samedi 30 mars 2019

Billets-La torche humaine


La torche humaine

Paris -- La photo que j’ai faite de ce policier m’a vraiment touché. Parce que j’avais sous les yeux un homme pris dans les flammes. A Paris. Sans avoir rien fait pour mériter ça. Je suis originaire de Syrie, un pays où la police n’est pas là pour te protéger mais tire à balles réelles sur les manifestants. Alors qu’ici, tout ce qu’elle faisait était d'envoyer des gaz lacrymogènes vers ceux qui l'attaquaient. 

J’ai pris cette photo pendant les manifestations de la fête du travail, le 1er mai, à Paris. J’y habite depuis un peu plus d’un an maintenant. J’ai dû quitter ma ville natale d’Alep, en Syrie, après y avoir perdu un œil, en couvrant des combats.

Des CRS en marche vers la place de la Bastille, le 1er mai 2017. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

Je travaille comme photographe pigiste depuis mon arrivée en France. Je couvre beaucoup de manifestations. C’est comme ça que je me suis retrouvé lundi, vers midi, entre les places de la République et de la Bastille.

J’ai vite repéré les types qui sont toujours en noir, et cachent leurs visages avec des foulards, les Black Bloc. Je les suis à toutes les manifestations parce que je sais par expérience qu’ils causent toujours des problèmes.

Ils sont très violents. Ils m’ont pris à partie plusieurs fois, poussé par terre et même frappé. Ce lundi, je les prenais en photos pendant qu’ils étaient en train de détruire des choses, quand l’un d’eux m’a collé une cigarette sur l’objectif. En ce qui me concerne, ils sont juste gênants. Je suis syrien. Et leurs petites bagarres ne sont rien par rapport à ce à quoi j’ai assisté dans mon pays.

Un quartier d'Alep, décembre 2013. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

Manifestation à la veille du premier tour de l'élection présidentielle, le 22 avril 2017, avec des membres du Black Bloc, près de la Place de la République. (AFP/ Zakaria Abdelfaki)

Je me trouvais entre eux et la police, sur un côté. Et en prenant des photos, je me suis dit que l’histoire était celle de l’agression contre la police. Parce que les types en noir leur lançaient des pierres, des bouteilles en verre, tout ce qui leur tombait sous la main. Et la police se contentait de répliquer par des tirs de lacrymogène. Autant dire rien.

1er mai 2017, près de la place de la Bastille. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

Quand je photographie, quand j’ai mon œil sur le viseur, j’oublie tout le reste. Je n’ai pas vu le cocktail Molotov partir. J’ai juste vu le policier enveloppé par les flammes, et j’ai déclenché en rafale. Le policier était en train d’éloigner une cartouche de gaz lacrymogène du pied, quand le cocktail Molotov l’a frappé. Je l’ai entendu crier. Et puis ceux qui l’entouraient se sont aussi mis à crier. Je l’ai photographié jusqu’à ce qu’il soit emmené par les secours.





La scène m’a vraiment ému. J’aimerai aller le voir à l’hôpital, pour lui apporter des fleurs. Pour moi, c’était avant tout un être humain qui brûle, sous mes yeux. Et les manifestants s’en fichaient complètement. Ils continuaient à balancer des trucs sur la police. Un peu après ils sont enflammé un chariot de supermarché avant de le lancer vers la police.

Je me suis demandé s’il avait été touché au visage, et s’il en serait marqué. Je pensais à sa famille en continuant à travailler. J’ai beaucoup d’amis qui ont été défigurés par des brulures dans des bombardements. Je sais à quoi ça ressemble.

Corps de victimes d'un bombardement aérien, dans le quartier Maadi d'Alep, le 17 décembre 2013. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

J’ai pourtant vu beaucoup de gens mourir. Beaucoup d’autres blessés. Mais cette scène m’a vraiment touché. Parce que je sais ce qu’est une mauvaise police, celle qui tire sur les gens. En France, elle est là pour les protéger. Et puis il s’agit d’un être humain, qui est brûlé gravement. Et quelqu’un que ça ne toucherait pas n’est pas vraiment humain.  
     
Je dis ça en connaissance de cause. Je me suis déjà pris des coups par la police ici. Je me trouvais au milieu des rangs de manifestants. Et franchement, si j’étais policier, j’aurais fait la même chose.

Cette fois, je me suis tenu un peu à l’écart. J’ai contacté l’AFP et leur ai proposé mes photos. Comme elles les intéressaient, je suis passé à l’agence. Je suis retourné à la manifestation avec de l’équipement et un casque, avec un autocollant AFP dessus. L’attitude de la police a complètement changé. J’ai eu droit à un « s’il vous plait, monsieur ».

