Entretien avec Patrick Viveret
«La crise est une arnaque inventée par une
oligarchie mondiale».
Intellectuel historique de la deuxième gauche
autogestionnaire, inlassable militant et penseur audacieux, Patrick Viveret est
membre du Pacte civique et du Collectif Roosevelt. Selon lui, il est nécessaire
de «mettre en scène et en chaîne» les initiatives populaires.
- Le terme de crise est-il encore pertinent ?
C’est un mot écran. Normalement il décrit une situation
aiguë, conjoncturelle. Mais là on parle d’une «crise» qui durerait depuis les
années 70… Il vaudrait mieux emprunter à Karl Polanyi son concept de «grande transformation» pour qualifier cette nouvelle mutation profonde, à la
fois écologique, globale, sociale et informationnelle. Ou parler, avec
Edgar Morin, de «métamorphose».
En fait, comme l’ont
pointé les Indignés, la crise est une arnaque. C’est le récit qu’a inventé une
oligarchie mondiale pour préserver ses intérêts alors que le monde est bousculé
par cette «grande transformation». Face à l’incapacité des formes politiques
traditionnelles à inventer, il devient urgent de mobiliser cette énergie
citoyenne, de mettre en scène et en chaîne ces différentes initiatives. Sinon,
c’est tout simplement le Front national qui pèsera encore plus fort sur la
politique et la société.
Cela
passe notamment par le discours sur la dette. Michel Rocard et Pierre
Larrouturou l’ont montré dans un livre récent: le processus de la dette est
apparu avec les politiques reaganiennes et thatchériennes. Et cela relève
davantage de l’escroquerie en bande organisée que de la crise.
- Face à ce déjà vieux discours de la crise, des citoyens de plus en plus nombreux font preuve d’initiatives originales. Mais ces actions donnent l’impression d’être parfois naïves et surtout très locales. Pourquoi ?
A
l’échelle mondiale, la créativité citoyenne est extraordinaire. Elle s’exprime
simultanément dans deux directions : par la vision transformatrice qu’elle
dessine et sur le terrain de la résistance au grand narratif de la crise.
Alors, bien sûr, ces initiatives sont souvent modestes et locales.
Face à
la crise du macrocrédit, on oppose des expérimentations dans le domaine du
microcrédit, pour ne prendre qu’un exemple. Non pas pour en rester indéfiniment
à cette échelle mais, au contraire, avec l’objectif de préparer des réformes
plus générales du macrocrédit.
- Pourquoi ces initiatives demeurent-elles relativement invisibles ?
La
créativité est considérable mais elle est souvent invisible et peu reliée.
C’est l’une des raisons qui nous conduit à lancer, le 12 octobre, des états
généraux de la transformation citoyenne. L’idée consiste à mettre en relation
des plateformes qui sont elles-mêmes déjà collaboratives – comme le Collectif
Roosevelt, le Pacte civique, le Collectif pour une transition citoyenne, etc.
Il nous
faut interpeller les pouvoirs publics en leur demandant tout simplement de
remplir leur office ministériel au sens propre, de se comporter en véritable
service public qui aide et accompagne cette énergie citoyenne au lieu de la
bloquer.
- Que pourrait faire un gouvernement pour encourager ces initiatives ?
C’est la
discussion que nous – le Pacte civique, le Collectif Roosevelt et d’autres –
avons eue, il y a quelques semaines, avec Jean-Marc Ayrault. Curieusement, le
diagnostic fut partagé. Le Premier ministre nous a confié combien, à chaque
fois qu’il se déplace sur le terrain, ces initiatives lui redonnent du courage,
mais combien aussi elles lui semblaient trop peu visibles et reliées. Sa
crainte, compte tenu du discrédit du politique, était que toute forme d’aide
soit vécue comme une récupération, une instrumentalisation.
Nous lui
avons expliqué que, de notre côté, nous étions prêts à prendre nos
responsabilités en suscitant une vaste initiative citoyenne mais qu’il fallait
impérativement que cela se traduise, à un moment donné, par de nouvelles formes
de contrats passés avec les institutions de la République. Nous l’avons prévenu
que si le gouvernement n’était pas prêt à entrer dans ce type de démarche, les
forces vives de la société risquaient d’entrer rapidement en conflit avec le
pouvoir.
Et que
ce serait un conflit autrement plus dur que le classique clivage droite-gauche.
Nous en sommes là. Il semble que l’essentiel des groupes parlementaires de
gauche, une bonne partie des gens autour du Premier ministre, une partie non
négligeable de personnes qui gravitent autour de la présidence de la République
souhaitent aller dans cette direction. Mais nous sommes sous la Ve République,
ce système que, dès les années 70, Edmond Maire qualifiait de «monarchie nucléaire».
Source fortune.fdesouche.com
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