La désobéissance civile
Si l'expression "
désobéissance civile " a connu depuis quelques décennies un large succès,
il n'est pas certain que ses utilisateurs l'emploient toujours à bon escient.
On peut même supposer que l'imprécision dans son usage explique en partie son
succès : elle offre à de nombreux groupes contestataires la possibilité de
désigner leurs pratiques par une expression qui, grâce aux campagnes de Gandhi
et de King notamment, est perçue comme valorisante. Auraient-ils l'impression
qu'en se référant ainsi implicitement à de prestigieux et respectables
ancêtres, ils ouvrent un parapluie protecteur sur leurs propres pratiques ? Ce
serait là une regrettable confusion entre deux aspects qu'il importe de
distinguer : celui de la définition et
celui de la justification de ce genre
d'actions. Pour traiter sereinement de la définition de la désobéissance
civile, il faut mettre de côté les jugements de valeur. La question de savoir
si la désobéissance civile est parfois légitime, et si oui à quelles
conditions.
- Quatre fois civile
En quel sens la
désobéissance est-elle " civile " ? Le mot peut être interprété de
quatre manières différentes:
- " civil "
renvoie d'abord à la notion de citoyen. Le
mot souligne ainsi qu'il ne s'agit pas d'une rupture de citoyenneté, d'un acte
insurrectionnel contre la communauté politique dont on fait partie. Il s'agit
plutôt d'un acte de " civisme " au sens fort : une volonté d'oeuvrer
à l'intérêt général, y compris en payant de sa personne. Cet acte de citoyens
s'adresse à des citoyens : il fait appel à l'opinion publique, estimant qu'elle
peut comprendre l'objet du conflit et intervenir pour sa solution. C'est
pourquoi dans les sociétés non démocratiques, où l'" espace public "
est peu développé, seules des formes tronquées de désobéissance civile sont
possibles.
- " civil " peut
aussi se comprendre comme l'opposé de " militaire ", selon une
opposition linguistique qui reste pertinente dans la plupart des langues : on
s'habille " en civil " quand on quitte un uniforme ; on dit "
les civils " pour désigner les personnes qui ne sont pas militaires.
Certes, la désobéissance civile peut être pratiquée par des militaires ; mais
ils ne la pratiquent alors, précisément, que dans la mesure où ils renoncent à
l'usage (ou à la menace d'usage) des armes. L'exemple typique d'une
désobéissance civile des militaires, c'est le refus de tirer quand on en reçoit
l'ordre (comme certains officiers russes à Prague en 1968). C'est donc l'aspect
non-violent de la désobéissance civile
qui est ainsi souligné.
- " civil "
s'oppose également à " criminel ". Les " délits " dont il
s'agit sont toujours de nature politique, même
quand les instances judiciaires refusent de les traiter comme tels. On ne peut
pas qualifier de " civile " une désobéissance à la loi visant à
promouvoir des intérêts égoïstes.
- un sens du mot " civil "
auquel Gandhi attachait une grande importance est celui qui évoque la
politesse, la courtoisie . La "
civilité " de la désobéissance se marque par le respect des personnes
auxquelles on a affaire au coeur même d'une lutte contre des lois, des
politiques ou des systèmes.
- Désobéir, ou obéir autrement ?
Le mot "
désobéissance " semble plus facile à définir. Par opposition à
l'infraction (qui peut être non intentionnelle : on " se trouve " en
infraction), le mot désigne l'accomplissement délibéré d'une action interdite
par une loi ou un règlement en vigueur (ou le refus d'accomplir un acte auquel
la loi oblige).
Mais qu'est-ce qu'une
" loi en vigueur " ? Notre époque a vu se multiplier les différents
niveaux de lois : on en appelle par exemple d'une loi nationale à des
Conventions internationales, voire à la Déclaration universelle des droits de
l'Homme. Ou bien, dans les États fédéraux, d'une loi locale à la loi
fédérale... Il arrive donc fréquemment que l'on justifie la désobéissance à une loi au nom de l'obéissance à une autre loi,
estimée supérieure. Ce fut notamment le cas dans le Mouvement des droits
civiques aux États-Unis : pour justifier ses violations des lois racistes de
certains États du Sud, il s'appuyait sur les lois votées à Washington déclarant
illégale la discrimination raciale. Ainsi la discrimination dans les mares
routières avait-elle été interdite depuis longtemps par la loi fédérale lorsque
commencèrent les " freedom rides ", ces
voyages en bus dans les États racistes, au cours desquels les militants blancs
et noirs utilisaient ensemble les installations des gares routières. Était-ce
de la " désobéissance civile " ?
