vendredi 30 septembre 2022

Recettes Tartes-Tarte aux quetsches

 


Tarte aux quetsches

Préparation : 25 mn
Cuisson : 40 mn
Pour 6 personnes
1 pâte brisée ou feuilletée
1 kg de quetsches
2 blancs d’œufs
50 g d’amandes en poudre
80 g de sucre cristallisé
40 g de sucre semoule
½ cuillerée à soupe de cannelle
1. Garnissez un moule à tarte avec la pâte. Dans un bol, mélangez les amandes avec le sucre semoule et les blancs d’œufs. Etalez ce mélange sur la pâte, puis déposez le moule au réfrigérateur.
2. Préchauffez le four à 240 °C (th. 8).
3. Passez les quetsches sous l’eau pour les rincer et dénoyautez-les en les fendant dans la longueur. Disposez-les presque debout sur la pâte, en cercles concentriques bien serrés.
4. Faites cuire 10 minutes au four, puis 30 minutes en réduisant la température à 200 °C (th. 6). A la sortie du four, saupoudrez de sucre cristallisé et de cannelle.
5. Servez tiède.

Recettes Fruits-Clémentines givrées


Clémentines givrées

Préparation : 15 mn
Cuisson : sans
Congélation : 1 heure
Pour 4 personnes 
12 clémentines
¼ de litre de crème glacée à la vanille
1. Coupez un chapeau sur chaque clémentine. Avec un couteau à pamplemousse, évidez-les en recueillant le jus. Grattez l’intérieur des clémentines avec une petite cuillère. Mettez la pulpe évidée dans un bol puis filtrez à travers une passoire en écrasant la pulpe avec le dos d’une cuillère pour recueillir le jus.
2. Placez les écorces évidées 30 minutes au congélateur.
3. Mélangez la crème glacée à la vanille au jus des clémentines à l’aide d’un fouet à main. Réservez également 30 minutes au congélateur.
4. Remplissez les écorces de clémentines durcies avec la glace. Recoiffez chacune de son chapeau. Réservez au congélateur jusqu’au dernier moment.

jeudi 29 septembre 2022

Billets-Entretien avec Judith Butler

 


Entretien avec Judith Butler

Pour cette pionnière de la théorie du genre, être un homme ou une femme est une construction. Toujours subversive, la féministe américaine se positionne aujourd'hui contre la politique d'Israël.

A chaque fois que se profile, en France, un débat sur le mariage pour tous ou l'homoparentalité, un nom se fait entendre : celui de Judith Butler. Star mondiale des gender studies, grâce à son essai Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (1990), la théoricienne et militante américaine de 57 ans — qui publie aujourd'hui un livre sur le conflit israélo-palestinien — a clarifié avec force la distinction entre le sexe (naturel, biologique) et le genre (social, construit). Un duo auquel il faudrait même ajouter un troisième terme : le désir (ou la sexualité), puisque l'un des bienfaits de la pensée de Butler est de déminer les binarismes un peu trop faciles...
La philosophe montre surtout qu'il n'y a pas de lien nécessaire entre ces trois pôles : on peut être femme au niveau biologique, mais s'inventer un genre d'homme et ressentir un désir homo, hétéro, bi ou même asexuel. Comment rendre sa vie vivable, c'est-à-dire comment inscrire son désir dans le monde ? Telle est plutôt la question. Un tourment fondateur pour la philosophe lesbienne, envoyée chez un psychiatre à l'âge de 16 ans, l'année où elle découvre aussi Spinoza et Kierkegaard. « Loin de me "corriger", comme ma mère l'espérait, le psy m'a simplement dit que j'étais chanceuse d'aimer quelqu'un », confie-t-elle, révélant sa tendance fougueuse à ouvrir le champ des possibles, plutôt qu'à clôturer les identités.

  • Vous aviez déjà écrit, ici et là, sur le conflit israélo-palestinien et la question juive. Pourquoi y consacrer un livre maintenant ?

J'ai découvert la pensée juive vers l'âge de 14 ans. Tous les samedis, je suivais des cours de religion et d'hébreu dans ma synagogue de Cleveland, où on lisait aussi des romans et des livres sur Israël et l'Holocauste. Cette question m'occupe donc depuis très longtemps et traverse plusieurs de mes ouvrages. Mais si je me suis attelée à l'écriture de ce livre, en 2005, c'est que certains défenseurs de l'Etat d'Israël ont commencé à rendre publique l'idée que critiquer Israël serait un acte antisémite. Cela m'a mise très en colère. Depuis les controverses talmudiques, le débat d'idées est une composante essentielle de la pensée juive. Ce chantage m'est apparu comme un acte de censure insupportable, inspirant la terreur d'être traité d'antisémite. A titre personnel, je n'aurais jamais pensé pouvoir l'être un jour. J'étais naïve ! J'ai d'abord cru que ces accusations surgies en Allemagne en 2012, lorsque m'a été remis le prix Adorno, n'étaient qu'une mauvaise blague, mais non, c'était bien sérieux... Cette expérience a été choquante, très douloureuse. Pour un Juif, il n'y a pas pire accusation. Faut-il se taire ? Faut-il désavouer sa judéité sous prétexte qu'on n'accepte pas la politique d'Israël ? Non, Israël ne représente pas tous les Juifs, et le sionisme n'a pas le monopole du judaïsme.