(AFP/ Zakaria Abdelfaki)

Je suis arrivé à Paris en décembre 2015. J’ai perdu mon œil à Alep. J’essayais de faire des images de rebelles, qui tentaient de briser le siège de la ville. Je me trouvais dans l’encadrement d’une porte. J’ai mis un genou à terre, et c’est à ce moment que la balle d’un sniper m’a frappé. Elle a ricoché sur la porte contre moi avant de me percer l’œil.
Heureusement, le sniper se trouvait en hauteur, et la balle allait vers le bas. Sinon, elle entrait dans la tête. Et heureusement, c’était mon œil droit. Parce que, voyez-vous, je photographie depuis toujours avec le gauche.
     
Des rebelles syriens, dans le quartier Salaheddine d'Alep, en décembre 2013. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

Depuis, on m’a tellement demandé si je continuerai à être photographe que j’ai une réponse toute prête : « bien sûr, un photographe n’a besoin que d’un œil ».
Je ne suis pas amer. En Syrie, mes amis et moi nous disions toujours que nous finirions soit mort soit blessé. Et ainsi je suis devenu le photographe qui a perdu un œil. Je l’accepte et je continue de vivre.

Les lumières de la Tour Eiffel sont éteintes, le 22 mars 2017, en solidarité avec la ville de Londres après une attaque terroriste à Westminster. (AFP / Zakaria Abdelkafi)

Les trois premiers mois à Paris n’ont pas été faciles. J’étais déprimé. Je faisais des allers-retours à l’hôpital pour mon œil. Maintenant ? J’ai des amis. J’aime Paris. Ca me rappelle Alep. Et quand je voyage en France, je rêve de revenir dans la capitale. Après avoir participé à une émission de télévision, on m’a même reconnu dans le métro : « Oh, c’est vous Zakaria ». Ça fait du bien. J’ai l’impression d’être chez moi.

J’ai commencé une nouvelle vie. Mon dossier de réfugié a été accepté. J’ai fait une demande pour que ma femme, et mes enfants, une fille de six ans et un garçon de trois, me rejoignent avec ma mère. Ils sont en Turquie pour l’instant. La Syrie me manque bien sûr. C’est mon pays, mais il n’existe plus. Ma Syrie est morte. C’est pourquoi je commence une nouvelle vie. La France m’a aidé, et je veux le lui rendre.

Source making-of.afp.com
Photos  Zakaria Abdelkafi Facebook Twitter Email Mardi 2 mai 2017

Ce billet a été écrit avec Acil Tabbara  et Yana Dlugy à Paris. 

vendredi 29 mars 2019

jeudi 28 mars 2019

lundi 25 mars 2019

Lectures Philip Roth-Entretien avec Philip Roth "Un homme"

Entretien avec Philip Roth - "Un homme"

Par Nathalie Crom (Télérama), publié le 12/11/2007

Provocateur, subversif, Philip Roth pose un regard féroce sur la société américaine. A 74 ans, et vingt-huit livres à son actif, cet écrivain sulfureux, dont le roman "Un homme" vient de paraître, n'a rien perdu de sa vivacité.

En 1959, la parution aux Etats-Unis de Goodbye, Columbus, son premier livre, propulsait d'emblée le tout jeune Philip Roth — né en 1933, il avait 26 ans — au firmament du roman mondial. Manipulateur ironique et virtuose des codes romanesques établis, bousculant les règles de la fiction et celles de l'autobiographie, il s'est affirmé aussi très vite comme un observateur féroce, lucide et sarcastique de la société américaine et de ses moeurs, à travers des livres — Portnoy et son complexe (1969), Professeur de désir (1977), Zuckerman enchaîné (1981), La Contrevie (1986), Opération Shylock (1993), Le Théâtre de Sabbath (1995)... — qui lui ont valu une solide réputation d'écrivain iconoclaste, voire obscène. Dans ses fictions, il s'est incarné en divers personnages, dont le plus marquant et le plus récurrent est Nathan Zuckerman, son alter ego, son double — comme lui écrivain juif américain, comme lui né dans la petite ville de Newark, New Jersey, comme lui New-Yorkais d'adoption et englué dans des relations de couple à jamais conflictuelles. Salué par la critique, des deux côtés de l'Atlantique, comme l'un des grands romanciers contemporains, Philip Roth a dû attendre, en France, la publication de Pastorale américaine, en 1999, et surtout de La Tache (2002, plus de 300 000 exemplaires vendus) pour accéder à un large public. Alors qu'Exit Ghost, son vingt-huitième livre, vient tout juste de paraître aux Etats-Unis, on découvre en France Un homme, un admirable roman, intense et poignante réflexion sur la maladie, qui atteste que Roth, le grand persifleur, est aussi le témoin grave et pénétrant de l'humaine condition.

