Pourquoi le "Grand Journal" de Canal vire au
fiasco
Pour sa semaine de rentrée, la nouvelle formule de
l'émission phare de la chaîne cryptée a connu des audiences
catastrophiques.
Une catastrophe
industrielle. Voilà à quoi ressemble la nouvelle formule du "Grand
Journal" de Canal +. Pour sa semaine de rentrée, l'émission phare de la
chaîne cryptée a connu des audiences désastreuses. De
915 000 téléspectateurs pour la première, lundi 7 septembre, le
"Grand Journal" est passé à 611 000 téléspectateurs, jeudi
10, soit la pire audience de l'émission depuis près de dix ans !
Francetv info vous explique les raisons du fiasco.
Une émission trop lisse
Premier reproche
adressé à l'émission : un ton trop lisse, policé. En témoignent les multiples
commentaires négatifs publiés sur la page Facebook par des téléspectateurs
qui déplorent une nouvelle formule "convenue",
"insipide", "triste", "fade",
"ennuyeuse"... Des critiques que comprend Aliette de
Villeneuve, responsable du pôle contenus et marketing des programmes à NPA
Conseil, interrogée par 20 Minutes. "Il
y a un côté plutôt pesant : les interviews sont longues, le rythme est
lent."
La nouvelle
présentatrice, Maïtena Biraben, avait d'ailleurs elle-même revendiqué ce
changement de braquet, en début de semaine, promettant un ton plus lent et "plus poli", car, à ses yeux, le
"Grand Journal" était devenu "trop
fragmenté". Problème : "L'émission
n'est pas assez dynamique. Or, on sait que, à cette heure-là sur les
autres chaînes, tout s'enchaîne, ça rigole énormément. Le public aime le
piquant !" reprend Aliette de Villeneuve.
"On reprochait beaucoup au 'Grand Journal'
d'enchaîner trop vite les invités, les chroniques, etc. Mais cela
permettait à l'audience de se maintenir, rappelle aussi Julien
Bellver, rédacteur en chef du site Puremedias, interrogé par francetv
info. A cette heure-là, les gens picorent
et zappent beaucoup entre les chaînes."
Des sujets trop lourds
"Quand on regarde la courbe d'audience de
l'émission, on observe qu'elle est en dents de scie, souligne
également Julien Bellver. Cela signifie
que les gens viennent, regardent, que l'émission ne leur plaît pas, et qu'ils
s'en vont."
En cause, selon lui,
des sujets "très bien faits",
mais "hyper pointus". "Quand tu diffuses un sujet de cinq minutes à
19h25, tu largues tout le monde",
insiste-t-il. Jérôme Ivanichtchnko, journaliste médias à Europe 1,
pointe lui aussi du doigt des "reportages
souvent très longs, sur des sujets très lourds, trop lourds pour un
téléspectateur qui rentre d'une journée de travail".
Journaliste pour le
site Konbini, Rachid Majdoub ne dit pas autre chose : il
déplore "une surdose
d'information anxiogène, à l'heure où le téléspectateur préfère un programme
s'apparentant davantage au 'Petit Journal' de Yann Barthès".
Des chroniqueurs trop discrets
Pour Jean-Michel
Aphatie, qui a quitté l'émission au mois de juin en même temps qu'Antoine de
Caunes, "le plateau est un peu
faible". "Maïtena est à la
hauteur de ce qu'on connaît d'elle. Elle a vraiment de la présence. Après, il
manque dans l'équipe des chroniqueurs quelqu'un de vraiment fort et sérieux
pour l'épauler", estime, dans un entretien à
Metronews.fr, celui qui a enchaîné neuf saisons d'affilée dans le
"Grand Journal".
"L'équipe a été choisie dans l'urgence et sans
véritablement avoir de marge de manœuvre", raconte sur le site
des Inrocks un ancien salarié de l'émission.