  • Votre livre propose une lecture de Walter Benjamin, de Hannah Arendt et d'Emmanuel Levinas. Etes-vous nostalgique de ces penseurs de l'exil juif ?

Je ne pense pas être nostalgique. Il est important de mobiliser aujourd'hui cette tradition de pensée cosmopolite. Dans la diaspora juive, le Juif a toujours à voir avec le non-Juif, et cela a des conséquences éthiques et politiques. Cela implique de vivre avec ses voisins non juifs et forge une vision de la générosité, de l'hospitalité, de l'altérité. Cela conduit à embrasser un Etat démocratique qui ne serait pas fondé sur une discrimination raciale, ethnique ou religieuse. Je sais que c'est une idée radicale et que de nombreuses personnes pensent qu'elle met en péril la sécurité des Juifs. Je crois au contraire, avec Hannah Arendt, que les Juifs ne seront jamais en sécurité tant qu'ils n'accepteront pas un cadre binational qui reconnaisse l'existence et les droits des deux peuples, juif et palestinien. Avant la formation de l'Etat moderne d'Israël, en 1948, cette idée n'apparaissait pas du tout antisioniste, c'était même une forme de sionisme. La vision de Ben Gourion qui, dans les années 1930, l'a emporté sur celle de Hannah Arendt et qui réduit l'Etat à la souveraineté juive est la seule à avoir droit de cité aujourd'hui. C'était et c'est en fait bien plus compliqué que cela. Se tourner vers cette diversité, revenir à ces textes et aux valeurs défendues par leurs auteurs cosmopolites est nécessaire pour penser, aujourd'hui, les principes d'une cohabitation, d'une citoyenneté non discriminatoire, et mettre en œuvre une critique juive de la violence d'Etat, du colonialisme et de l'injustice. Je ne vois pas pourquoi l'égalité politique ne pourrait pas être une valeur juive...

  • Ces valeurs de justice et d'égalité que vous défendez sont-elles portées par la présidence de Barack Obama ?

Il continue la politique de ses prédécesseurs. La relation entre les Etats-Unis et Israël est compliquée, tissée d'interdépendances, mais Obama aurait pu faire beaucoup : conditionner l'aide américaine à l'arrêt des colonies ; s'opposer aux bombardements des populations civiles, notamment durant l'opération Plomb durci, lors de la guerre de Gaza (2008-2009). Obama affiche une très belle rhétorique. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous l'avons élu : nous étions si heureux d'avoir un président capable de bien s'exprimer, après Bush qui nous avait tant embarrassés ! On a cru que ses discours étaient pleins de grands principes moraux qui n'attendaient qu'à se réaliser. Mais non. L'utilisation des drones et la surveillance ont augmenté. Le droit à la vie privée et les libertés civiles ont été bafoués, ce que les Américains acceptent au nom de la sécurité. Cela dit, je suis très sensible au fait qu'Obama ait voulu fournir une couverture santé au plus grand nombre. C'est un pas en avant. Il a aussi explicitement reconnu les droits des homos, le mariage en particulier. Je suis donc, comme beaucoup d'Américains, déçue, tout en ayant conscience, à l'heure du Tea Party, que cela pourrait être bien pire !

  • En France, l'adoption de la loi sur le mariage homosexuel a suscité un violent rejet. Qu'en avez-vous pensé ?

J'ai été effrayée par les vidéos des manifestations. L'homophobie est un mot passionnant qui désigne la crainte de l'homosexualité mais aussi la haine. Que recouvre ce mélange de peur et de détestation ? Je crois que les homophobes les plus extrémistes ne veulent pas que le mariage homosexuel devien­ne une part de l'idée qu'ils ont de la France, de leur identité en tant que Français. La question du nationalisme sous-tend le tableau. Le gouvernement, représentant de la nation, ayant soutenu le mariage pour tous, tous les citoyens qui s'identifient fortement à la nation et au cadre de la famille hétéro traditionnelle ont été ébranlés dans leurs certitudes et ont rejeté avec virulence le mariage homosexuel, dans le but de préserver leur conception nationale. Ce qui s'est révélé en France, c'est ce conflit entre une forme nationaliste d'homophobie et un engagement républicain pour l'égalité.

  • Cela a en tout cas relancé le débat sur les gender studies, qui semblent faire peur à la France. Pourquoi, selon vous ?

J'ai beaucoup lu la presse française pour essayer de comprendre. Ce qui m'a d'abord frappée, c'est, sur le plan du langage, cette façon de s'afficher « contre » la théorie du genre, comme s'il s'agissait d'un match de football, pour Manchester ou contre le Barça ! Les gens ont peur que le genre soit synonyme d'une absence de règles et qu'il fasse exploser tous leurs repères. Le genre met en question le sens du mariage, les rôles de l'homme, de la femme, l'inévitabilité de l'hétérosexualité ; il semble donc introduire l'idée que tout devient possible et constitue pour certains une menace de chaos. En fait, loin de détruire ou d'abolir, les gender studies élargissent la perspective : elles ne disent pas que les normes n'existent pas ou qu'elles sont fausses, mais, au contraire, qu'elles ne cessent de se transformer au cours de l'histoire. Elles n'opèrent pas de la même façon, tout le temps et partout, et ne sont donc pas figées dans un schéma unique.

