Vue plongeante sur le grand bassin de la piscine Molitor rénovée (Paris 16e)
Piscine Molitor le bain d'essai
A peine réouverte à Paris, lundi 19 mai, la
nouvelle piscine Molitor Art déco, parfaite réplique de l'édifice municipal
dessiné par Lucien Pollet en 1929, déchaîne les passions. La polémique va bon
train et la mairie s'en mêle. Car si Molitor renaît avec éclat, c'est sous la
forme d'un hôtel pseudo balnéaire ouvert aux plus fortunés : deux étages
de chambres et suites – de 300 à 800 euros la nuit – ont été rajoutés
au-dessus des cabines de bain du grand bassin. Le Club Molitor, ouvert à mille
membres, avec droit d'entrée de 1 200 euros et cotisation annuelle de
3 300 euros, donne accès aux deux piscines – de 46 et 33 mètres de
long.
Le
complexe a fort belle allure. Mais la mairie de Paris réclame une ouverture
significative au public à des tarifs réduits. Le directeur général de Molitor,
Vincent Mézard, lui, défend la rentabilité de son projet économique financé à
hauteur de 80 millions d'euros par Colony Capital « sans
aide publique », précise-t-il.
- « Ouvrir
plus ? impossible»
En 2009,
l'opérateur financier, qui a remporté l'appel d'offres municipal, s'est engagé
dans l'opération, contre un bail emphytéotique de cinquante-quatre ans signé
avec la mairie : « Ce bail nous donne
toute liberté d'action, rappelle-t-il. On
a tenu notre budget et la date d'ouverture. Nous accueillons, trois jours et
demi par semaine, les scolaires. Ouvrir plus ? C'est impossible pour la
qualité de la baignade. On a besoin de plafonner le nombre des habitués. »
Le restaurant de la piscine Molitor version 2014, avec vue sur le
grand bassin et plafond Art déco. | DR
- 120
à 180 euros la baignade « d'essai »
Bref, si
l'on n'est ni hôte ni membre du Club, on s'en tient au restaurant, à un verre
sur le toit-terrasse, avec vue sur le stade Jean-Bouin et sa résille signée
Rudy Ricciotti, ou encore aux hammam, jacuzzi et massages proposés au spa, à
prix forts. Mais pas question, pour autant d'avoir droit de piquer une tête
dans l'une des deux piscines. A moins de casser sa tirelire : la baignade,
tarifée entre 120 à 180 euros selon la saison, est qualifiée de
« séance d'essai » pour ceux qui envisagent de devenir membre.
Jack
Lang, l'ancien ministre de la culture qui a fait classer, le 27 mars 1990,
Molitor à l'inventaire des monuments historiques afin d'éviter sa démolition,
monte au créneau pour défendre ce bien public devenu privé : « Ce qui est choquant, c'est que cette piscine,
qui appartient à la mémoire collective pour son architecture et son art de
vivre, soit transformée en un club purement privé réservé à une minorité de
''happy few'', s'emporte-t-il. La
municipalité aurait pu mettre la main à la poche. »
La piscine Molitor version 2014 est augmentée en hauteur de deux
étages de chambres. En arrière plan, le nouveau stade Jean-Bouin réalisé par
l'architecte Ruddy Ricciotti. | DR
Par
comparaison, le stade Jean-Bouin, tout neuf et réservé à une vingtaine de
matches de rugby par an, a coûté 190 millions d'euros à la ville. « Paris n'avait pas de terrain de rugby de qualité,
argumente Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris en charge des
sports et du tourisme. L'amortissement se fera
sur cinquante ans », précise l'adjoint au sport et au tourisme.
Dans le
cas de Molitor, il s'agit d'un rare patrimoine Art déco parisien, qui aurait pu
être sauvé en agissant à temps. Cela a été le cas pour la piscine Pontoise dans
5e arrondissement, de la même époque et du même architecte.
