Dessins de presse
Charnier de Timișoara 1989, une falsification célèbre
Les journalistes rapportèrent qu'il y aurait eu 1 104 tués et 3 352 blessés pendant l'insurrection, en opposition avec le nombre réel de 93 morts à la fin de celle-ci. Les images de cadavres dont l'origine véritable avait été cachée furent abondamment diffusées dans le monde entier. Ce n'est qu'en février 1990 qu'il fut officiellement établi qu'il s'agissait là d'une campagne de désinformation. Le nom de Timișoara est dès lors resté associé aux manipulations dont les médias sont toujours susceptibles d'être à la fois les dupes et les relais. Dès la première diffusion des images aux téléspectateurs il était visible, pour un observateur un tant soit peu attentif, que les corps déterrés portaient de nombreuses cicatrices de plaies recousues trahissant des interventions chirurgicales.
Emmanuel Macron lors de la conférence de presse donnée à Kiev le 16 juin 2022. | Ludovic Marin / Pool / AFP
Emmanuel Macron victime de sa légèreté
Il avait tout pour lui mais, par désinvolture, il a gâché sa propre réélection et celle de sa majorité. Après avoir chamboulé le jeu électoral droite-gauche de la Ve République, Emmanuel Macron a cassé son propre jouet.
En 2017, Emmanuel Macron avait brouillé les cartes et changé les règles d'un jeu qu'on pensait figé à jamais. Consubstantiel à la Ve République, l'affrontement droite-gauche fut, en quelques mois, balayé. Un jeu de quilles, un désordre inédit d'où sortit, goguenard, un gamin, entre Rastignac et Tintin, qui raflait la mise sans coup férir. Cinq ans après, le désordre est toujours là; il s'est même accru. Mais le désordre s'est vengé de celui qui l'a créé. Par désinvolture, le président mord la poussière.
Le candidat Cerfa
Reprenons les faits de cette double campagne ratée.
Mauvais calcul? Vanité? Orgueil? Désintérêt? Mépris? Condescendance? Maladresse? Parmi les mots qui viennent à l'esprit pour qualifier la double campagne –ou non-campagne– d'Emmanuel Macron, ce sont peut-être ceux de légèreté ou de désinvolture qui conviennent le mieux.
Cinq ans à l'Élysée? Un tel séjour change un homme. Sans doute ne voit-il plus le monde comme il le faudrait. Submergé de dossiers, peut-être écoute-t-il un peu moins les ronchons et davantage les flatteurs. Au palais, on s'isole. Réduite en notes et statistiques, la perception de la réalité s'émousse et il ne reste plus guère de temps pour la proximité. Emmanuel Macron a oublié ce qu'était une campagne.
Au candidat inventif, disruptif, combattif, volontaire et optimiste de 2017 a succédé un habitué des lieux, prêt à renouveler son bail en signant un formulaire Cerfa, et quelque peu surpris –on n'ose dire ennuyé– qu'on lui demande de faire campagne.
Le débat, pris de haut
Car il fallait prendre cette campagne à bras le corps, se mettre en scène, flatter le cul des vaches, arpenter les rues, bouffer des rillettes et boire des canons, trouver magnifique le reblochon et sublime la betterave, s'inviter à Pôle emploi, accepter un collier de fleurs ultramarin, observer une chaîne de montage, faire du people, pousser un caddie dans un supermarché. Certes, le président avait arpenté la France pendant cinq ans; mais ces «miles» ne sont jamais portés au crédit du candidat.
Qu'a-t-il bien pu se passer dans le cerveau élyséen? Une conjoncture incroyablement favorable le portait. Certes, la présidence de l'Union européenne obligeait Emmanuel Macron. Mais la «fin» de la crise sanitaire offrait un espace de liberté retrouvée. Puis la Russie envahissait l'Ukraine, faisant du chef des armées un chef de guerre. La percée dans les sondages fut immédiate.
Alors, par l'enchaînement des événements, le candidat disparut. Sans doute a-t-il cru revivre les circonstances heureuses de 2017, avec le renoncement de François Hollande et l'échec industriel de François Fillon. Mais, enfin, où était-il écrit que l'on gagne sur un coup de dés, par discrétion, par évitement, presque par effraction?
Pourquoi débattre avec ceux qui ne lui arrivaient pas à la cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt.
Et, évidemment, plus que jamais, il fallait débattre. Après un quinquennat où l'affrontement fut fréquent, ses adversaires, comme l'électorat, l'attendaient dans l'arène. Macron, redoutable débatteur, n'avait rien à craindre: sa connaissance des sujets et l'expérience de la fonction lui donnaient un avantage évident. La constitution de la Ve République, qui réduit –réduisait– l'opposition à de la figuration, fige et caricature les échanges.
Le besoin de débat était légitime. Bien sûr, un pugilat à douze eût été absurde lorsqu'un débat à trois ou quatre était envisageable, et même utile. Le président-candidat refusa et se contenta du service institutionnel minimum dans l'entre-deux-tours. L'audace de 2017 avait fui, grippée par l'embourgeoisement de 2022.