Lors de la parution d'Un homme aux Etats-Unis, vous avez expliqué avoir commencé à écrire ce roman au lendemain de la mort de votre ami le romancier Saul Bellow (1915-2005), dont vous avez dit par ailleurs qu'il était celui qui vous a « permis de devenir un écrivain américain ».
Je ne me souviens pas avoir dit cela de Saul, et dans la citation que vous faites, j'ôterais volontiers le mot « américain ». Concernant Un homme, je l'ai commencé au retour de ses funérailles, très précisément. C'est vrai, Saul m'a permis de devenir un écrivain, il m'a rendu ambitieux. Son influence a été très libératrice pour moi, et plus généralement pour les écrivains de ma génération. Spécialement à travers son troisième livre, Les Aventures d'Augie March (1953). Ses deux premiers livres sont très bons, mais le grand impact est venu de ce roman-là. Je devais avoir 21 ou 22 ans lorsque je l'ai lu, et ce fut une révélation. La langue, notamment, ce mélange exubérant d'anglais intellectuel et d'anglais de la rue : c'est peut-être ce qui était le plus frappant, le plus fort. Et puis il y avait aussi la liberté et la fantaisie avec lesquelles Bellow enchaînait les scènes, passant d'un décor à un autre, d'un personnage à un autre. Et il y avait encore la magnitude de ses personnages. Bellow était, sur ce point, dans la lignée de Rembrandt : ses personnages ont la profondeur des portraits de ce peintre. Et je pourrais citer encore son engagement dans la réalité de la vie américaine, l'ampleur de son intérêt pour tous les aspects de cette vie, de cette société. Tout cela était extraordinairement excitant.

Outre Bellow, l'autre grand écrivain américain du XXe siècle est, selon vous, Faulkner. De ce dernier, qu'avez-vous appris ?
De lui, je n'ai rien appris. Mais en présence de ses livres, la grandeur est là. Face à des romans tels que Tandis que j'agonise, Le Bruit et la Fureur, Absalon, Absalon !, Lumière d'août, on sait que l'on est en présence d'un génie.

Ce qui n'est pas impressionnant, inhibant, pour un jeune écrivain ?
Non, je ne suis pas d'une nature impressionnable. Une telle grandeur, c'est juste inspirant.

En lisant Un homme, il est difficile de ne pas penser à Tolstoï et à La Mort d'Ivan Ilitch. L'aviez-vous en tête en écrivant ?

Je ne l'ai pas relu avant de me mettre au travail, mais oui, bien sûr, j'y pensais. En écrivant ce roman, je m'interrogeais : quels sont les grands livres dont le thème central est la maladie ? J'en ai trouvé très peu, et cela m'a surpris, tant la maladie est un élément important de la vie, de l'expérience humaine. La Mort d'Ivan Ilitch, La Montagne magique, de Thomas Mann, ou encore Le Pavillon des cancéreux, d'Alexandre Soljenitsyne, qui est un vrai grand livre. Mais une fois pris en compte ces trois monuments, je ne voyais plus rien. Il y a bien entendu des romans où la maladie est présente de façon accessoire, comme un thème secondaire, mais pas de livres où elle est le sujet majeur. Je ne m'explique pas pourquoi.

Un homme face à la maladie, aux défaillances de son corps, c'était le sujet du livre dès le départ ?
Oui, c'est l'idée initiale du roman. Ecouter le corps malade, raconter la vie d'un homme non pas à travers ses succès ou ses amours, mais à travers les différentes maladies qui l'ont affecté tout au long de sa vie et qui le mènent finalement à la mort.

C'est une façon de placer le corps au centre du roman.
Le corps est le paysage de ce livre.

Le corps de l'homme n'a-t-il pas toujours été très présent dans vos romans, autant que son esprit ou son âme, alors même qu'il est souvent oublié ou traité de façon accessoire par la littérature en général ?
Je ne peux pas parler pour les autres romanciers. Et, dans mon cas, je n'irais pas jusqu'à dire que le corps de l'homme est plus présent dans mes romans que ne l'est son esprit, mais il est vrai que cette dimension physique de l'individu est bien là, et que cela dure au moins depuis Portnoy et son complexe. J'ai toujours essayé de traiter du corps d'un point de vue romanesque, de la même façon qu'il existe dans la vie de chacun de nous : votre corps n'est pas au centre de vos préoccupations, vous n'y pensez pas tous les jours, mais une grande souffrance ou un grand plaisir physique vous rappelle régulièrement son existence.

En choisissant ce titre, en anglais Everyman - soit « chaque homme » en traduction française littérale -, et en laissant le personnage central sans nom ni prénom, cherchez-vous à dire qu'il y a une destinée humaine unique, une expérience partagée, au-delà de la singularité des destins individuels ?
Il y a une destinée commune à tous les individus, qui est la mort. Et c'est ce que veut signifier ce titre. La destination est toujours et pour tous la même.

La singularité de chaque existence n'a donc pas tant d'importance ?
La singularité est indéniable, mais si remarquablement différentes que soient les vies des individus, elles sont toutes vouées à connaître une fin identique, et elles sont toutes hantées par cette destination effrayante et inéluctable qu'est la mort.