La piscine Molitor à Paris en 1985. | GILLES RIGOULET
- 1989
Jack Lang écrit à Jacques Chirac
Comment
en est-on arrivé là ? En 1989, la piscine ferme : elle est
dangereuse, le concessionnaire ne réalise pas les travaux nécessaires. La
démolition est programmée. Le 1er septembre 1989, Jack Lang, alors
ministre de la culture, écrit à Jacques Chirac, maire de Paris : « L'architecte des bâtiments de France vient à juste
titre de refuser le permis de démolir. (...) Je suis, en ce qui me concerne, disposé à mettre en œuvre tous les
moyens dont je dispose pour en assurer la sauvegarde et la mise en valeur. »
Chirac lui répond : « La ville de Paris ne
saurait assumer, sans participation financière de l'Etat, les conséquences d'un
choix où elle n'a eu aucune part. »
Dialogue
de sourds. Le temps passe, la ville ne fait rien pour sauver le site
emblématique. Les projets d'hôtels, logements et commerces avec parkings
s'enchaînent. Tous rejetés. Les empoignades sont musclées. Au Conseil de Paris,
en 1998 : « La ville ne défend pas
ses intérêts financiers tout en gaspillant son patrimoine. Pour quels
intérêts ?, demande Laure Schneiter, conseillère municipale du
Mouvement des écologistes indépendants (...)
Vous allez dépenser des dizaines de millions pour le réaménagement du Parc des
Princes. (...) Je voterai contre ce
massacre. »
La
construction de 400 chambres pour un prix de cession dérisoire, 4 800
francs le m2, sur ce site de 12 000 m2, à un promoteur immobilier, est
évitée de justesse. Bertrand Delanoë, nommé maire en 2002, relance l'affaire.
Et signe, en 2008, avec Colony Capital. En 2009, après trente ans d'abandon,
squattée, taguée, Molitor, rendez-vous des nuits underground, est dans un tel
état de décrépitude qu'il faut démolir pour reconstruire. Dominique Cerclet,
conservateur en chef de monuments historiques le confirme. Malgré cette
opération, le site classé garde son « inscription » sur la liste des monuments
historiques.
Piscine Molitor à Paris (16e). Les barrières du bord du bassin ont
été moulées pour être reconstruites à l'identique. | DR
- A
l’identique dans les moindres détails
Reconstruire
« jusqu'aux fondations »,
précise Vincent Mézard, ingénieur de formation qui s'est découvert une passion.
« Elle était non pas désuète mais
insalubre, les structures avaient été attaquées par le chlore et l'eau. »
Dans les moindres détails, le directeur s'assure de la juste réplique, de la
couleur jaune tango des murs aux carreaux de ciments des mosaïques bleues,
jusqu'aux luminaires et faux plafond Art déco du restaurant, fabriqués exprès.
Seuls sont sauvés les vitraux du bar et les garde-corps du bassin d'hiver.
Le bassin couvert de 33 mètres de la nouvelle
piscine Molitor (Paris 16e). | DR
Fin
mars, le slogan « Pool, Art and Life » lance l'opération médiatique orchestrée
par Image 7 : l'anglais, c'est sans doute chic. Jusqu'au nom de l'hôtel,
MGallery – pour Memorable Hotel By Accor –, qui accompagne la première
campagne de réservation. Trois fois plus de clients que de chambres ont répondu
à l'appel. Le succès promet. Rolland Garros est à deux pas ; comme le Parc
des Princes, les serres tropicales du jardin d'Auteuil, menacées par
l'agrandissement du fameux stade de tennis, ou encore l'hippodrome d'Auteuil.
Contrant
la fronde, Vincent Mézard se dit prêt au dialogue avec la mairie et réfléchit à
une « nouvelle offre dédiée à une
clientèle de nageurs, mais jamais au tarif municipal »,
prévient-il.
Pour sa
part, Jean François Martins rappelle que le projet global présenté par Colony
Capital et Accor, qui a emporté la décision du Conseil de Paris et celle de
Bertrand Delanoë, alors maire, comprenait « un
bassin d'hiver accessible au grand public et aux scolaires. Cet élément,
dit il, ne peut pas, par nature, être inscrit
dans le bail, mais l'engagement est éthique et moral ». Rendez-vous est
pris entre les deux parties, le 5 juin.
Source Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet
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