On en a beaucoup
discuté aux États-Unis à l'époque. Certains estimaient que ces actions ne
constituaient pas des transgressions de la loi, mais des manières de "
faire appel " à la loi, en obligeant les tribunaux à trancher. Mais on
peut aussi considérer la chose du point de vue de ceux qui prenaient le bus
pour le sud : ils avaient beau savoir que leur acte n'était pas formellement
une infraction et que leur droit serait reconnu tôt ou tard, ils étaient
néanmoins confrontés dans l'immédiat à toutes les pénibles conséquences d'une
infraction à une loi en vigueur : arrestations souvent brutales, amendes,
emprisonnement...
On peut donc retenir,
avec Burton Zwiebach, un critère plus pragmatique que juridique : " Pour déclarer qu'un acte est " désobéissant ", il importe peu de
savoir que la règle sera probablement
abrogée par l'autorité supérieure ou bien
que l'on découvrira que l'autorité exigeant l'obéissance a agi en dehors des limites de son autorité. Du
moment qu'une règle formellement valide
ou une autorité publique formellement
reconnue est désobéie par quelqu'un à l'intérieur des limites de sa juridiction
apparente, l'acte est une désobéissance. "
Les différentes
définitions qui ont été proposées de la désobéissance civile s'accordent
généralement sur son caractère public
(non secret), politique (non criminel), pacifique (non violent). Mais elles divergent
sur la nécessité d'inclure ou non une référence aux motivations subjectives des
acteurs et notamment à des motifs " de conscience ". C'est en fait le
rapport de la désobéissance civile à une notion très voisine, celle d'"
objection de conscience ", qui est ainsi posé.
- Désobéissance civile et objection de conscience
L'expression "
objection de conscience" apparaît pour la première fois, semble-t-il, en
Angleterre vers la fin du XIXème siècle, à l'occasion d'un large débat
d'opinion sur la vaccination obligatoire. Ce débat aboutit, en 1898, à une loi
qui prévoit des exemptions pour ceux qui feraient état d'une "
conscientious objection " à la vaccination de leurs enfants. L'expression
fut reprise, et rarement vulgarisée, lors des débats ultérieurs sur le service
militaire obligatoire. Aujourd'hui encore, on a tendance à réserver
l'expression au domaine des obligations militaires, ce qui est une erreur
historique et logique : il y a objection de conscience chaque fois qu'un
individu refuse de se soumettre à une obligation légale pour des motifs de
conscience, quelle que soit la nature de cette obligation.
La conviction que tout
être humain a le droit - ou même le devoir - d'obéir à sa conscience plutôt
qu'à l'autorité politique en cas de conflit entre les deux est ancienne :
d'Antigone aux martyrs chrétiens, plusieurs exemples dans l'Antiquité
rappellent qu'il ne s'agit pas là d'une conquête de l'individualisme moderne.
Mais cette conviction fonde le droit à l'objection de conscience, non à la
désobéissance civile. Elle dit à un individu, pris dans un conflit entre deux
lois, qu'il doit obéir à la loi supérieure à ses yeux, fût-ce au prix de sa
liberté ou de sa vie. Mais elle ne lui dit rien quant aux moyens par lesquels
pourrait être modifiée ou abolie la loi qu'il estime " mauvaise ". Il
faudrait en effet entrer alors dans de tout autres considérations, notamment
politiques, tactiques, stratégiques, celles précisément que la désobéissance
civile va prendre en compte.
Pour Antigone, le
choix est simple : obéir à Créon ou aux Dieux. En désobéissant à la loi de
Créon qu'elle estime impie, elle ne se donne pas pour but de changer cette loi. Sans doute le
souhaiterait-elle, mais elle n'en a pas le pouvoir. Elle reste enfermée dans le
dilemme tragique - elle en mourra - précisément parce qu'il n'est pas en son
pouvoir d'en modifier les termes. Chercher à se donner ce pouvoir, ce serait
entrer dans une problématique de désobéissance civile.