  • Qu'est-ce que cela implique ?

De prendre en compte ces changements. Ainsi, l'institution du mariage a muté au fil des siècles. Ainsi, la place des femmes dans l'espace public s'est transformée – mais l'espace public a également changé. L'histoire de la biologie, et de la façon dont elle se représente la différence sexuelle, est, elle aussi, évolutive. Il existe des visions plus ou moins larges ou étroites du genre ; certaines n'entrent pas dans la case habituelle « homme » ou « femme ». Il existe des expériences autres : celle des transgenres, celle de la bisexualité, par exemple. Pourquoi ne pas essayer de réfléchir à cette complexité plutôt que de fermer les possibilités ? Et il ne s'agit pas de forger des théories, il s'agit d'abord de saisir la vie des gens, telle qu'elle se déroule sous nos yeux. Dire « je suis contre le genre », c'est dire « je veux que rien ne change jamais, je ne veux même pas avoir à penser le changement ». C'est absurde.

  • Et les choses ont en effet changé depuis 1990, date où est sorti aux Etats-Unis Trouble dans le genre. Quel était alors votre but ?

J'en avais trois. D'abord, déconstruire le regard médical et psychiatrique qui a longtemps considéré l'homosexualité comme une pathologie. Ensuite, refléter les revendications des mouvements gay et lesbien. Tel un scribe, j'ai enregistré ce qui se passait dans ces mouvements sociaux, en tentant d'inventer un nouveau lexique pour décrire leurs actions : ma théorie du genre est la traduction de cette réalité. Enfin, j'ai voulu clarifier mon désaccord avec certaines positions féministes trop étroites, car forgées dans le cadre strict de l'hétérosexualité. Le féminisme américain avait alors une vision de la femme très restreinte, et toujours associée à la maternité, au soin, etc. J'ai cherché à faire de la place à une politique du genre différente, plus large, qui permette d'intégrer la vie de ceux qui se sentaient exclus, effacés par les normes telles qu'elles étaient alors définies, des vies que la souffrance rendait invivables. Si je n'ai jamais totalement adhéré à l'idée d'une « écriture féminine », le féminisme français m'a beaucoup inspirée.

  • Et notamment Simone de Beauvoir et son « On ne naît pas femme, on le devient ».

Oui, en lisant ces pages, je me suis demandé ce que recouvrait ce « on le devient ». Que devient-on exactement ? Un genre ? Son genre ? Existe-t-il un point où, effectivement, je suis devenue mon genre, où je suis arrivée à mon genre ? Non, en fait, puisque le genre est un processus, un devenir perpétuel. Cette réflexion a été l'une des sources de ma théorie de la performativité. Ce que j'essayais de montrer, c'est qu'on ne peut imaginer une émancipation totale du genre, on ne peut atteindre un point où il n'y aurait plus de genre parce que nous sommes toujours profondément formés, construits par les normes du genre. Ces dernières ne sont pas immobiles, arrêtées ; pour être efficaces, elles doivent être répétées, reproduites. Peuvent-elles l'être différemment ? La performativité, c'est le processus qui pousse à reproduire ces normes sur un mode subversif. Le genre est une pratique d'improvisation qui se déploie à l'intérieur d'une scène de contrainte. La subversion, c'est le terme que j'ai choisi pour décrire ce jeu incessant avec et contre les normes du genre.

  • Il semblerait qu'en évoluant, surtout à partir du 11 septembre 2001, de la lutte contre les discriminations sexuelles et de la politique du genre à un engagement contre les inégalités sociales, raciales et contre la violence de la guerre, vous soyez aussi passée d'une pensée de la subversion à une pensée de la précarité. Est-ce exact ?

Ces différents aspects de mon travail sont liés. Ils s'articulent notamment autour de la question du deuil. Le deuil, ce n'est pas qu'une affaire personnelle qui renvoie à la solitude. C'est un élément majeur pour penser ce qu'est une communauté politique. De nombreuses vies d'homosexuels, fauchées par le sida, n'ont jamais été pleurées, reconnues publiquement. Ce déni s'explique par le fait que l'homosexualité était jugée honteuse, tout comme la consommation de drogues ou l'immigration illégale. Ce que le 11 Septembre a au contraire révélé, c'est la sur-représentation immédiate du deuil des victimes disparues dans les Tours. J'étais alors tout près de New York, et j'ai, bien sûr, comme tout le monde, ressenti du chagrin, de l'effarement. Très vite, le gouvernement est parti en guerre pour se venger ; il a envoyé des bombes et tué des gens, qui restaient sans nom pour nous. Qu'est-ce que cela signifie de nommer, de raconter l'histoire et de donner un visage à certains et de refuser de le faire pour d'autres ? Pourquoi rendre hommage aux victimes du 11 Septembre, sans y inclure les ressortissants étrangers et les immigrés illégaux qui travaillaient dans les Tours ? Plus largement, pourquoi vouloir sauver certaines vies, et en supprimer d'autres ? Pourquoi certaines vies ne sont-elles même pas considérées comme dignes d'être vécues ? Nous ne pensons jamais à ceux que nous tuons nous-mêmes, à toutes ces existences détruites – que nous camouflons derrière des euphémismes tels les dommages collatéraux. J'ai tenté d'interroger ce clivage, ce schisme psychologique propre à la tradition politique et culturelle américaine.

