J’aurais pu dire que vieillir, c’est une dégringolade — un lent naufrage du corps et de l’ego, une humiliation quotidienne, un sablier qui ricane. Mais non. J’ai dit que c’était chiant. Parce que c’est exactement ça : chiant. Pas tragique, pas mélodramatique — juste chiant. Ce genre de truc insidieux, lent, emmerdant. Une vraie bureaucratie de la décrépitude. Ce n’est pas comme une maladie, une rupture, un drame. C’est de l’usure. Tu ne sais pas quand ça a commencé, et tu n’as pas envie de savoir quand ça va finir. Le pire, c’est que tu ne te rends compte de rien. Tu marches, tu parles, tu bandes, tu bosses — et un jour, pouf, quelqu’un t’appelle "Monsieur" avec un regard prudent, distant, déjà chargé de condoléances anticipées.
Qu’on ne me dise pas qu’on vieillit depuis la naissance. Foutaises. Il y a eu une époque, longue, magnifique, outrageusement injuste, où j’étais jeune. Je veux dire vraiment jeune. Puissant. Séduisant. Je me sentais invincible. Le monde m’appartenait, et j’étais assez con pour le croire. Même à cinquante ans, j’étais encore dans la partie. À soixante ? Bon sang, je vibrais encore, j’avais des projets, des désirs, des muscles, des rêves qui ne me laissaient pas dormir.
Mais voilà : un jour, ce ne sont plus les douleurs dans le dos ou le miroir cruel qui te préviennent. C’est les autres. Les jeunes, les trentenaires fringants, les quadras dans la fleur de l’âge. Tu captes dans leurs yeux une nouvelle lueur : celle de la tolérance condescendante. Tu n’es plus "l’aîné intéressant", tu es le type qui a eu sa chance. Tu es devenu un décor. Une figure d’un autre temps. Et eux, ils seront polis, respectueux, bien élevés — mais derrière cette civilité, il y a l’exclusion. L’apartheid de l’âge. Et toi, tu continues à te penser vivant, vibrant — alors qu’eux t’ont déjà classé dans la catégorie des objets du passé.
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