Dans un texte qu'il vous consacre, Milan Kundera évoque les deux écueils entre lesquels est contraint d'évoluer un romancier : le fanatisme et le scepticisme radical. Penchez-vous du côté du scepticisme ?
Il est clair que je ne suis pas un fanatique ! Un sceptique, alors ? Mais sceptique vis-à-vis de quoi ? Vis-à-vis de la religion ? Là, la réponse est oui. Vis-à-vis des idéologies, quelles qu'elles soient ? La réponse est encore oui.

Y a-t-il un sujet sur lequel vous répondriez non à cette même question ?
Je ne suis pas sceptique sur la mort qui m'est promise, comme à chacun — c'est la seule chose, j'avoue, qui me vienne à l'esprit.

Dans ce roman comme dans nombre de vos livres, notamment le Complot contre l'Amérique (2004), il y a une très forte présence de l'enfance. La vôtre est-elle très vivace en vous ?
L'enfance apparaît dans certains de mes livres, pas dans tous. C'est vrai que mon enfance est très proche de moi, mais je ne crois pas que cette proximité soit exceptionnelle pour un écrivain, ni pour un homme en général. Mon enfance telle que je l'ai vécue, j'y pense occasionnellement, et me la rappeler avec une grande vivacité fait en quelque sorte partie de mon travail. Tout ce dont je parle dans mes livres doit être très vivant, irrigué, inervé, intense. L'enfance est un de ces motifs, parmi d'autres.

Sans exagérer la dimension autobiographique de vos romans, ne peut-on dire que cette enfance à Newark, dans le New Jersey, vous lui manifestez une vraie fidélité ?
Bien sûr. L'endroit d'où je viens, le milieu dont je suis issu, je les ai utilisés de façon répétitive. Mais la plupart des écrivains sont ainsi redevables de leurs origines, très peu nombreux sont ceux qui en font abstraction dans leur travail.

Pourtant, à côté de cette fidélité à l'enfance, il y a cette réputation d'écrivain iconoclaste, voire rebelle, que vos romans, notamment les premiers, Goodbye, Columbus, Portnoy et son complexe ou Le Sein, vous ont bâtie...
Je ne me vois vraiment pas comme un rebelle - même pas dans les romans de mes débuts, considérés souvent comme irrévérencieux.

Quel thème fédérateur pourrait-on trouver, selon vous, entre vos livres ? La vulnérabilité de l'homme face au désordre de l'Histoire, à la brutalité des relations entre individus, à la violence du temps qui passe ?
Je ne parviens pas à penser à tous mes livres comme à un ensemble. Un homme est certainement un livre sur la fragilité de l'homme face à la maladie, face à la décadence physique et à la mort. Parmi les précédents les plus récents, La Bête qui meurt évoque la fragilité d'un homme confronté à la maladie d'une femme qu'il a aimée. Et certainement Le Complot contre l'Amérique parle-t-il de la vulnérabilité de l'individu face à l'Histoire et aux événements politiques majeurs. Alors, oui, la vulnérabilité de l'homme est le sujet de nombre de mes romans. Mais ce n'est pas très original : cette fragilité humaine est au coeur du travail de nombre de romanciers.

L'originalité est peut-être dans la forme, même si, depuis une dizaine d'années, et notamment votre trilogie dite « de Newark » (Pastorale américaine, J'ai épousé un communiste et La Tache, 1997 à 2000), vous semblez avoir évolué vers des constructions romanesques plus classiques, des romans plus linéaires, moins turbulents et moins ironiques...
Il est vrai que des romans antérieurs comme La Contrevie, Opération Shylock ou Le Théâtre de Sabbath sont des livres sauvages, indécents parfois, extravagants, picaresques. Alors que les romans qui ont suivi ont pris une structure différente — vous dites « classique », c'est peut-être le cas. Mais la forme suit l'écriture. Je ne la théorise pas, je ne commence jamais un roman en me demandant quelle forme il doit prendre, c'est le sujet qui dicte ce qu'elle doit être. Le sujet de la trilogie de Newark, c'est l'impact des événements politiques et des moments historiques des trois dernières décennies sur la vie des individus qui s'y sont trouvés plongés. Chaque roman a sa propre histoire, mais l'optique générale est celle-là, c'est dans cet esprit que je travaille.

A travers vos romans, depuis Goodbye, Columbus jusqu'à Un homme, se dessine une vision de la société américaine des années 50 à nos jours. Est-ce important, pour vous, cet ancrage dans le réel et cette représentation que vous en donnez ?
C'est essentiel, c'est mon travail d'essayer d'écrire cela, même si je ne suis pas certain de donner une vision de la société dans son intégralité, mais plutôt d'un segment de la société, celui que je connais, plutôt urbain, plutôt bourgeois.