  • Une vie précaire, c'est une vie qui n'est pas digne d'être pleurée ?

Ou même vécue. C'est la vie de ceux qui, un jour, ont un travail, qu'ils perdront le lendemain ; la vie de ceux qui sont criblés de dettes qu'ils ne pourront jamais rembourser. Cela m'intéresse de dresser un parallèle entre les vies détruites par la machine de guerre et les vies détruites, au quotidien, par la précarité économique – toute cette population « jetable » qui ne peut même pas prétendre à la santé. Il est clair aujourd'hui que les riches sont de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, quand les pauvres, eux, sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. C'était le sens de mon engagement aux côtés du mouvement Occupy Wall Street. Ephémère, le mouvement a eu le mérite d'attirer l'attention sur le creusement de ces inégalités, aux Etats-Unis et en Europe.

  • De Trouble dans le genre à Vers la cohabitation, c'est l'idée d'appartenance que vous critiquez. Appartenir, c'est toujours trop étroit ?

La relation éthique, pour exister, doit se déprendre de toute forme d'appartenance nationale ; c'est ce que je montre à travers ma critique du sionisme. De même, quand nous parlons de « notre » sexualité, de « notre » genre, ce ne sont pas des possessions que nous désignons. La sexualité et le genre doivent plutôt être compris comme des modes de dépossession, des façons d'être pour un autre, en fonction d'un autre. En ce sens, je crois que nous sommes toujours hors de nous-mêmes. Fondamentalement, hors de soi...

Judith Butler en quelques dates
1956 Naît à Cleveland, Ohio, dans une famille juive.
1984 Soutient à Yale sa thèse de philosophie sur le désir chez Hegel.
1990 Publie Trouble dans le genre.
1993 Enseigne la littérature comparée à Berkeley, Californie.
2012 Reçoit le prix Adorno. Professeure invitée à Columbia, New York.




Propos recueillis par Juliette Cerf (Télérama)

Billets-Charnier de Timișoara 1989, une falsification célèbre

Charnier de Timișoara 1989, une falsification célèbre

Les journalistes rapportèrent qu'il y aurait eu 1 104 tués et 3 352 blessés pendant l'insurrection, en opposition avec le nombre réel de 93 morts à la fin de celle-ci. Les images de cadavres dont l'origine véritable avait été cachée furent abondamment diffusées dans le monde entier. Ce n'est qu'en février 1990 qu'il fut officiellement établi qu'il s'agissait là d'une campagne de désinformation. Le nom de Timișoara est dès lors resté associé aux manipulations dont les médias sont toujours susceptibles d'être à la fois les dupes et les relais. Dès la première diffusion des images aux téléspectateurs il était visible, pour un observateur un tant soit peu attentif, que les corps déterrés portaient de nombreuses cicatrices de plaies recousues trahissant des interventions chirurgicales.


Billets-Entretien avec Christophe Guilluy


Entretien avec Christophe Guilluy

“La bipolarisation droite-gauche n’existe plus en milieu populaire”
Christophe Guilluy est un géographe qui travaille à l’élaboration d’une nouvelle géographie sociale. Spécialiste des classes populaires, il a théorisé la coexistence des deux France : la France des métropoles et la France périphérique. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage très remarqué : Fractures françaises.

  • Le Figaro-Vous êtes classé à gauche mais vous êtes adulé par la droite. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Christophe Guilluy-Je ne suis pas un chercheur classique. Ma ligne de conduite depuis quinze ans a toujours été de penser la société par le bas et de prendre au sérieux ce que font, disent et pensent les catégories populaires. Je ne juge pas. Je ne crois pas non plus à la posture de l’intellectuel qui influence l’opinion publique. Je ne crois pas non plus à l’influence du discours politique sur l’opinion. C’est même l’inverse qui se passe. Ce que j’appelle la nouvelle géographie sociale a pour ambition de décrire l’émergence de nouvelles catégories sociales sur l’ensemble des territoires.

  • Selon vous, la mondialisation joue un rôle fondamental dans les fractures françaises. Pourquoi ?
Christophe Guilluy-La mondialisation a un impact énorme sur la recomposition des classes sociales en restructurant socialement et économiquement les territoires. Les politiques, les intellectuels et les chercheurs ont la vue faussée. Ils chaussent les lunettes des années 1980 pour analyser une situation qui n’a aujourd’hui plus rien à voir. Par exemple, beaucoup sont encore dans la mythologie des classes moyennes façon Trente Glorieuses. Mais à partir des années 1980, un élément semble dysfonctionner : les banlieues. Dans les années 1970, on avait assisté à l’émergence d’une classe moyenne, c’est la France pavillonnaire.

