Le quatuor d’Alexandrie
Traduit de l’anglais par R. Giroux
(4ème de couverture)
La ville d’Alexandrie, que l’auteur connaît intimement et dont il restitue à chaque page la couleur, le rythme et le délire, sert de cadre à cette fabuleuse tétralogie. Alors que Justine, Balthazar et Mountolive se superposent – des événements identiques sur le plans politique, sentimental et sexuel sont racontés de différents point de vue par les héros avec une grande force évocatrice – Cléa est une suite qui fait avancer le roman dans le temps.
« La lecture de ce livre est une aventure qui marque, par sa forme, sa sonorité, sa couleur. Le récit ne progresse pas selon la démarche habituelle du roman, il miroite et ondule dans la trame flottante de cette manière sacrée si rarement invoquée par le romancier : la lumière. » Henry Miller
(1ere phrase :)
Justine - La mer est de nouveau trop grosse aujourd’hui, et des bouffées de vent tiède viennent désorienter les sens.
Balthazar – Tonalités du paysage : du brun au bronze, ciel abrupt, nuages bas, sol de perle aux ombres nacrées et aux reflets mauves.
Mountolive – En tant que jeune attaché d’ambassade promis à un brillant avenir, on l’avait envoyé en Egypte pour qu’il se perfectionnât en arabe, et il fut affecté à la Haute Commission comme scribe, pour ainsi dire, en attendant son premier poste officiel ; mais il se comportait déjà en jeune secrétaire de légation pleinement conscient de ses responsabilités futures.
Clea – Les orangers furent plus opulents que de coutume cette année-là.
(Dernière phrase :)
Justine – Tout ne dépend-il pas de l’interprétation que nous donnons du silence qui nous entoure ? Si bien que…
Balthazar – Il y a encore quelques lignes, et ensuite la formule affectueuse.
Mountolive – « A quoi, se demandait-il, Narouz pouvait-il bien rêver maintenant, avec son grand fouet enroulé sous son oreiller ? »
Clea – Et je sentis que tout l’Univers venait de me faire un clin d’œil !
1028 pages – Editions Buchet/Chastel Justine 1957, Balthazar 1959, Mountolive 1959, Cléa 1960 (1963 pour la traduction française)
(Aide mémoire perso :)
Je me suis demandé si j’oserais rédiger une note sur Le Quatuor d’Alexandrie, une œuvre immense, une somme de quatre romans rédigés entre 1957 et 1960 et réunis en un seul volume. Après réflexion… pourquoi pas ? Après tout, qui a vraiment lu Le Quatuor d’Alexandrie jusqu’au bout ? Car à l’instar de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, tout le monde ou presque a déjà entendu parler de ce gros roman de 1000 pages, mais peu de gens l’ont lu, du moins au-delà des cinquante premières pages. Le Quatuor d’Alexandrie, une œuvre magistrale dont je résume les quatre romans.
Justine - Dans le roman d’ouverture du Quatuor, le narrateur, un Anglais qui répond au nom de Darley, se souvient d’Alexandrie et, se souvenant, cherche à comprendre ce qu’il a vécu, confrontant ses souvenirs avec le journal que lui a laissé Justine, sa maîtresse, mais aussi l’épouse de Nessim, lui-même père biologique de la fille de Melissa, sa compagne morte de la tuberculose. Le narrateur fait donc œuvre de mémoire, tranquillement installé sur une île grecque avec l’enfant de Melissa. Le point de vue est celui du narrateur qui, bien entendu, ne sait pas tout, mais néanmoins présente tous les personnages du roman : les frères Hosnani (Nessim et Narouz), leur mère Leilla, Balthasar, Pombal, Scobie, Pursewarden et bien d’autres. Le lecteur, lui, comprend que Darley est épris de Justine dont il craint le mari, Nessim.
Balthasar - Le deuxième roman du Quatuor s’ouvre sur la visite de Balthasar sur l’île de Darley. Ayant eu accès au manuscrit de ce dernier, Balthasar le commente abondamment dans les marges et lui révèle ainsi un tout autre point de vue sur les événements. C’est ainsi que l’on apprend que Darley s’est fait manipulé par Justine et Nessim, tous deux impliqués dans un complot copte allant à l’encontre des intérêts de l’Angleterre en Égypte. Ce deuxième roman offre donc un nouvel éclairage sur le récit, notamment sur la personnalité de Justine et sur certains éléments forts, comme la scène macabre des enfants se prostituant dans un lieu sordide de la ville.