Le mot "
conscience " renvoie d'abord à quelque chose d'individuel. Même si des
milliers de personnes adoptent, vis-à-vis d'une loi donnée, une même attitude
d'objection de conscience, ce n'est jamais que la conjonction de milliers
d'attitudes individuelles. Certes, cela peut créer une force et même favoriser
une éventuelle modification de la loi, mais comme par surcroît. " Fais ce que dois, advienne que pourra " :
ainsi se résume la préoccupation de l'objecteur.
Dans la désobéissance
civile, en revanche, la considération des effets
de l'acte est essentielle. Bien sûr, les acteurs entendent ne rien faire
qui soit contraire à leur conscience individuelle - et, en ce sens, la
désobéissance civile n'est jamais pur pragmatisme - mais ils visent à obtenir
des résultats pour d'autres qu'eux-mêmes. Leur préoccupation première n'est pas
de mettre leur conscience en paix résolvant ainsi le problème pour eux-mêmes -
mais de modifier une loi ou une politique pour toute la cité. C'est d'ailleurs
ce projet qui, dans une société démocratique, rend la légitimité d'une
désobéissance civile beaucoup plus problématique que celle d'une objection de
conscience.
Pour obtenir des
résultats, il faut s'organiser, se donner des objectifs réalistes, analyser la
situation, créer un rapport de forces. Les
diverses actions de désobéissance civile mises en oeuvre dans la lutte du
Larzac restent à cet égard exemplaires. Il ne suffisait pas aux paysans de
savoir qu'ils avaient moralement raison de construire une bergerie sans permis
ou de renvoyer leurs papiers militaires il fallait aussi que ces actions
illégales contribuent à renforcer leurs positions sur le terrain et dans
l'opinion publique.
La notion de "
rapport de forces " est donc essentielle dans la désobéissance civile,
alors qu'elle est totalement étrangère à l'objecteur de conscience. Très
souvent, ce rapport de forces est créé par le
nombre des " désobéissants " qui se coordonnent dans une
action collective. Les simples moyens de répression peuvent être parfois
paralysés. Un des objectifs fréquents des campagnes de désobéissance civile de
Gandhi était de " remplir les prisons ". Les campagnes de refus
concerté de l'impôt s'appuient sur la même analyse : un refuseur isolé, c'est
une protestation morale. Dix mille refuseurs, c'est une menace de
désorganisation des systèmes de perception, menace dont tout Gouvernement doit tenir
compte.
Le critère du nombre
n'est cependant pas absolu. Des objecteurs en grand nombre peuvent très bien
n'exercer aucune pression : si la loi prévoit pour eux une exception, ils
peuvent se tenir satisfaits. Ce qui leur importe en effet, ce n'est pas que la
loi soit meilleure pour tous, mais qu'elle ne les contraigne pas, eux, à agir
mal. Bien des sectes religieuses ont des objections de conscience de ce type...
Inversement, un petit nombre de personnalités connues et respectées peuvent
exercer une forte pression par une désobéissance civile. Ainsi, en 1998, en
France, des artistes ont fait savoir qu'ils désobéiraient à une loi sur les
expulsions d'étrangers en hébergeant chez eux des personnes expulsables.
- Désobéissance directe et indirecte
Quand des personnes
décident de commettre des actes considérés comme illégaux, c'est parce qu'à
leurs yeux ces actes sont " légitimes " en fonction d'une autre loi
(ou d'une loi d'un autre ordre : moral, religieux). Une telle décision exige de
fortes motivations personnelles, lesquelles se fondent nécessairement, en
dernière analyse, sur des convictions profondes d'ordre éthique, qui sont bien
du même ordre que celles qui inspirent une " objection de conscience
". Mais si la mention de ces convictions ne doit pas entrer dans la
définition même de la désobéissance civile, c'est parce qu'il n'y a pas de lien
direct et immédiat entre les motivations
éthiques et l'action choisie. Il y a toujours la médiation d'une analyse des
possibles, d'une stratégie, d'une évaluation des conséquences. En somme, il y a
calcul.
