : un système médiatique converti à la dramaturgie permanente et à la fascination du pire.

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