Déchéance
de nationalité
En quoi déchoir un citoyen de sa
nationalité l’empêcherait de réaliser des actes terroristes ?
Les attentats
parisiens du 13 novembre 2015 auront été les attentats les plus meurtriers
jamais réalisés sur le sol français. Le bilan est estimé à 129 morts et 353
blessés selon les autorités françaises. Pour éviter que de tels actes ne se
reproduisent sur son sol, le gouvernement français a entrepris une série de
mesures. L’une d’entre elles est la présentation d’un projet de loi sur la
déchéance de nationalité pour les binationaux ayant commis des actes
terroristes. Ce projet de loi, déjà approuvé par le parlement français, a
soulevé un tollé dans la presse, suscité de vifs débats, et conduit à la
démission du ministre français de la Justice Christiane Taubira.
Une mesure ancienne
Pour
l’histoire, la déchéance de nationalité n’est pas une mesure nouvelle dans
l’arsenal juridique français. Elle a déjà été appliquée en France
métropolitaine en 1848 contre tous ceux qui, au lendemain de l’abolition de
l’esclavage, continuaient de le pratiquer. Elle a ensuite été élargie et
appliquée pendant la première guerre mondiale, sous le régime de Vichy, à tous
ceux qui complotaient avec l’ennemi contre les intérêts de la France. Il faut
savoir que c’est la loi Guigou de 1998 qui a limité pour la première fois la
déchéance de nationalité aux binationaux naturalisés depuis moins de 10 ans. La
raison invoquée à l’époque était de préserver le droit de chacun à une
nationalité suivant la déclaration universelle des droits de l’homme. Le
gouvernement du Président Hollande, s’appuyant sur cette jurisprudence, a
davantage resserré l’étau autour des binationaux. Si le droit à une nationalité
est recevable, rien ne justifie cette discrimination envers les binationaux.
Car les Français de souche déchus, s’ils deviennent apatrides, pourront
toujours demander à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et
apatrides) de bénéficier du statut d’apatride. La convention internationale de
1954, signée et ratifiée par la France, interdit à un État d’expulser une
personne apatride tant que celle-ci n’a pas trouvé un État qui serait prêt à
l’accueillir. Si le statut d’apatride lui est refusé par l’Ofpra, il peut
introduire un recours devant le Conseil d’État. Pendant ce temps-là, l’apatride
peut rester sur le sol français, mais il sera dépourvu de droits civils,
politiques, qui sont attachés à la qualité de national. Il en ressort que
l’argument de certains, justifiant la sélectivité de la déchéance, ne semble
pas aussi solide qu’on le croit. Cela explique pourquoi les Français de
confession musulmane, d’origine arabe ou africaine, peuvent se sentir visés et
stigmatisés.
Inefficace et inutile
Par
ailleurs, il serait aussi judicieux de s’interroger sur l’utilité et
l’efficacité de cette mesure comme moyen de lutte et de répression contre le
terrorisme. En quoi déchoir un citoyen de sa nationalité l’empêcherait de
réaliser des actes terroristes ? La déchéance de nationalité concrètement ne
résoudrait pas le problème, car il s’agit d’une mesure qui représente un déni
de la racine du mal, une sorte de fuite en avant. Emmanuel Macron, ministre
français de l’Économie affirmait à cet effet : «
qu’on ne traite pas un mal en l’expulsant de la communauté nationale ».
Cela pour signifier qu’un jeune radicalisé n’aura aucun remords à perdre sa
nationalité française car justement son acte est, dans sa perception, une
tentative désespérée de prendre sa revanche par rapport à son identité
française. Un terroriste à qui on promet le paradis et les 70 vierges ne sera
pas dissuadé par la menace de perdre sa nationalité française. Pour revenir à
la racine du mal, à savoir l’exclusion instrumentalisée par l’idéologie, les
attentats terroristes de Paris traduisent bien un triple échec. D’abord,
l’échec des politiques d’intégration et d’insertion professionnelle des jeunes
issus de l’immigration. En effet, ces derniers, auraient été des proies moins
faciles pour les recruteurs des groupes terroristes, s’ils n’étaient pas exclus
économiquement et socialement par des politiques mal pensées. Le second échec
est celui des politiques de contrôle et de sécurité. Comment comprendre que
toutes ces armes puissent librement circuler dans un État sérieux ? Enfin, le
troisième échec est celui de la ségrégation identitaire dont sont parfois
victimes ces jeunes issus de l’immigration. Même diplômés, ces jeunes,
d’origine arabe ou africaine, ne reçoivent pas les mêmes traitements quand il
s’agit d’accès à l’emploi à compétence égale. Cela explique, mais ne justifie
pas, la création chez eux d’un sentiment de rejet de la société française à
laquelle ils appartiennent. Ce constat ne dédouane aucunement les jeunes de
leur part de responsabilité dans la mesure où ils doivent aussi faire les
efforts nécessaires non seulement pour prétendre aux emplois qu’ils réclament,
mais aussi à s’inscrire dans une démarche d’ouverture sur l’autre pour une
meilleure intelligence du vivre-ensemble. Si la responsabilité des politiques
est établie, la victimisation des jeunes n’est pas permise.
Réveil identitaire
Le projet de loi sur la déchéance des binationaux, à défaut
d’être efficace, risque de réveiller les vieux démons sur l’identité nationale
puisqu’il crée de facto un lien présumé entre les terroristes et les autres
musulmans d’origine arabes ou d’Afrique subsaharienne. Le risque avec cette loi
est que tous les binationaux, d’origine arabe ou africaine, deviennent des
suspects potentiels. Le terrorisme n’a ni race, ni religion. Il est plutôt un
comportement déviant qui doit être jugé et sanctionné indépendamment des
origines, de l’appartenance ethnique, raciale ou religieuse. Ce projet de loi,
une fois approuvé par le Sénat français, risque de provoquer de vives tensions
sociales puisque vraisemblablement les binationaux se sentiraient attaqués dans
leur patriotisme et leur citoyenneté. Le risque est à prendre au sérieux, le
climat ambiant étant de plus en plus teinté de suspicion et de défiance à
l’égard des musulmans. En témoigne la recrudescence des attaques contre les
lieux de culte musulman, notamment suite aux tragédies de Charlie Hebdo et du
Bataclan et suite aux attaques d’églises, bien que ces dernières soient peu
médiatisées. De telles réactions, animées par la peur et l’incompréhension,
exacerbées par la recherche de sensationnalisme de certains médias, sont un
argument de choix pour les recruteurs qui arrivent à manipuler des jeunes sans
repères en leur faisant croire que leur premier ennemi, c’est leur propre pays,
la France, qui les a abandonnés.
Enfin, que
faire des binationaux, auteurs d’actes terroristes, une fois déchus et
rapatriés dans leurs pays d’origine ? Il n’est pas sage de rapatrier des
terroristes en Afrique, car c’est le meilleur moyen de leur donner l’occasion
de se venger et de faire encore plus de mal. D’où la nécessaire coopération
entre la France et les pays africains afin de gérer ce dossier, pour que
l’Afrique ne se transforme pas en une « décharge » à terroristes. Loin de nous
l’idée de justifier ou cautionner le terrorisme, mais il est primordial de ne
pas se tromper d’ennemi. La France a le droit de se protéger, mais elle a aussi
le devoir de bien réfléchir aux mesures idoines pour le faire, sous peine
d’alimenter le processus produisant le terrorisme qu’elle cherche justement à
combattre.
Photo: Charlie Hebdo en vitrine – Credit Gongashan (Creative Comons)
Source contrepoints.org
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