Là serait l'unité de votre œuvre romanesque ?
Je ne sais pas si cette unité existe. Les choses changent au fur et à mesure que vous vieillissez. J'ai écrit, je crois, vingt-huit livres, mais d'une certaine manière, l'écrivain qui a écrit le roman numéro 5 sur la liste n'est pas le même que celui qui a écrit le numéro 10, qui lui-même n'est pas celui qui a écrit le quinzième. Au fil des ans, votre âge, votre vie évoluent, vous devenez un meilleur écrivain. Puis, à partir de 70 ou 80 ans, vous êtes fatigué, voire épuisé. Vos facultés mentales déclinent. Enfin, et c'est le plus important : votre mémoire s'érode, elle rouille et vous perdez le lien direct avec elle. Ces trois phénomènes combinés font du grand âge un moment où l'écrivain devient généralement mauvais.

Vous pourriez vous arrêter d'écrire ?
Non, je ne souffre encore d'aucun de ces symptômes, me semble-t-il. Et puis, écrire, c'est mon travail quotidien, je ne saurais pas que faire de moi et de ma vie si j'arrêtais. L'écriture, cela vous soutient, vous porte.

Vous avez toujours un roman en tête ?
J'aimerais bien, mais non. Actuellement, je viens d'achever un livre, et je dois trouver le moyen d'en commencer un autre. C'est une situation très déplaisante : vous vous sentez rempli d'énergie pour écrire, mais il vous manque le sujet. Et le sujet est essentiel. Et bien plus difficile à trouver que le désir d'écrire.

Quel est pour vous, en général, le tout début d'un processus d'écriture romanesque ?
C'est un personnage, assez vague. Et tandis que vous commencez à écrire, tandis que votre histoire prend vie, le personnage se précise et le sujet du livre se déploie naturellement. Cela dit, ce processus me demeure largement énigmatique.

Il suppose de l'inspiration ? Du travail ?
Le travail est essentiel. Seuls les amateurs attendent l'inspiration.

En cinquante ans d'écriture, avez-vous appris quelque chose ?
J'espère bien, mais je ne saurais pas dire quoi. Me poser cette question, cela revient à me demander ce qui a justifié ma vie. J'ai accumulé une connaissance, de l'expérience, j'ai appris de mes erreurs - exactement comme dans la vie. J'ai écrit des livres, tous différents, je crois, et sans cesse meilleurs au fil des années. A mes yeux, mes premiers livres ne sont pas des erreurs ni des livres faibles, mais simplement des romans de jeunesse.

En France, la critique vous considère comme un écrivain majeur depuis Pastorale américaine et La Tache, qui vous ont fait connaître d'un large public. Qu'en est-il aux Etats-Unis ?
Je ne sais pas qui sont mes lecteurs aux Etats-Unis, ni combien ils sont. Je sais simplement qu'ils ne forment pas une vaste communauté. Et je suis pessimiste sur l'avenir de la lecture. Je ne peux pas parler pour d'autres pays que le mien, mais aux Etats-Unis, la lecture sérieuse, concentrée, intelligente, est une activité qui ne cesse de reculer. Face à l'écran et à son pouvoir hypnotique, la lecture de romans est un art désormais mourant. La forme romanesque, comme vecteur d'informations sur le monde et l'expérience humaine, et comme plaisir, est devenue obsolète. Cela ne me rend pas triste - c'est dommage mais c'est ainsi. Paradoxalement, l'écriture romanesque, elle, va très bien. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la fiction américaine est même en très, très grande forme. Tandis que leur lectorat diminue, les écrivains gagnent de moins en moins bien leur vie, mais ils ne sont pas découragés d'écrire. On n'écrit pas forcément pour toucher un grand nombre de lecteurs. Quand vous écrivez, le lecteur le plus important, celui qui compte, c'est vous-même.

Lectures Philip Roth-Exit le fantôme


Philip Roth

Exit le fantôme

Traduit de l’américain par Marie-Claire Pasquier

(4ème de couverture)
Après onze ans de réclusion volontaire dans la campagne du Massachusetts, Zuckerman remet les pieds à New York, pour une intervention bénigne mais qui le renvoie à sa déchéance physique.

Dans la ville accablée par la réélection inattendue de George W. Bush, trois rencontres vont bouleverser ses plans : Amy Bellette, vieillie et presque mourante, elle qui, dans l’éclat de sa jeunesse, fut la muse de E. I. Lonoff, son mentor ; Richard Kliman, jeune arriviste insupportable qui le harcèle parce qu’il veut révéler les secrets de Lounoff ; et puis, surtout, un jeune couple d’écrivain avec qui il envisage un échange de maisons.

Et voilà Zuckerman, qui se croyait immunisé, en proie à un ultime coup de foudre. Pour Jamie, la très charmante jeune femme du couple. Va-t-il passer à l’acte ? Ou se servir de ce dernier amour pour écrire encore – traduire dans une fiction les fantasmes qu’il lui inspire ?

