Séisme de Tôhoku - La jeune fille d'HishinomakiPhoto Tadashi Okubo
Quatre magazines français, mais aussi de nombreux journaux étrangers, ont utilisé simultanément cette image d’une jeune femme sur fond de paysage dévasté pour leur couverture sur le Japon. Pourquoi une telle unanimité ?
C'est l’image d'une jeune femme seule, le regard vide, enveloppé dans une couverture en laine beige, tenant à la main – détail dérisoire – un cabas de supermarché, au milieu des décombres dans la ville d'Ishinomaki, une des villes les plus touchées par le tsunami. Prise le 12 mars, soit le lendemain du séisme, c’est celle qui a sans doute été le plus souvent publiée cette semaine en couverture des quotidiens et des magazines à travers le monde.
En France, pas moins de quatre hebdomadaires, Le Point, Le Nouvel Observateur, Paris Match et Le Pèlerin, ont utilisée pour leur une cette photographie de Tadashi Okubo, choisissant, à chaque fois, des cadrages différents. La presse étrangère n'est pas en reste, puisque de nombreuses publications (dont le Daily Telegraph ou la Stampa) l'ont également « montée » en couverture.
Situation inhabituelle : une image se retrouve rarement à la une de plusieurs magazines d’un même pays… alors qu’elle peut faire celle de tous les quotidiens : le système de distribution des photographies, via des agences filaires auxquelles ces quotidiens sont abonnés, exclut la moindre possibilité d'exclusivité. Ainsi, la célèbre image de la guerre du Vietnam, signée Nick Ut, de l'Associated Press, en 1972, représentant une petite fille courant nue sur une route, la peau brûlée par le napalm, fera la une de très nombreux quotidiens ; ou encore, la « Madone de Benthala », en Algérie en 1997, qui sera publiée simultanément par de nombreux titres.
La première raison du « succès » de cette image du Japon est son accessibilité à l'ensemble de la presse. Elle a été réalisée par un photographe de la rédaction du plus grand journal nippon, le Yomiuri Shimbun, qui a décidé de la mettre à la disposition de l’AFP, AP et Reuters, trois agences télégraphiques qui offrent aux journaux, via leurs sites internet, un accès à leurs images en haute définition. Ainsi, cette photo est devenue accessible à l'ensemble de la presse mondiale. De fait, donc, pour le Yomiuri Shimbun, elle ne pouvait faire l'objet d'aucune exclusivité ni susciter aucune enchère, alors que c'est parfois le cas dans une telle situation.
Les agences magazines (Sipa, Gamma ou Sygma), qui ont longtemps pratiqué cette mise aux enchères des images de leurs photographes, sont aujourd’hui en perte de vitesse, et ont laissé le terrain de l'actualité aux agences de presse (AFP, Reuters et AP). Leur légitimité affaiblie et la réduction des budgets des services photo des magazines ont fini de marginaliser cette pratique sur les images de news, pratique qui existe encore dans le registre du people.
La deuxième raison d'une telle unanimité dans le choix tient au manque d'images fortes sur le Japon disponibles à l'heure du bouclage des magazines. Parmi la masse de photos disponibles à ce moment-là, peu mettent en regard un individu et l'incroyable ampleur de la catastrophe. Or, c'est ce type de cliché que les rédactions vont chercher en priorité. Une image qui rende la représentation d'un tel cataclysme possible. Aujourd'hui, face à un tel drame, on doit rester dans la limite de ce qu’il est convenu de montrer pour ne pas risquer d’être accusé de sensationnalisme, de voyeurisme ou d'indécence. D'autant qu'il n'y a rien ici à dénoncer, ni guerre, ni dictature, qui pourrait justifier de privilégier une image plus difficilement soutenable dans le but d’influencer l’opinion publique.
Devant une telle catastrophe, une couverture doit faire appel à la compassion, et laisser à celui qui la regarde la possibilité de s'identifier aux acteurs du drame. Sa fonction est d'informer, bien sûr, mais aussi de séduire. L’image de Tadashi Okubo remplit pleinement ces deux fonctions. La jeune fille est jolie, son attitude est d'une grande quiétude, son regard dit son désarroi avec pudeur. On y retrouve la dualité qui fait la force des images de news : sa fragilité, sa vulnérabilité cohabitant avec la catastrophe.
Le bilan provisoire aujourd'hui est de plus de 20 000 morts au Japon. Cette jeune fille est vivante, elle nous rassure, elle porte un espoir dans lequel on a envie de croire.
source "Télérama"