  • Vous avez théorisé la coexistence de deux France avec, d’une part, la France des métropoles et de l’autre la France périphérique.
Christophe Guilluy-On peut en effet diviser schématiquement la France en deux : la France périphérique, que certains ont dénommée mal à propos France périurbaine, est cette zone qui regroupe aussi bien des petites villes que des campagnes. De l’autre côté, il y a les métropoles, complètement branchées sur la mondialisation, sur les secteurs économiques de pointe avec de l’emploi très qualifié.
Ces métropoles se retrouvent dans toutes régions de France. Bien évidemment, cela induit une recomposition sociale et démographique de tous ces espaces. En se désindustrialisant, les villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, avec un embourgeoisement à grande vitesse.

  • Mais en même temps que cet embourgeoisement, il y a aussi dans les métropoles un renforcement des populations immigrées.
Christophe Guilluy-Au moment même où l’ensemble du parc immobilier des grandes villes est en train de se « gentrifier », l’immobilier social, les HLM, le dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. On assiste à l’émergence de « villes monde » très inégalitaires où se regroupent avec d’un côté des cadres, et de l’autre des catégories précaires issues de l’immigration. Dans ces espaces, les gens sont tous mobiles, aussi bien les cadres que les immigrés. Surtout, ils sont là où tout se passe, où se crée l’emploi. Tout le monde dans ces métropoles en profite, y compris les banlieues et les immigrés. Bien sûr cela va à l’encontre de la mythologie de la banlieue ghetto où tout est figé. Dans les zones urbaines sensibles, il y a une vraie mobilité : les gens arrivent et partent.

  • Pourtant le parc immobilier social se veut universel ?
Christophe Guilluy-La fonction du parc social n’est plus la même que dans les années 1970. Aujourd’hui, les HLM servent de sas entre le Nord et le Sud. C’est une chose fondamentale que beaucoup ont voulu, consciemment ou non, occulter : il y a une vraie mobilité dans les banlieues. Alors qu’on nous explique que tout est catastrophique dans ces quartiers, on s’aperçoit que les dernières phases d’ascension économique dans les milieux populaires se produisent dans les catégories immigrées des grandes métropoles. Si elles réussissent, ce n’est pas parce qu’elles ont bénéficié d’une discrimination positive, mais d’abord parce qu’elles sont là où tout se passe.

  • La France se dirige-t-elle vers le multiculturalisme ?
Christophe Guilluy-La France a un immense problème où l’on passe d’un modèle assimilationniste républicain à un modèle multiculturel de fait, et donc pas assumé. Or, les politiques parlent républicain mais pensent multiculturel. Dans la réalité, les politiques ne pilotent plus vraiment les choses. Quel que soit le discours venu d’en haut, qu’il soit de gauche ou de droite, les gens d’en bas agissent. La bipolarisation droite-gauche n’existe plus en milieu populaire. Elle est surjouée par les politiques et les catégories supérieures bien intégrées mais ne correspond plus à grand-chose pour les classes populaires.

  • Les classes populaires ne sont donc plus ce qu’elles étaient…
Christophe Guilluy-Dans les nouvelles classes populaires on retrouve les ouvriers, les employés, mais aussi les petits paysans, les petits indépendants. Il existe une France de la fragilité sociale. On a eu l’idée d’en faire un indicateur en croisant plusieurs critères comme le chômage, les temps partiel, les propriétaires précaires, etc. Ce nouvel indicateur mesure la réalité de la France qui a du mal à boucler les fins de mois, cette population qui vit avec environ 1 000 euros par mois. Et si on y ajoute les retraités et les jeunes, cela forme un ensemble qui représente près de 65 % de la population française. La majorité de ce pays est donc structurée sociologiquement autour de ces catégories modestes. Le gros problème, c’est que pour la première fois dans l’histoire, les catégories populaires ne vivent plus là où se crée la richesse.

  • Avec 65 % de la population en périphérie, peut-on parler de ségrégation ?
Christophe Guilluy-Avant, les ouvriers étaient intégrés économiquement donc culturellement et politiquement. Aujourd’hui, le projet économique des élites n’intègre plus l’ensemble de ces catégories modestes. Ce qui ne veut pas dire non plus que le pays ne fonctionne pas mais le paradoxe est que la France fonctionne sans eux puisque deux tiers du PIB est réalisé dans les grandes métropoles dont ils sont exclus. C’est sans doute le problème social, démocratique, culturel et donc politique majeur : on ne comprend rien ni à la montée du Front national ni de l’abstention si on ne comprend pas cette évolution.