Président partout, candidat nulle part
Un embourgeoisement et une manière de suffisance aussi. Bien, vite, aucune candidature ne parut en mesure de contester sa victoire. Dès lors, pourquoi débattre avec ceux qui ne lui arrivaient pas à la cheville? C'était se voir trop beau, trop grand, trop tôt. Le président méprisait, se dérobait: ses adversaires ne se privèrent pas de le lui reprocher. Et l'opinion acquiesça qui, bien vite, oublia l'Ukraine pour ne s'intéresser qu'au plein de diesel. Macron distribua des chèques cadeaux qui ne calmèrent aucune inquiétude ni aucun ressentiment.
Ses adversaires couraient de plateau en plateau et leur omniprésence rappelait à tout instant son absence.
Où était-il? Dans son palais. À Bruxelles. Loin. Il se déguisa en Zelensky. Peut-être s'ennuyait-il. Cette élection? Une formalité, mais un pensum aussi.
Il partit enfin dans l'arène, puisqu'il le fallait. Dans des débats publics, que ses adversaires dénoncèrent comme préparés (eux-mêmes se gardant bien d'en faire) et qui ne l'étaient pas tout à fait. Il s'en sortit honorablement. Mais les médias, vexés eux aussi de son refus du pugilat télévisé, n'en retenaient que les points négatifs.
C'était comme une punition dont on ignorait l'origine, une manière de défi: vous voterez pour moi malgré tout.
Peu importait, c'était déjà plié.
La folle campagne de 2017 était loin. Cinq ans après, plus rien ne surprenait et même l'enthousiasme des supporters semblait surjoué. Absents des réseaux sociaux, où les fans de Zemmour et Mélenchon faisaient le spectacle, les macronistes n'avaient que du désarroi à offrir.
La retraite à 65 ans, une punition sans explications
Pour affaiblir le camp de la droite, Macron dégaina une retraite à 65 ans. C'était un chiffon rouge, un cadeau fait à ses adversaires qui s'en emparèrent comme d'un totem.
Il en resta là.
65 ans, et puis plus rien. Dans une campagne, les propositions doivent se cogner, se frictionner, se frotter à l'adversaire comme à la population, évoluer, disparaître ou percer. 65 ans: pour qui? Pourquoi? On l'ignorait. C'était comme une punition dont on ignorait l'origine, une manière de défi: vous voterez pour moi malgré tout.
La victoire suivit, plus large qu'attendue. Mais peut-on tirer gloire d'obtenir 58% des voix face à la présidente du Rassemblement national? De ce deuxième tour, au fond étriqué, il ne tira nulle leçon.
Des législatives gagnées d'avance
Pis: il récidiva. En choisissant un gouvernement où la compétence des ministres masquait mal leur faiblesse politique et, plus encore, l'impossibilité pour le président de faire bouger les lignes. Le voyant affaibli, ses adversaires ne lui firent pas le cadeau d'un ralliement, d'autant plus qu'ils savaient la faible valeur d'un maroquin avant les élections législatives.
Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat n'avait qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron.
Par nature, ou par mimétisme, Élisabeth Borne ne fit pas davantage campagne que le président. Les parlementaires de Renaissance partaient au front, sans enthousiasme et sans soutien. Macron leur fit l'aumône de quelques brefs discours, trop alarmistes pour être crédibles.
Fait-on campagne sur le tarmac lorsqu'il n'y a plus d'huile d'arachide ni de moutarde en rayons? Quel ennui cette campagne et quelle tristesse que ces préoccupations si terre à terre! De toutes façons, tous le disaient, les législatives ne sont là que pour donner une majorité au président élu. Une formalité!
La détestation comme bulletin de vote
Léger, absent, désinvolte: Macron a cru qu'il pourrait gagner à Kiev ou à Bruxelles. Se croyant irrésistible comme en 2017, il a ignoré la haine, tenace, que sa personnalité suscite. Au point de faire de chacun de ces quatre tours un référendum progressif contre lui. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, l'électorat n'avait qu'une seule boussole: sa détestation d'Emmanuel Macron. Après sa victoire en 2017, il avait déclaré vouloir tout faire pour que l'électorat n'ait «plus aucune raison de voter pour les extrêmes». En juin 2022, l'extrême gauche et l'extrême droite sont les principaux partis d'opposition. Et, fait majeur, le RN passe devant Les Républicains. L'échec est total.
Il serait injuste de faire de Macron le seul responsable de ce nouveau bouleversement. Entamée il y a trois décennies, la progression du Front national continue et il n'a pu, comme ses prédécesseurs, l'entraver. Observable dans la plupart des mouvements sociaux, la radicalisation de la gauche a désormais un relais politique majeur, celui de la gauche d'opposition, qui a avalé la gauche de gouvernement. L'abstention progresse inexorablement et la voie «raisonnable» du centre n'enthousiasme plus guère.
Demain, peut-être, le président trouvera une coalition inédite, «à l'allemande», qui mettrait fin à notre passion du fait majoritaire. Et il pourrait, d'une pirouette, y voir une adéquation avec sa volonté de rassemblement. Mais pour quel projet? Comme ses supporters, chez qui la déception est à la hauteur de l'occasion gâchée, Emmanuel Macron sait que cet échec est avant tout le sien. C'est l'échec d'un enfant gâté de la démocratie qui a trop cru en sa bonne étoile et refusé la violence d'une campagne électorale avant de la recevoir en boomerang.
Source : Slate.fr Jean-Marc Proust — Édité par Thomas Messias