Flexisécurité : la leçon danoise
Les bons résultats du
chômage au Danemark, pays de la flexisécurité, les mauvais résultats en France,
pays de toutes les rigidités, les réformes Schröder en Allemagne, mais aussi la
récente instauration d’un salaire minimum, imposé par le SPD à Angela Merkel,
attirent une nouvelle fois l’attention sur le marché du travail. À
l’évidence, en France, contrairement à l’affirmation de François Mitterrand, on
n’a pas tout essayé. La flexisécurité à la Danoise peut-elle être une piste de
réflexion, parmi d’autres ? En tous cas, les résultats semblent au
rendez-vous, avec un chômage plus de deux fois plus faible qu’en France.
- Un taux de chômage de 5,3%
Alors que le chômage
n’a jamais été aussi élevé en Europe, particulièrement en France, les chiffres
danois ont de quoi étonner. Le taux de chômage ne cesse de se réduire. Fin
février, il est tombé à 5,3% de la population active, moins de la moitié du taux
français, en baisse de 0,6 points en un an. 140.600 chômeurs pour un pays de
5,6 millions d’habitants. C’est le chiffre le plus bas depuis août 2009, au
début de la crise. Avant la crise, on observait même des tensions en raison
d’une pénurie de main-d’œuvre. Les économistes, les politiques, mais aussi les
syndicalistes attribuent ces bons résultats aux réformes entreprises : la
flexisécurité en général et les réformes les plus récentes en particulier.
La flexisécurité,
c’est bien évidemment un mélange de flexibilité et de sécurité. Flexibilité
pour les entreprises, sécurité pour les salariés. L’idée centrale est que plus
les entreprises ont de facilités à licencier, plus elles ont tendance à
embaucher.
- Flexibilité
Une entreprise en
plein développement recherchera une main d’œuvre d’appoint. Si cette bonne
conjoncture se confirme, elle intégrera cette main d’œuvre, qu’elle formera
sans doute. Mais si le marché se retourne, l’entreprise devra réduire ses
effectifs. Si les licenciements sont interdits ou coûteux, pour des raisons
purement juridiques, cet ajustement de la main d’œuvre ne pourra se faire.
Voilà un frein sérieux à l’embauche.
Aux incertitudes du
marché s’ajoutent celles de la règlementation et de la politique
économique : les entrepreneurs hésitent à s’engager dans le long terme.
Or, l’embauche est un engagement, dans tous les sens du terme.
En France, les
gouvernements successifs ont fait le choix de surprotéger l’emploi. Une fois
obtenu, un emploi est une sorte de droit social à vie. Mais dans les
entreprises où les effectifs ne sont plus en rapport avec les débouchés, le
droit social est illusoire et c’est la précarité qui attend tôt ou tard les
salariés. Le droit disparaît avec l’entreprise…
- Sécurité
Le côté sécurité de la
flexisécurité est caractérisé par une indemnisation assez forte du chômage.
Mais cette indemnisation est soumise à de nombreuses conditions. Le chômeur ne
peut rester passif. Il bénéficie de possibilités nombreuses de formation et de
contrôles de sa disponibilité et de sa motivation afin d’éviter que le chômage
ne s’installe dans la durée. Il y a non seulement obligation de formation, mais
aussi menaces de sanctions financières en cas de non-respect des obligations.
Ces dispositions ont
le mérite de donner au chômage sa vraie signification : c’est une mutation
professionnelle, qui déplace les travailleurs des entreprises, des métiers et
des secteurs en sureffectifs vers des entreprises, métiers et secteurs en expansion.
Ce chômage est encore appelé « frictionnel » : il résulte des
tensions, des « frictions » qui naissent nécessairement dans un
marché du travail en mouvement. Il n’est pas destiné à durer longtemps :
juste le temps de « sauter » d’une emploi à l’autre.