  • Selon vous, le Front national est donc le premier parti populaire de France ?
Christophe Guilluy-La sociologie du FN est une sociologie de gauche. Le socle électoral du PS repose sur les fonctionnaires tandis que celui de l’UMP repose sur les retraités, soit deux blocs sociaux qui sont plutôt protégés de la mondialisation. La sociologie du FN est composée à l’inverse de jeunes, d’actifs et de très peu de retraités. Le regard porté sur les électeurs du FN est scandaleux. On les pointe toujours du doigt en rappelant qu’ils sont peu diplômés. Il y a derrière l’idée que ces électeurs frontistes sont idiots, racistes et que s’ils avaient été diplômés, ils n’auraient pas voté FN.

  • Les électeurs seraient donc plus subtils que les sociologues et les politologues… ?
Christophe Guilluy-Les Français, contrairement à ce que disent les élites, ont une analyse très fine de ce qu’est devenue la société française parce qu’ils la vivent dans leur chair. Cela fait trente ans qu’on leur dit qu’ils vont bénéficier, eux aussi, de la mondialisation et du multiculturalisme alors même qu’ils en sont exclus. Le diagnostic des classes populaires est rationnel, pertinent et surtout, c’est celui de la majorité. Bien évidemment, le FN ne capte pas toutes les classes populaires. La majorité se réfugie dans l’abstention.

  • Vous avancez aussi l’idée que la question culturelle et identitaire prend une place prépondérante.
Christophe Guilluy-Les Français se sont rendu compte que la question sociale a été abandonnée par les classes dirigeantes de droite et de gauche. Cette intuition les amène à penser que dans ce modèle qui ne les intègre plus ni économiquement ni socialement, la question culturelle et identitaire leur apparaît désormais comme essentielle. Cette question chez les électeurs FN est rarement connectée à ce qu’il se passe en banlieue. Or il y a un lien absolu entre la montée de la question identitaire dans les classes populaires « blanches » et l’islamisation des banlieues.

  • Vaut-il parfois mieux habiter une cité de La Courneuve qu’en Picardie ?
Christophe Guilluy-Le paradoxe est qu’une bonne partie des banlieues sensibles est située dans les métropoles, ces zones qui fonctionnent bien mieux que la France périphérique, là où se trouvent les vrais territoires fragiles. Les élites, qui habitent elles dans les métropoles considèrent que la France se résume à des cadres et des jeunes immigrés de banlieue.
Ce qui émerge dans cette France périphérique, c’est une contre-société, avec d’autres valeurs, d’autres rapports au travail ou à l’État-providence. Même s’il y a beaucoup de redistribution des métropoles vers la périphérie, le champ des possibles est beaucoup plus restreint avec une mobilité sociale et géographique très faible. C’est pour cette raison que perdre son emploi dans la France périphérique est une catastrophe.

  • Pourquoi alors l’immigration pose-t-elle problème ?
Christophe Guilluy-Ce qui est fascinant, c’est la technicité culturelle des classes populaires et la nullité des élites qui se réduit souvent à raciste/pas raciste. Or, une personne peut être raciste le matin, fraternelle le soir. Tout est ambivalent. La question du rapport à l’autre est la question du village et comment celui-ci sera légué à ses enfants. Il est passé le temps où on présentait l’immigration comme « une chance pour la France ». Ne pas savoir comment va évoluer son village est très anxiogène. La question du rapport à l’autre est totalement universelle et les classes populaires le savent, pas parce qu’elles seraient plus intelligentes mais parce qu’elles en ont le vécu.

  • Marine Le Pen qui défend la France des invisibles, vous la voyez comme une récupération de vos thèses ?
Christophe Guilluy-Je ne me suis jamais posé la question de la récupération. Un chercheur doit rester froid même si je vois très bien à qui mes travaux peuvent servir. Mais après c’est faire de la politique, ce que je ne veux pas. Dans la France périphérique, les concurrents sont aujourd’hui l’UMP et le FN. Pour la gauche, c’est plus compliqué. Les deux vainqueurs de l’élection présidentielle de 2012 sont en réalité Patrick Buisson et Terra Nova, ce think-tank de gauche qui avait théorisé pour la gauche la nécessité de miser d’abord sur le vote immigré comme réservoir de voix potentielles pour le PS.
La présidentielle, c’est le seul scrutin où les classes populaires se déplacent encore et où la question identitaire est la plus forte. Sarkozy a joué le « petit Blanc », la peur de l’arrivée de la gauche qui signifierait davantage d’islamisation et d’immigration. Mais la gauche a joué en parallèle le même jeu en misant sur le « petit Noir » ou le « petit Arabe ». Le jeu de la gauche a été d’affoler les minorités ethniques contre le danger fascisant du maintien au pouvoir de Sarkozy et Buisson.
On a pu croire un temps que Hollande a joué les classes populaires alors qu’en fait c’est la note Terra Nova qui leur servait de stratégie. Dans les deux camps, les stratégies se sont révélées payantes même si c’est Hollande qui a gagné. Le discours Terra Nova en banlieue s’est révélé très efficace quand on voit les scores obtenus. Près de 90 % des Français musulmans ont voté Hollande au second tour.

