Emmanuel
Macron a-t-il un avenir politique ?
Emmanuel Macron semble avoir des
points communs tant avec Alain Juppé qu’avec Manuel Valls. Mais en apparence
seulement.
L’annulation
« surprise » de la marche d’Emmanuel Macron à Marseille est-elle
vraiment due à un excès de succès ou à des raisons de sécurité, comme son
équipe l’a affirmé ? Sans polémique inutile, on y verra aussi la manifestation
de deux difficultés majeures : l’une porte sur le calendrier de sa campagne,
l’autre sur les probabilités de réussite de son mouvement.
Emmanuel Macron dans un
calendrier compliqué
La
difficulté du calendrier d’Emmanuel Macron est bien connue.
D’un côté,
il ne doit surtout pas trop tarder de se déclarer pour avoir le temps de faire
campagne auprès d’un électorat qui le connaît encore assez mal. S’il bénéficie
d’un effet de mode auprès des classes supérieures de la société, il reste
encore un parfait inconnu, ou un monstre très froid pour les milieux moins
aisés. Il lui faut donc du temps pour s’expliquer et se faire connaître.
D’un autre
côté, l’indécision de François Hollande le brime. Comment se déclarer à la
candidature quand votre mentor est susceptible de se présenter à sa propre
succession ? Une candidature trop précoce de Macron, qui entrerait en
compétition avec le sortant, changerait forcément la donne et la physionomie
utile de sa campagne.
Emmanuel Macron en proie au doute
politique
Au-delà de
ces points circonstanciels, Emmanuel Macron doit faire face à un autre dilemme,
bien plus profond et bien plus délicat : le courant politique qu’il incarne
a-t-il un avenir en France, et spécialement à gauche ?
Par son
discours et son positionnement, Macron se rattache clairement au courant
orléaniste représenté à droite par Alain Juppé. Ce courant repose sur une
fiction de plus en plus contestable selon laquelle la modernité procède d’une
synthèse entre deux postures : l’une défend farouchement l’élite sociale,
économique et politique au nom de la bonne gouvernance de la société. L’autre
revendique le progrès social. Cet ensemble, assez bien exprimé en son temps par
le philosophe américain John Rawls, peut se résumer ainsi : laissons agir les
forts, et les faibles s’en porteront mieux.
Ce cercle
vertueux a-t-il encore un avenir en politique ? Macron lui-même semble avoir un
doute.
Splendeur et misère de
l’orléanisme
Cette
ultime hésitation n’est pas sans raison. La tradition orléaniste en France a
toujours connu des hauts et des bas qui la rend relativement incertaine.
Les scores élevés
d’Alain Juppé à droite laissent penser, mais en trompe-l’oeil, que
l’orléanisme, de gauche comme de droite, peut avoir une chance. En réalité, la
popularité actuelle de Juppé tient à la méconnaissance relative de son
programme par l’opinion, qui permet de « gommer » ses aspérités, et à
l’absence de campagne marquante menée par Nicolas Sarkozy. Alain Juppé, et
Macron le sait, ne peut guère se revendiquer d’une affection populaire durable
pour sa personne.
Macron
n’ignore pas que l’exposition à ce risque est puissante pour lui. Il n’a jamais
affronté l’élection, il n’a jamais pris racine dans un territoire, et il est
difficile aujourd’hui, dans sa popularité apparente, de faire la distinction
entre ce qui relève de la simple mode, et ce qui relève de l’adhésion durable.
Et, actuellement, on manque de certitudes, de repères, pour mesurer l’envie qui
existerait dans la société française de tenter une aventure élitiste
« encadrée », c’est-à-dire avec des objectifs sociaux ou de
redistribution.
Ce manque
de certitudes est forcément une source de désarroi pour la ministre de
l’Économie.
Le bonapartisme n’est pas mort
La presse
adore affirmer que Macron est une sorte de clone, mais populaire, de Manuel
Valls. En y regardant de plus près, Valls ne semble pourtant pas procéder de la
même tradition que Macron, et pourrait même lui planter de douloureuses
banderilles dans le dos.
Manuel
Valls se rattache en effet plus volontiers à la tradition bonapartiste qu’à la
tradition orléaniste. Dans la Révolution Française, Valls n’eût pas été l’homme
qui votait la mort du Roi pour pouvoir lui succéder : il l’eût votée pour
remplacer la monarchie par la République. Macron, lui, aurait préféré le
passage à une monarchie constitutionnelle éclairée. Valls n’eût pas hésité à
donner du canon sur la foule pour rétablir l’ordre, Macron si. Valls n’eût pas
proposé un milliard d’indemnités aux émigrés, Macron si. Deux apparences
proches, mais deux pensées montées très différemment.
Si Manuel
Valls souffre d’un impopularité structurelle à gauche, sauf lorsque celle-ci
voit en lui une figure de la modernité qui lui manque, Macron lui emboîte les
mêmes pas. Si Manuel Valls souffre d’une impopularité temporaire dans
l’opinion, due à l’usure de Matignon où il ne brille pas spécialement, Macron
pourrait, pour le coup, subir un sort très différent. Macron est
superficiellement aimé par l’opinion le temps que sa jeunesse fasse effet sur
les esprits. Mais à long terme, il a beaucoup d’atouts pour déplaire, car il
incarne cette tradition orléaniste avec laquelle les Français se fâchent
souvent. Il est énarque, il fut banquier, il est plutôt riche, il n’est pas élu
et il est élitiste.
Structurellement,
Valls a plus de potentiel : il est plus « caractériel » sans doute,
mais il est jacobin, globalement étatiste, et somme toute moins élitiste, en
apparence en tout cas.
L’orléanisme
de Macron est adapté aux temps de paix où les Français s’ennuient. Les
mouvements de menton de Valls sont plus providentiels dans les phases de crise.
Tel est bien le risque auquel s’expose Macron : se laisser abuser par une
popularité éphémère, et ne pas voir que sa base politique n’est pas durable. Et
il le sait.
Photo: Emmanuel Macron By: OFFICIAL LEWEB PHOTOS – CC BY 2.0
Source contrepoints.org
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