C'est pourquoi la
désobéissance civile est très souvent indirecte
: alors que la désobéissance civile directe consiste à enfreindre la loi
que l'on veut voir modifier (exemple : pour les " freedom rides ", la
loi de ségrégation dans les gares routières), celle qui est indirecte consiste
à enfreindre une autre loi, choisie pour des raisons tactiques, mais que l'on
ne conteste pas en elle-même. Ainsi, lorsque des citoyens et des élus du
Finistère, en 1980, sont allés perturber la circulation ferroviaire en
s'asseyant sur la voie ferrée pour obtenir que la SNCF rétablisse certains
arrêts de trains, ils ne demandaient pas à la SNCF de modifier le règlement qui
interdit l'entrave à la circulation des trains ! Leur acte collectif illégal
visait à faire pression sur un autre point : la politique de desserte ferroviaire
des petites localités. De même, ceux qui ont occupé des locaux diplomatiques
(américains pendant la guerre du Vietnam, espagnols au moment d'exécutions
d'opposants par Franco) ne protestaient pas contre la loi qui interdit qu'on
occupe ce genre de locaux, mais contre la politique des pays concernés. Quoi
qu'on puisse penser de l'efficacité et de la légitimité de ce genre d'actions,
on ne peut manquer d'en percevoir la différence de nature avec la désobéissance
d'Antigone.
- Le martyr et le stratège
Il ne faut pas
chercher à hiérarchiser objection de conscience et désobéissance civile. Elles
ne se jugent pas en fonction des mêmes critères. Il est des circonstances où le
critère d'efficacité n'est pas pertinent : l'objection de conscience peut alors
rester le dernier témoignage d'une liberté écrasée. Ce fut le choix de Franz
Jagerstatter, cet admirable paysan autrichien, qui ne put opposer à la machine
hitlérienne que son refus obstiné de porter les armes à son service, et qui
mourut décapité. Un esprit " tactique " lui aurait conseillé de se
soumettre, faisant valoir qu'un soldat humain et non-violent pourrait "
limiter le mal " au cours de certaines opérations. Il préféra le refus
radical, jusqu'à l'échafaud. Mort totalement inutile selon les critères
d'efficacité. Mais qui peut dire que son choix était " supérieur " ou
" inférieur " à celui des hommes qui cherchèrent à assassiner Hitler,
ou à celui des populations norvégiennes qui affaiblirent l'occupant par une
stratégie concertée de désobéissance civile ?
Chaque situation
appelle des choix différents. Personne n'a la garantie de faire toujours le bon
choix. Mais analysons chacun pour ce qu'il est. Évitons notamment d'interpréter
les actions de désobéissance civile en termes d'objection de conscience. Parler
de " gestes prophétiques " ou de " courageux témoignages "
à propos d'actes de désobéissance civile, c'est ramener au registre
"moral" ce qui doit être jugé d'un point de vue politique.
Certaines objections
de conscience, dans la mesure où elles ne se donnent pas d'objectifs politiques
et ne risquent pas d'être contagieuses, peuvent être assez bien tolérées par
les pouvoirs politiques, du moins par ceux qu'une idéologie totalitaire ne pousse
pas à chercher le contrôle absolu sur les individus. C'est ainsi que, dans les
pays démocratiques, certaines législations touchant des problèmes éthiques
(avortement, entraînement au port d'armes) comportent des " clauses de
conscience ". Il est alors possible de faire valoir légalement une objection de conscience. Ce fait illustre bien
la distinction avec la désobéissance civile : l'idée même d'une reconnaissance
légale de la désobéissance civile serait une contradiction dans les termes. Si
la désobéissance civile est parfois légitime (ce
qui est à discuter cas par cas, et de façon très restrictive dans les régimes
démocratiques), elle ne saurait être légale au
sens du droit positif.
- En pratique, une distinction moins nette
Cette distinction à
établir entre les notions de désobéissance civile et d'objection de conscience est
évidemment moins nette dans la pratique : très souvent une objection de
conscience évolue en désobéissance civile, notamment quand on réalise qu'il est
peu satisfaisant, y compris d'un point de vue éthique, de s'en tenir à une
démarche individualiste. De fait, si je suis vraiment convaincu (au nom d'une
éthique qui est mienne mais que je pense universelle) que telle loi ou telle
politique est "injuste" est-ce que j'agis moralement en cherchant
seulement à dégager ma responsabilité personnelle ? Ne dois-je pas viser à
modifier cette loi ou cette politique, même au prix de compromis, de retards,
d'alliances avec des forces qui ont d'autres motivations éthiques ?
