C215
De Paris à Istanbul,
C215 peuple les rues de visages anonymes peints à la bombe et au pochoir.
Christian Guémy, de son vrai nom, confie qu’il avait besoin de réhumaniser nos
villes, d’y réintroduire des émotions. «Pourquoi
avec des visages ? C’est une raison intime. Après m'être séparé de la mère de
ma fille, j’avais besoin de leur montrer que je pensais à eux. Alors, j’ai
commencé à peindre leurs visages dans leur quartier» raconte l’artiste.
Graff posé à New Delhi, Inde (DR)
Puis il a continué
ailleurs, avec d’autres visages : un sans-abri à Brooklyn, une femme
voilée d’un sari à New Dehli. Des visages qui appartiennent toujours au
quartier où ils sont peints. «Je réalise
toujours une offre contextuelle. Il faut qu’il y ait une unité entre l’œuvre et
le lieu où elle s’insère afin que le public puisse s’y reconnaître. C’est une
forme de politesse» insiste le grapheur. Son travail prend aussi en
compte l’esthétique propre de la ville.
Graff posé à Brooklyn, New York City, Etats-Unis (DR)
«La ville préexiste à mon travail. Il ne fait que
s’ajouter, il la complète. C’est un art de l’altération, en perpétuelle
évolution» s’enthousiasme l’artiste. D’ailleurs il considère que le
véritable propriétaire de son œuvre est la rue : une fois peints, ses
visages sont détériorés par le temps, où subissent des ajouts par d’autres
grapheurs. «Le street art, ce n’est pas l’art
dans la rue, mais l’art de la rue» résume-t-il.
Graff posé à Vitry, France (DR)
Élevé par ses
grands-parents après le décès de sa mère quand il avait 6 ans, il a grandi en
région parisienne, dans un milieu qu’il juge «très
populaire». Adolescent, comme beaucoup de banlieusards, il traîne dans
la rue, et s’essaie au graffiti. La mode est alors au block style, des grosses
lettres peintes sur les murs. Mais il arrête vite, trouvant cette méthode «trop artificielle, pas assez naturelle».
Néanmoins son enfance populaire influence ses œuvres, les visages qu’il peint
sont ceux de mendiants, de réfugiés, d’enfants ou de personnes âgées.
Graff posé à Moscou, Russie (DR)
Il faut attendre 2006
pour qu’il retourne au street art, à l'âge de 32 ans. Entre temps il a usé ses
pantalons sur les bancs de la fac, à Paris : il passe avec succès une
maîtrise d’histoire, un master d’histoire de l’architecture, et un autre d’histoire
de l’art. Ces années lui ont permis d’acquérir un bagage culturel qui selon lui
le distingue des autres. «Il y a graffeur et
graffeur» répète-t-il plusieurs fois en souriant. Ses années d’étude lui
permettent surtout de trouver des sources d’inspiration auprès de deux
maîtres : Le Caravage pour l’école classique et Ernest Pignon-Ernest pour
l’art urbain.
Visage d'enfant peint sur un mur de Sao Paulo, Brésil (DR)
S’il se livre
facilement, le grapheur garde quelques zones d’ombres. Comme pour l’origine de
son nom d’artiste, C215. «Ca remonte à 2006,
quand j’ai publié deux recueils de poêmes et que j’ai du trouver un nom»
élude-t-il. Mais le C, c’est pour Christian ? «Oui,
peut-être. En fait non. Je sais pas trop. Je vais pas te donner une raison,
j’en donne une nouvelle à chaque fois qu’on me le demande, et j’ai pas envie de
te mener en bateau. C215, c’est une anecdote de ma vie, une pièce. Ca
représente un truc froid, mécanique, une référence dans ma vie» lâche
l’artiste, gêné par la question.
Graff de C 215 posé au Vatican, Italie (DR)
Quelle pièce ? On n’en
saura pas plus. Cette anecdote ne suffit pas à le décrire. Christian Guémy est
parfois insaisissable, parfois très franc. C’est surement un timide qui aime
les autres et leur contact. Et l’art est une façon de les toucher. «Ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand une mère
de famille immigrée et un fils de bonne famille s’arrêtent devant mon travail»
aime à rappeler Christian.
Il s’installe à Vitry
en 2006 et se sert de ses rues comme une galerie à ciel ouvert. Il multiplie
les voyages à l’étranger pour découvrir de nouvelles villes, et s’essayer à de
nouveaux terrains de jeu. Sa notoriété grandit et le graffeur perce sur le marché
de l’art.
Graff de C 215 posé à Dakar, Sénégal (DR)
Il réalise des œuvres
sur bois et sur toile qui s’inspirent de son travail dans la rue. Elles se
retrouvent rapidement présentes dans des galeries du monde entier, dont la
célèbre Opera Gallery de Paris. Une de ses oeuvres vient d'être cédée pour 23
000 euros chez Artcurial : un graphe sur une boite aux lettres jaune de la
Poste. Et maintenant ? «J’ai plein de projets
avec des mairies, des écoles, mais aussi des envies de voyages…» confie
C215. Nos rues, en tous cas, vont continuer à se couvrir de visages.
Une oeuvre de C215 graffée à Essaouira, au Maroc. (DR)