Le « Théâtre de Sabbath » à valu à Philip Roth en 1995 le National Book Award, qu’il avait déjà obtenu en 1960 pour son premier livre « Goodbye, Colombus ». Il a reçu à deux reprises le Nationel Book Critics Circle Award, en 1987 pour « La contrevie » et en 1992 pour « Patrimoine ». Le prix Pulitzer et, en France, le prix du Meilleur Livre étranger ont couronné « Pastorale américaine ». Le PEN Faulkner Award a récompensé les romans « Opération Shylock », « Un homme » et « La tache », qui a été également distingué par le prix Médicis étranger 2002. Entre autres récompenses, « Le complot contre l’Amérique » a été consacré meilleur livre de l’année par la New York Times Book Review. Le PEN Nabokov Award 2006 et le PEN Saul Bellow Award 2007 ont récompensé le romancier pour l’ensemble de son œuvre. Tous les livres de Philip Toth sont traduits aux Editions Gallimard.

(1ere phrase :)

Je n’étais pas retourné à New York depuis onze ans.

(Dernière phrase :)
Elle est en route pour venir, et il s’en va. Parti pour de bon.

326 pages – Editions Gallimard 2007 (2009 pour la traduction française)

(Aide mémoire perso :)

Dans ce nouvel opus qui met en scène les affres de Nathan Zuckerman, son personnage fétiche et accessoirement son double puisque dans la vie qu’il invente (?) Nathan est écrivain, Philip Roth installe son livre juste à la veille de la réélection de Georges W. Bush en 2004. Nathan Zuckerman a 71 ans, il est usé, un peu malade et de passage à New York pour des examens médicaux après plusieurs années en dehors du monde des villes, presque loin, dans le Massachusetts, où il vit de plus en plus difficilement l’écriture de son œuvre, mais surtout sa santé déclinante de vieil homme.



Là, confronté aux bruits de la ville, à sa frénésie, il en retrouve peut-être le goût. Celui des envies, de l’observation, des joutes verbales, de la réflexion, des souvenirs et… des femmes, bien sûr. C’est en effet au contact de Jamie, la trentaine, mariée, que Zuckerman voit ses sens aujourd’hui inexistants retrouver de l’appétit. Contraint physiquement à une relation platonique, il fantasme ses dialogues avec elle, puisant dans son âme d’écrivain qui ne se refait pas, l’inspiration. En éveil, il côtoie aussi son passé en la personne d’Amy, une rencontre de jeunesse, elle qui fut la compagne de E.I. Lonoff, l’écrivain que tout jeune homme Zuckerman vénérait. Il rencontre également Kliman, un homme par trop envahissant qui veut écrire une biographie de Lonoff pour y révéler son terrible secret. Un personnage dans lequel le narrateur se voit sûrement un peu lorsqu’il était plus jeune.



Philip Roth mêle dans « Exit le fantôme » ses angoisses d’homme en déchéance physique, son interrogation quant à une œuvre qui se perpétue dans l’Histoire, cet air contrit qu’il arbore quand il décortique si bien l’Amérique avec son regard impitoyable, les amours déchues, le sexe en berne… Et puis bizarrement, autant ce qui pourrait rebuter (le livre débute par une description minutieuse et médicale des inaptitudes physiques de Zuckermann) m’a touché, autant les dédales menant à l’amour contrarié pour Jamie ou ces rencontres avec Amy et Kliman m’ont laissé un peu de marbre. Ces dialogues que Zuckermann réinventent avec Jamie m’ont semblé si fades. On se dit que, peut-être, nous sommes là dans l’essence de la vie qui s’achève, dans l’extrême dénuement des mots qui ne mentent plus et que cette fadeur est la compréhension de nous mêmes. Un brin de sagesse ? On s’ennuie un peu en lisant ce livre, au final.

Lectures Fritz ZORN-Mars


Fritz ZORN

Mars Traduit de l’Allemand par Gilberte Lambrichs

(4ème de couverture) Fils d’une famille patricienne de Zurich, celui qui a écrit ce livre sous un pseudonyme fut ce qu’on appelle un enfant bien élevé. Dans la somptueuse villa, au bord du lac, régnait l’entente parfaite. Un certain ennui aussi, qui tient à la bienséance. Non sans humour, Zorn nous décrit les petits travers de ses parents. Humour ? Le mot est faible. Disons plutôt une noire ironie, celle du jeune homme qui, découvrant qu’il est atteint du cancer, pense aussitôt : naturellement.

Ce livre n’est pas une autobiographie. C’est une recherche, une analyse des causes de la maladie, entreprise, avec l’énergie du désespoir, par un condamné qui n’a pas voulu mourir sans savoir pourquoi.

Prisonnier de sa famille, prisonnier de son milieu, prisonnier de lui-même car il était, en tout, sage et raisonnable, Fritz Zorn présentait aux yeux du monde et, ce qui est bien plus grave, à ses propres yeux l’image d’un jeune homme sociable, spirituel, sans problèmes. Le jour où cette façade a craqué, il était trop tard.