  • La notion même de classe populaire a donc fortement évolué.
Christophe Guilluy-Il y a un commun des classes populaires qui fait exploser les définitions existantes du peuple. Symboliquement, il s’est produit un retour en arrière de deux siècles. Avec la révolution industrielle, on a fait venir des paysans pour travailler en usines. Aujourd’hui, on leur demande de repartir à la campagne. Toutes ces raisons expliquent cette fragilisation d’une majorité des habitants et pour laquelle, il n’y a pas réellement de solutions. C’est par le bas qu’on peut désamorcer les conflits identitaires et culturels car c’est là qu’on trouve le diagnostic le plus intelligent. Quand on vit dans ces territoires, on comprend leur complexité. Ce que le bobo qui arrive dans les quartiers populaires ne saisit pas forcément.


Source Le Figaro

Billets-Emmanuel Macron victime de sa légèreté

Emmanuel Macron lors de la conférence de presse donnée à Kiev le 16 juin 2022. | Ludovic Marin / Pool / AFP

Emmanuel Macron victime de sa légèreté

Il avait tout pour lui mais, par désinvolture, il a gâché sa propre réélection et celle de sa majorité. Après avoir chamboulé le jeu électoral droite-gauche de la Ve République, Emmanuel Macron a cassé son propre jouet.

En 2017, Emmanuel Macron avait brouillé les cartes et changé les règles d'un jeu qu'on pensait figé à jamais. Consubstantiel à la Ve République, l'affrontement droite-gauche fut, en quelques mois, balayé. Un jeu de quilles, un désordre inédit d'où sortit, goguenard, un gamin, entre Rastignac et Tintin, qui raflait la mise sans coup férir. Cinq ans après, le désordre est toujours là; il s'est même accru. Mais le désordre s'est vengé de celui qui l'a créé. Par désinvolture, le président mord la poussière.

Le candidat Cerfa

Reprenons les faits de cette double campagne ratée.

Mauvais calcul? Vanité? Orgueil? Désintérêt? Mépris? Condescendance? Maladresse? Parmi les mots qui viennent à l'esprit pour qualifier la double campagne –ou non-campagne– d'Emmanuel Macron, ce sont peut-être ceux de légèreté ou de désinvolture qui conviennent le mieux.

Cinq ans à l'Élysée? Un tel séjour change un homme. Sans doute ne voit-il plus le monde comme il le faudrait. Submergé de dossiers, peut-être écoute-t-il un peu moins les ronchons et davantage les flatteurs. Au palais, on s'isole. Réduite en notes et statistiques, la perception de la réalité s'émousse et il ne reste plus guère de temps pour la proximité. Emmanuel Macron a oublié ce qu'était une campagne.

Au candidat inventif, disruptif, combattif, volontaire et optimiste de 2017 a succédé un habitué des lieux, prêt à renouveler son bail en signant un formulaire Cerfa, et quelque peu surpris –on n'ose dire ennuyé– qu'on lui demande de faire campagne.

Le débat, pris de haut

Car il fallait prendre cette campagne à bras le corps, se mettre en scène, flatter le cul des vaches, arpenter les rues, bouffer des rillettes et boire des canons, trouver magnifique le reblochon et sublime la betterave, s'inviter à Pôle emploi, accepter un collier de fleurs ultramarin, observer une chaîne de montage, faire du people, pousser un caddie dans un supermarché. Certes, le président avait arpenté la France pendant cinq ans; mais ces «miles» ne sont jamais portés au crédit du candidat.

Qu'a-t-il bien pu se passer dans le cerveau élyséen? Une conjoncture incroyablement favorable le portait. Certes, la présidence de l'Union européenne obligeait Emmanuel Macron. Mais la «fin» de la crise sanitaire offrait un espace de liberté retrouvée. Puis la Russie envahissait l'Ukraine, faisant du chef des armées un chef de guerre. La percée dans les sondages fut immédiate.

Alors, par l'enchaînement des événements, le candidat disparut. Sans doute a-t-il cru revivre les circonstances heureuses de 2017, avec le renoncement de François Hollande et l'échec industriel de François Fillon. Mais, enfin, où était-il écrit que l'on gagne sur un coup de dés, par discrétion, par évitement, presque par effraction?

Pourquoi débattre avec ceux qui ne lui arrivaient pas à la cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt.

Et, évidemment, plus que jamais, il fallait débattre. Après un quinquennat où l'affrontement fut fréquent, ses adversaires, comme l'électorat, l'attendaient dans l'arène. Macron, redoutable débatteur, n'avait rien à craindre: sa connaissance des sujets et l'expérience de la fonction lui donnaient un avantage évident. La constitution de la Ve République, qui réduit –réduisait– l'opposition à de la figuration, fige et caricature les échanges.

Le besoin de débat était légitime. Bien sûr, un pugilat à douze eût été absurde lorsqu'un débat à trois ou quatre était envisageable, et même utile. Le président-candidat refusa et se contenta du service institutionnel minimum dans l'entre-deux-tours. L'audace de 2017 avait fui, grippée par l'embourgeoisement de 2022.