- Le conflit du vieux et du neuf
L’expérience danoise
remonte à 1999, avec une très grande flexibilité sur le marché du travail et
des politiques actives de l’emploi. Elle part de l‘idée suivant laquelle les
emplois n’ont rien de statique ou de figé ; des milliers d’emplois sont détruits
chaque jour et des milliers sont créés (en France pratiquement 10.000 par
jour), ce qui fait que plusieurs millions de personnes chaque année perdent des
emplois et rejoignent le chômage quand des millions d’autres font le chemin
inverse. Dans ces conditions, la flexibilité facilite cette mobilité permanente
et réduit le temps de chômage entre deux emplois.
C’est là une grande
différence avec la France : l’accent est mis sur les emplois nouveaux et
pas sur les combats d’arrière-garde, chers à Arnaud Montebourg, qui visent à
conserver les emplois condamnés par l’évolution de la concurrence et des clients.
Il y a toujours conflit entre le neuf et le vieux : mais il n’y a pas de
croissance sans innovation. On regarde ainsi l’avenir et pas le passé.
Les Danois se sont
donnés un code du travail simplifié et l’État fixe le moins de règles
possibles ; rien à voir avec le maxi code à la française.
- Le Danemark n’est pas un paradis libéral
C’est sans surprise
que depuis la mise en place de la flexisécurité, le taux de chômage a diminué
de moitié au Danemark. Il est même resté bas en dépit de la crise. Face à la
crise, le gouvernement (de gauche) n’est pas revenu sur la flexisécurité. Tout au
contraire, il en a durci quelques traits. Les jeunes de moins de trente ans,
sans diplôme et disponibles, cessent de recevoir l’aide sociale, doivent suivre
une formation et touchent seulement une allocation comparable à celle des
étudiants. Depuis, les chômeurs trouvent plus rapidement du travail.
Pour autant, peut-on
faire du Danemark un paradis libéral ? C’est un pays qui a les
prélèvements obligatoires parmi les plus élevés, talonné il est vrai par la
France. Il en va de même pour les dépenses publiques. Le pourcentage de ceux
qui travaillent dans le secteur public est également très élevé. Le taux de
syndicalisation aussi, mais il est vrai que ces syndicats ne se prennent pas
pour des partis politiques ou pour les hérauts de la lutte des classes. Le
consensus social y est plus fort qu’en France.
- Et si on asseyait la liberté contractuelle ?
La leçon de la
flexisécurité, c’est qu’un peu de liberté donne déjà de meilleurs résultats que
les rigidités engendrées par des règles paralysantes. L’exemple allemand des
réformes Schröder montre également que tout ce qui va dans le sens d’une plus
grande mobilité, flexibilité, sur le marché du travail, associé à un droit du
travail moins rigide, favorise l’emploi et la baisse du chômage. De ce point de
vue, la décision récente du gouvernement allemand, suite à l’accord passé entre
la CDU-CSU d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates du SPD, d’établir pour la
première fois un salaire minimum en Allemagne est une mauvaise nouvelle pour
l’emploi. Certes, les Allemands ont eu la sagesse de fixer un taux de 8,50
euros bruts de l’heure bien inférieur au taux français (9,53), mais il n’en
reste pas moins que le SMIC est un prix bloqué, ce qui provoque des
déséquilibres : un institut évalue à 900.000 le nombre d’emplois menacés
par le SMIC allemand : un drôle de progrès social !
De toutes façons, en
France on est loin de toute cette philosophie et des décisions comme celles de
2008 sur la modernisation du marché du travail sont loin d’être au niveau du
problème. La récolte a été maigre : rupture conventionnelle du contrat (mais
assorti de clauses trop lourdes), contrat de mission pour les cadres,
allongement de la période d’essai. Tout cela n’est pas à la hauteur de la lutte
contre un chômage de masse.
Bien que bienfaisante
par certains côtés, la flexibilité elle-même serait-elle la panacée ? Une
vraie réforme libérale consisterait à restaurer une authentique liberté
contractuelle, avec libre contrat personnel, libre salaire, libre temps de
travail et libres conditions de travail. Au pays de Colbert, ce serait une
vraie révolution.
Source contrepoints.org
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