Trop tard pour vaincre le mal mais non pas pour écrire ce récit qui est non seulement bouleversant mais intéressant au plus haut degré : jamais les contraintes et les tabous qui pèsent, aujourd’hui encore, sur les esprits soi-disant libres n’ont été analysés avec une telle pénétration ; jamais la fragilité de la personne, le rapport, toujours précaire et menacé, entre le corps et l’âme, qu’escamote souvent l’usage commode du terme « psychosomatique », n’a été décrite avec une telle lucidité, dans une écriture volontairement neutre, par celui qui constate ici, très simplement, qu’il a été « éduqué à mort ». Il avait trente deux ans.

(1ere phrase :) Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul.
(Dernière phrase :) Je me déclare en état de guerre totale.

260pages – Editions Gallimard 1977 (1979, pour la traduction française)

(Aide mémoire perso :)"Je suis jeune, riche et cultivé; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d'une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zürich, qu'on appelle aussi la Rive dorée. J'ai eu une éducation bourgeoise et j'ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c'est pourquoi j'ai sans doute une lourde hérédité et je suis abîmé par mon milieu. Naturellement, j'ai aussi le cancer, ce qui va de soi si l'on en juge d'après ce que je viens de dire."

Ainsi commence "Mars en exil", un texte importants de la littérature occidentale. Déjà pour sa valeur intrinsèque, car le style de "Mars en exil" est exceptionnel. Sans aucune afféterie, il vous prend à la gorge et ne vous lâche plus jusqu'à vous avoir saigné de votre dernière goutte de certitude. Même la traduction n'a pu abîmer la force de cette écriture qui est proprement admirable. Mais ce sont surtout les conditions dans lesquelles ce texte naquit qui le rendent précieux. Son auteur n'est pas un écrivain, on pourrait même dire qu'il n'est rien et ne restera, jamais rien d'autre que "Mars en exil". S'il l'a initié, c'est que la révélation de son cancer (en fait un lymphome malin) va être pour lui comme un éblouissement grâce auquel sa brève existence (il n'a alors que 30 ans, il lui reste deux ans à vivre) va s'éclairer d'un jour nouveau. Il va même remercier ce qui pour d'autres serait le malheur absolu.

"Pour peu qu'on puisse assimiler le cancer à une idée, j'avouerais que la meilleure idée que j'ai jamais eue, ç'a été d'attraper le cancer. Je crois que ç'a été le seul moyen encore possible de me délivrer du malheur de ma résignation".

Oui, il en est certain maintenant, c'est son absolue incapacité à accéder non pas au bonheur, ce qui serait une requête bien trop élevée à ses yeux, mais aux plus modestes expériences intérieures, à la sensualité la plus rudimentaire, à quelque sentiment que ce soit, même à celui d'un vrai désespoir, qui est à l'origine de ce cancer. Ce cancer qui sera donc la première aventure de son corps. A partir de ce constat, Fritz Zorn (un pseudonyme, Zorn signifiant colère), va se livrer, sur un ton d'une neutralité et d'un humour très helvétiques, à une analyse au bistouri des déterminants familiaux, sociaux et religieux de cette faillite intégrale que fut sa vie.

Bien sûr il y a des antécédents littéraires à cette description clinique d'une sous-vie. On pourrait citer le "Feu Follet" de Drieu La Rochelle ou "Mon Suicide" d'Henri Roorda (un autre compatriote de Zorn), mais aucun n'a plongé avec une telle avidité de comprendre dans cette excrémentielle masse de souvenirs qui sortent de son esprit, comme une diarrhée infecte une fois digérée par l'intestin du temps. 

"Excrémentielle", "diarrhées", termes qui semblent bien peu appropriés quand on sait qu'il s'agit de stigmatiser une éducation stérile, hygiéniste, aseptisée telle que pratiquée sur les bords du lac de Zürich dans les années 50, mais c'est justement le propos de montrer comme sous cette propreté grouillent les vers de la décomposition.

A quoi Fritz Zorn attribue-t-il son malheur, cette cadavérisation spirituelle de son existence ? A l'harmonie, à ce souci obsessionnel d'harmonie qui hantait ses parents, cette cellule aux barreaux invisibles où nul désaccord n'était concevable, où seul un malentendu pouvait l'expliquer. En cela, ce récit, celui rien de moins que d'une amputation de l'âme, est exemplaire et semble illustrer cet aphorisme selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions, ou, comme le disait Oscar Wilde, que les pires horreurs ont toujours été commises par ceux qui veulent le bonheur des hommes.