Président partout, candidat nulle part

Un embourgeoisement et une manière de suffisance aussi. Bien, vite, aucune candidature ne parut en mesure de contester sa victoire. Dès lors, pourquoi débattre avec ceux qui ne lui arrivaient pas à la cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt. Le président méprisait, se dérobait: ses adversaires ne se privèrent pas de le lui reprocher. Et l'opinion acquiesça qui, bien vite, oublia l'Ukraine pour ne s'intéresser qu'au plein de diesel. Macron distribua des chèques cadeaux qui ne calmèrent aucune inquiétude ni aucun ressentiment.

Ses adversaires couraient de plateau en plateau et leur omniprésence rappelait à tout instant son absence.

Où était-il? Dans son palais. À Bruxelles. Loin. Il se déguisa en Zelensky. Peut-être s'ennuyait-il. Cette élection? Une formalité, mais un pensum aussi.

Il partit enfin dans l'arène, puisqu'il le fallait. Dans des débats publics, que ses adversaires dénoncèrent comme préparés (eux-mêmes se gardant bien d'en faire) et qui ne l'étaient pas tout à fait. Il s'en sortit honorablement. Mais les médias, vexés eux aussi de son refus du pugilat télévisé, n'en retenaient que les points négatifs.

C'était comme une punition dont on ignorait l'origine, une manière de défi: vous voterez pour moi malgré tout.

Peu importait, c'était déjà plié.

La folle campagne de 2017 était loin. Cinq ans après, plus rien ne surprenait et même l'enthousiasme des supporters semblait surjoué. Absents des réseaux sociaux, où les fans de Zemmour et Mélenchon faisaient le spectacle, les macronistes n'avaient que du désarroi à offrir.

La retraite à 65 ans, une punition sans explications

Pour affaiblir le camp de la droite, Macron dégaina une retraite à 65 ans. C'était un chiffon rouge, un cadeau fait à ses adversaires qui s'en emparèrent comme d'un totem.

Il en resta là.

65 ans, et puis plus rien. Dans une campagne, les propositions doivent se cogner, se frictionner, se frotter à l'adversaire comme à la population, évoluer, disparaître ou percer. 65 ans: pour qui? Pourquoi? On l'ignorait. C'était comme une punition dont on ignorait l'origine, une manière de défi: vous voterez pour moi malgré tout.

La victoire suivit, plus large qu'attendue. Mais peut-on tirer gloire d'obtenir 58% des voix face à la présidente du Rassemblement national? De ce deuxième tour, au fond étriqué, il ne tira nulle leçon.

Des législatives gagnées d'avance

Pis: il récidiva. En choisissant un gouvernement où la compétence des ministres masquait mal leur faiblesse politique et, plus encore, l'impossibilité pour le président de faire bouger les lignes. Le voyant affaibli, ses adversaires ne lui firent pas le cadeau d'un ralliement, d'autant plus qu'ils savaient la faible valeur d'un maroquin avant les élections législatives.

Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat n'avait qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron.

Par nature, ou par mimétisme, Élisabeth Borne ne fit pas davantage campagne que le président. Les parlementaires de Renaissance partaient au front, sans enthousiasme et sans soutien. Macron leur fit l'aumône de quelques brefs discours, trop alarmistes pour être crédibles.

Fait-on campagne sur le tarmac lorsqu'il n'y a plus d'huile d'arachide ni de moutarde en rayons? Quel ennui cette campagne et quelle tristesse que ces préoccupations si terre à terre! De toutes façons, tous le disaient, les législatives ne sont là que pour donner une majorité au président élu. Une formalité!

La détestation comme bulletin de vote

Léger, absent, désinvolte: Macron a cru qu'il pourrait gagner à Kiev ou à Bruxelles. Se croyant irrésistible comme en 2017, il a ignoré la haine, tenace, que sa personnalité suscite. Au point de faire de chacun de ces quatre tours un référendum progressif contre lui. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat n'avait qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron. Après sa victoire en 2017, il avait déclaré vouloir tout faire pour que l'électorat n'ait «plus aucune raison de voter pour les extrêmes». En juin 2022, l'extrême gauche et l'extrême droite sont les principaux partis d'opposition. Et, fait majeur, le RN passe devant Les Républicains. L'échec est total.

Il serait injuste de faire de Macron le seul responsable de ce nouveau bouleversement. Entamée il y a trois décennies, la progression du Front national continue et il n'a pu, comme ses prédécesseurs, l'entraver. Observable dans la plupart des mouvements sociaux, la radicalisation de la gauche a désormais un relais politique majeur, celui de la gauche d'opposition, qui a avalé la gauche de gouvernement. L'abstention progresse inexorablement et la voie «raisonnable» du centre n'enthousiasme plus guère.

Demain, peut-être, le président trouvera une coalition inédite, «à l'allemande», qui mettrait fin à notre passion du fait majoritaire. Et il pourrait, d'une pirouette, y voir une adéquation avec sa volonté de rassemblement. Mais pour quel projet? Comme ses supporters, chez qui la déception est à la hauteur de l'occasion gâchée, Emmanuel Macron sait que cet échec est avant tout le sien. C'est l'échec d'un enfant gâté de la démocratie qui a trop cru en sa bonne étoile et refusé la violence d'une campagne électorale avant de la recevoir en boomerang.

Source : Slate.fr Jean-Marc Proust — Édité par Thomas Messias