"Les chroniqueurs sont trop figés",
abonde Aliette de Villeneuve, du cabinet NPA Conseil. "Maïtena Biraben n'a pas jugé nécessaire de
s'entourer d'experts, comme Jean-Michel Aphatie ou Karim Rissouli l'an dernier,
acquiesce Julien Bellver, de Puremedias. Or,
avoir des chroniqueurs qui ont une vraie personnalité, qui en imposent par leur
analyse, par leur humour, c'est indispensable dans ce genre d'émission."
Un goût de déjà-vu
Pour Jérôme Ivanichtchnko,
d'Europe 1, l'émission a aussi "un
petit goût de déjà-vu" : "Le
'Grand Journal' ressemble à une déclinaison quotidienne du 'Supplément', le
magazine que Maïtena Biraben présentait chaque dimanche midi jusqu'à la fin de
la saison dernière." Julien Bellver, du site Puremedias, va
dans son sens : "L'animatrice a changé,
les chroniqueurs ont changé, mais, finalement, le concept, ça reste une
animatrice, des chroniqueurs et un invité politique autour d'une table, qui
débattent sur deux ou trois actualités". "Mais à la base, poursuit Julien Bellver,
la première grosse erreur est d'avoir gardé le
même nom. Je ne comprends pas pourquoi Vincent Bolloré [le patron de la
chaîne], qui a voulu tout changer, a en même
temps choisi de garder cette marque. Changer de nom aurait donné un signal très
fort."
Un avis que partage la
sémiologue et analyste des médias Virginie Spies, interrogée par 20
Minutes : "Il aurait fallu tout changer.
Là, les changements sont seulement cosmétiques. Le nom est le même. C'est une
erreur incroyable !" "Le 'Grand Journal' ressemble à un vieux
modèle de voiture : agréable à regarder, rodé, mais ronronnant",
résume, acide, la journaliste Marie-Hélène Soenen dans Télérama.
Des invités trop peu connus
Pour Julien Thomas,
journaliste médias dans le groupe Prisma, "le
plus gros problème, ce sont les invités". "Il y a de gros problèmes de programmation,
acquiesce son confrère Julien Bellver. Mardi,
ils invitent Cyprien, qui est déjà passé cent fois dans
l'émission. Mercredi, ils invitent Nagui, une semaine après l'annonce du
retour de 'Taratata'. Jeudi, ils invitent Jean-Vincent Placé, quinze jours
après la crise chez les Verts..." Sans parler de l'ancien
ministre Hervé Morin mardi, ou du député UDI Yves Jégo vendredi.
Des choix "terriblement ennuyeux en access
prime-time", qui auraient plutôt leur
"place en deuxième partie de soirée", renchérit Virginie Spies
dans les colonnes de 20 Minutes. "Il y a
quelques années, stars et politiques plébiscitaient le 'Grand Journal' pour
venir faire leur promo, ce n'est plus le cas aujourd'hui", constate
Rémi Jacob, journaliste à Télé 2 Semaines.
La fin des "Guignols" trop dure à amortir
Enfin, dernière
explication – et pas des moindres – de ce fiasco : la
suppression des "Guignols de l'info", décidée par le nouveau patron,
Vincent Bolloré. L'an dernier, cette tranche de l'émission, diffusée en clair
peu avant 20 heures, attirait en moyenne 1,8 million de téléspectateurs. "C'est considérable, souligne Julien
Bellver. Cela signifie que les 'Guignols'
assuraient 30 à 40% de l'audience du 'Grand Journal'. Ce qui permettait à l'émission d'assurer des scores
relativement corrects."
Et, si la direction de
Canal + a promis des "ajustements
constants" pour cette nouvelle formule, Maïtena Biraben et sa bande
ne pourront, quoiqu'il arrive, pas compter sur les marionnettes de cire pour
redresser la barre. Peu appréciées par Vincent Bolloré, elles ne devraient
revenir à l'antenne qu'au cours du mois d'octobre, à 20h50 et en crypté, sans
leur mythique présentateur, PPD, remercié par le nouveau patron du groupe.
Photo: La nouvelle équipe du "Grand Journal" de Canal +,
le 4 septembre 2015. (MAXPPP)
Source francetvinfo.fr
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