Mais ce que ce texte, authentiquement traumatisant, décrit si bien, c'est surtout le drame du corps asservi, émasculé (Fritz n'a pas plus de libido qu'un castré), déserté de toute sensualité. Il révèle comment l'âme s'atrophie quand son enveloppe charnelle ne jouit plus d'aucune de ses prérogatives, quand le corps n'est plus, selon sa dénomination neurophysiologique, qu'un système nerveux autonome, qu'il a perdu toute sa dimension périphérique et volontaire. Le judéo-christianisme, dont un certain jansénisme bourgeois est la forme la plus exacerbée des outrances, peut conduire à ce suicide somatique contraire à toute loi de conservation de l'espèce. Car tout comme Antonin Artaud niera l'existence de la maladie, inventée à ses yeux par les médecins, Zorn accuse son inexistence affective d'avoir provoqué ce cancer.

"Bien que ne sachant pas encore que j'avais le cancer, intuitivement je posais le bon diagnostic car, selon moi, la tumeur, c'étaient des "larmes rentrées". Ce qui voulait dire à peu près que toutes les larmes que je n'avais pas pleurées et n'avais pas voulu pleurer au cours de ma vie se seraient amassées dans mon cou et auraient formé cette tumeur, parce que leur véritable destination, à savoir d'être pleurées, n'avait pas pu s'accomplir".

Cette vision étiologique du cancer a beaucoup gêné les critiques littéraires la relation de causalité entre psychisme et cancer étant considérée comme irrationnelle. Zorn s'appuie lui sur les théories de Wilhem Reich
"D'après Reich, l'orgasme est la forme la plus pure et la plus totale de la décontraction, source de plaisir ; une toute aussi extrême crispation constante de l'organisme, passant par l'étiolement de l'âme et l'étiolement des différents organes du corps, qui, contractés comme ils le sont, ne peuvent plus vraiment se détendre, qui ne peuvent plus vraiment respirer et ne sont plus vraiment irrigués par le sang, conduit au cancer". 

Ce qui fascine chez Fritz Zorn, c'est qu'en non écrivain, il franchit la croûte des choses et dissèque à vif la plaie, sans, et c'est l'immensité de cette analyse, aucune grille de lecture pré-établie. Point de jargon universitaire, d'œillères psychanalytiques, l'heure est à l'adéquation entre forme et sujet.

A partir de 17 ans, la dépression l'envahit. Elle ne le quittera plus. Beaucoup ont écrit sur la dépression mais ce n'est pas le propos de Zorn qui ne s'y éternise pas plus que cela. Pourtant, illustrant son extraordinaire acuité, il sait la croquer en quelques lignes.

"...chacun sait ce qu'est la dépression : tout est gris et froid et vide. Rien ne fait plaisir et tout ce qui est douloureux, on le ressent avec une douleur exagérée. On n'a plus d'espoir et on ne distingue rien au delà d'un présent malheureux et privé de sens".

Il y a de toutes manières d'innombrables paragraphes absolument cruciaux dans ce texte. Certains ont même la qualité des meilleurs aphorismes ("je crois que ce qu'on appelle vertu n'a quelque valeur que si on l'acquiert dans les larmes; tant que la vertu se borne à suivre la voie de la moindre résistance, elle appartient au Démon")

La dernière partie de ce triptyque, intitulée "Le chevalier, la mort et le diable" est peut être la plus émouvante. Fritz Zorn approche de la fin et rédige un texte à la fois plus intime et plus politique.

"...la sensibilité représente, souvent même, un grand malheur pour la personne en cause et apporte à l'être sensible beaucoup de souffrances et fort peu de joies. Un malheur elle l'est assurément pour celui qui en est affligé mais, à mon sens, elle ne constitue pas une raison de l'exterminer. [...] Au contraire, elle est même une nécessité car seul l'homme sensible ressent à quel point sa société est mauvaise avec une netteté si douloureuse qu'il parvient à l'exprimer en mots, et, en formulant sa critique, à susciter une amélioration possible".

Serait-ce faire preuve d'ironie posthume que de dire que Fritz Zorn, avec cette sensibilité, aurait de toutes façons été un amoureux infiniment malheureux ? Qu'il se serait heurté probablement au matérialisme hélas trop répandu chez les femmes, qui conduisent les êtres tels que lui soit à être abandonnés, soit à en fouir cette sensibilité au fond d'eux, et de devenir des caricatures car à jamais acteurs d'un personnage factice qu'ils se sont façonnés par faiblesse ou peur de perdre celle qu'ils aiment.

"Mais pour moi, la chose n'est pas réglée et, tant qu'elle ne l'est pas, le Diable est lâché, et j'approuve que Satan soit lâché. Je n'ai pas encore vaincu ce que je combats ; mais je ne suis pas encore vaincu non plus et, ce qui est le plus important, je n'ai pas encore capitulé. Je me déclare en état de guerre totale".

Il perdra la guerre mais ce livre est son acte de bravoure. Plus exactement, il a perdu la bataille de la vie, mais tant qu'il y aura un lecteur pour prendre connaissance de ce livre et pour mener bataille à son tour, la guerre ne sera pas finie. D'où cette chronique. En conclusion, peu de textes que je conseillerai de lire plus que celui-ci, sémaphore poignant posé sur la route de l'espèce humaine.