Inversement, la
plupart des personnes qui se sont engagées dans une action collective de
désobéissance civile sont disposées, en cas d'échec de leur campagne, à
poursuivre au moins une objection individuelle, par principe moral, à la loi ou
à la politique qu'elles n'ont pu changer. Distinctes en théorie, objection de
conscience et désobéissance civile sont donc fréquemment associées en pratique,
ce qui explique que la confusion persiste dans les esprits.
- Essai de définition
Au terme de ces
réflexions, il est possible de proposer une définition de la notion de
désobéissance civile, ne serait-ce que pour la soumettre à une plus large
discussion : la désobéissance civile est une
forme d'action non-violente par laquelle
des citoyens, ouvertement et délibérément, transgressent
de manière concertée une (ou plusieurs) loi (décret, règlement, ordre émanant d'une autorité légale) en vigueur, dans le but d'exercer soit directement soit
indirectement (par l'appel à l'opinion publique) une pression sur le législateur ou sur le pouvoir politique, pression
visant soit la modification de la loi
transgressée soit la modification d'une
décision politique, soit même - très exceptionnellement -
le renversement de ce pouvoir.
- Danger pour la démocratie ?
Brûlante est la
question de la légitimité de la
désobéissance civile dans une démocratie. Dans un régime non démocratique, en
effet, il n'y a guère à hésiter : non seulement la désobéissance civile est
légitime, mais elle constitue souvent le seul moyen non-violent permettant de
s'opposer à de tels régimes ou au moins d'en limiter la nocivité. Mais lorsque
les lois sont votées par une majorité élue sans fraude et sans intimidation,
lorsque les politiques sont définies par un Gouvernement émanant d'un suffrage
universel, peut-on admettre que des citoyens - même avec les motivations
éthiques les plus respectables qui soient - organisent des actions illégales en
vue de modifier les lois et politiques qu'ils réprouvent ? Si tout le monde en
faisait autant, où irait-on ?
A priori, il semble
donc que la plus grande prudence s'impose
avant de légitimer la désobéissance civile dans une démocratie. Ce ne pourra
jamais être qu'à titre d'exception. D'après la plupart des auteurs de
philosophie politique qui ont traité la question (notamment Hannah Arendt, John
Rawls et Jürgen Habermas), de telles exceptions existent pourtant. Elles
s'appuient sur deux constats :
- La démocratie, ce n'est pas seulement le
respect du vote majoritaire : c'est aussi le respect de l'État de droit et de
quelques principes fondamentaux. Car, contrairement à ce qu'affirmait une
formule devenue célèbre, on n'a pas "... juridiquement tort " du seul
fait que l'on est " politiquement minoritaire " ! Même une majorité
régulièrement élue ne saurait légitimement adopter une disposition contraire à
la Déclaration des droits de l'Homme, aux grands principes constitutionnels,
aux conventions internationales signées par la France, etc. Certaines formes de
désobéissance civile peuvent donc se justifier, contre la décision prise à un
niveau, comme une sorte de procédure d'appel à un niveau supérieur de légalité.
- Aucun régime n'est parfaitement démocratique.
On sait bien que certaines décisions, prises par des élus dans les formes
apparemment légales, résultent en fait de jeux d'influences occultes qui n'ont
rien à voir avec l'intérêt général : corruption, lobbies manipulateurs,
décisions "technocratiques" (les experts profitant de la démission ou
de l'incompétence des élus), etc. C'est dans ces failles de la démocratie que
peut s'insérer une certaine justification de la désobéissance civile, notamment
quand il s'agit de décisions aux effets graves et irréversibles. Des citoyens,
par des actes de désobéissance civile, estiment de leur devoir de faire une
sorte d'appel à l'opinion publique, sans attendre les prochaines élections.
Loin d'être l'apologie anarchisante du " chacun sa loi ", une telle
désobéissance civile est alors un moyen pédagogique, limité dans le temps et
dans son objet, visant à susciter un débat public sur une question grave et
urgente. Loin de contester la démocratie, elle vise à la défendre en la
protégeant de ses propres dysfonctionnements.