Mountolive - Ce troisième roman est le plus classique des quatre du point de vue de sa narration car, contrairement aux autres, le récit est plutôt linéaire. Il raconte l’histoire de Mountolive, jadis amant de Leïla, mère de Nessim, qui devient ambassadeur d’Angleterre en Égypte. Dans ce récit, Darley devient un personnage secondaire tandis que la famille Hosnani (Leïla et ses deux fils : Nessim et Narouz) prend une importance nouvelle. C’est dans ce roman aussi que Durell présente en détail le personnage de Pursewarden, l’écrivain torturé qui vit une relation ambiguë avec sa sœur aveugle, Liza.
Cléa - Avec ce dernier roman, Durrell refait de Darley le narrateur qui revient à Alexandrie après quelques années d’absence. Darley conduit la fille de Melissa chez Nessim, son père biologique, et se met en ménage avec Cléa. Les Hosnani, en disgrâce depuis que le pouvoir a déjoué leur complot, sont assignés à résidence sur leur terre loin de la ville. Justine, aigrie, ne cherche qu’à quitter le pays. Cléa est le roman de la mélancolie, de la fin d’Alexandrie comme ville ouverte, cosmopolite. Darley retourne sur son île grecque mais, à la fin, il prend la décision de s’installer en France, là où a déjà émigré Cléa.
Le Quatuor d’Alexandrie est un de ces romans qui relate les événements d’une époque, certes révolue comme toutes les époques, mais aussi d’un espace - la ville cosmopolite d’Alexandrie avant la Deuxième guerre mondiale. En effet, après la guerre, la coexistence paisible des différentes communautés n’est plus : la souveraineté arabo-musulmane se fait partout présente, marginalisant - en grande partie grâce aux manœuvres des anciens colonisateurs, à savoir les Anglais - les communautés coptes, grecques, juives, puis européennes. Conclusion, à la fin du récit, Cléa, amie du narrateur, choisit d’émigrer en France, tout comme Durrell lui-même, d’ailleurs, qui y terminera sa vie.
Je viens de résumer une œuvre qui, dans les faits, ne se résume pas, notamment en raison de l’absence de linéarité du récit, C’est d’ailleurs ce qui rend la lecture du Quatuor d’Alexandrie si difficile. Le style de Lawrence Durrell est foisonnant, assez déroutant parfois, mais le lecteur assidu s’y laisse vite envoûter car l’auteur nous entraîne là où il veut, maîtrisant à la perfection le destin de ses personnages. Dans ce récit en boucle, les personnages sont uniques et multiples, comme une marguerite dans un champ de marguerites, d’où leurs différents points de vue sur des événements vécus par chacun d’eux. Le Quatuor d’Alexandrie reconstitue une parcelle d’existence qui, comme la vie elle-même, ne peut être comprise qu’à partir d’un kaléidoscope, laissant apparaître du même coup la fragilité de toute vérité.
Le Quatuor d’Alexandrie est un roman d’une très grande beauté, tant du point de vue de son style que de son contenu. Un roman qui représente une occasion exceptionnelle de s’ouvrir au monde, de pénétrer une société révolue, de fréquenter des gens qu’on n’aura sans doute jamais l’occasion de fréquenter dans notre vie. En effet, seule la littérature nous permet de fréquenter des hommes et des femmes de toutes conditions, dans un axe spatio-temporel quasi infini. Et l’œuvre magistrale de Lawrence Durrell en est une magnifique illustration.
Lawrence Durrell (1912-1990) est né en Inde où il passe les onze premières années de sa vie avant d’être envoyé en Angleterre pour y poursuivre ses études. N’aimant pas le mode de vie britannique, il ne complète pas ses études universitaires et se consacre à la littérature. Après avoir publié sans succès quelques romans, il quitte l’Angleterre en 1935 et s’installe sur l’île grecque de Corfou, île qu’il quitte bientôt pour l’Égypte en raison de la montée du nazisme. Après la guerre, il se fixe à Chypre en tant qu’attaché de presse mais, à partir des années 1950, l’île est en proie à des troubles violents, ce qui l’oblige à émigrer en France. Il y restera jusqu’à son décès en 1990.