Le fantasme de la voiture de fonction
Personnalisation, services
exclusifs, financement aux petits oignons... Dans l'entreprise, l'automobile a
la cote. Les salariés y puisent un supplément "prestige", les
employeurs boostent, grâce à leurs flottilles rutilantes, le fameux esprit "corporate"
qui leur tient tant à cœur. Et, financièrement, c'est win-win pour tous.
Explications.
Elle s'appelait
Renault 21 Manager. Dans les années 90, c'était le Graal du cadre téméraire...
et chanceux. Le privilège était tel qu'il n'avait, souvent, même pas le droit
d'en choisir la couleur. Blanc banquise pour tout le monde, et surtout pas une
option que le collègue n'a pas. Sacerdoce de quelques privilégiés, la voiture
de fonction ? Plus vraiment : rouler aux frais de la princesse est totalement
passé dans les mœurs. En France, les ventes de véhicules particuliers aux
loueurs, constructeurs, sociétés et administrations ont représenté 45,26 %
l'année dernière (source : Association auxiliaire de l'automobile), contre...
26 % en 1991.
Ainsi donc,
l'automobile, égérie du baby-boomer en quête de liberté, vit-elle de plus en
plus sous perfusion de l'entreprise. En cause, tout d'abord : la baisse
structurelle des ventes aux particuliers, presque continue depuis vingt ans,
rarement interrompue par des effets de primes à la casse. En 2012, année
sinistrée, ces dernières ont même plongé de 19,48 %. Pour Philippe Brendel,
président de l'Observatoire du véhicule d'entreprise, les causes sont multiples
: «Le recours aux véhicules de fonction, financièrement intéressants pour les
entreprises et les collaborateurs, s'est tout d'abord développé. Mais il faut
aussi relever que les activités des entreprises nécessitent de plus en plus de
déplacements et de livraisons, notamment avec le phénomène du commerce par
Internet et le développement des services.» Une voiture de fonction, c'est du
win-win : le salarié, certes imposable par le dispositif de l'avantage en
nature, paiera de toute façon sa voiture moins cher par ce biais que s'il
l'achetait. Et l'employeur dépensera nettement moins que s'il augmentait son
employé... Plus roublard, tu meurs.
L'apparition et le
soutien de nouvelles formes de financement, toujours plus raffinées, a catalysé
l'appétit de mobilité des sociétés, qu'il s'agisse du crédit-bail, marotte des
petites PME ou de la plus tentaculaire «LLD», la location longue durée, choisie
par les 4 500 entreprises qui disposent d'une flotte de plus de 500 voitures,
louées et gérées (démarches administratives, assurance, assistance, entretien,
réparations) pour des kilométrages et des durées définies par des
établissements avant tout financiers que sont Arval, Lease Plan, GE Capital...
Un business monumental, puisque, en France, la flotte gérée par les loueurs de
longue durée dépasse le million de voitures... Pour les constructeurs, il faut
prendre en compte la masse comme l'individu, l'ultraspécifique : la plupart des
marques intègrent ainsi des cellules spéciales dédiées au sur-mesure. Renault,
par exemple, dont le département Tech se consacre entièrement à l'adaptation
des véhicules de société, qu'il s'agisse du transport de personnes à mobilité
réduite, de l'aménagement d'utilitaires ou de la transformation de voitures
particulières en autos-écoles. Sur un créneau plus envié, les constructeurs de
prestige rivalisent d'attentions et de gadgets pour séduire les PDG pressés en
quête d'un bureau mobile suraccessoirisé, surpersonnalisé. IPad intégrés aux
dossiers, sièges spécifiques à réglages multiples, WiFi de bord... il n'y a
presque pas de limites, comme en témoignent, entre autres, les berlines
blindées proposées par BMW Security Vehicles ou les aménagements (cuir,
boiseries) proposés par ses concurrents.
Ces dernières années,
les marques ont aussi fait l'effort de calibrer leurs modèles, leurs services,
en fonction d'exigences «pro». Des finitions exclusives «business» sont ainsi
apparues en masse. Très équipées, elles chouchoutent la productivité du salarié
mobile (GPS pour ne pas se perdre, climatisation pour garder la tête froide,
radar de recul), sans oublier de flatter son ego. Octroyer une belle auto à un
employé, c'est autant une manière de le valoriser que d'étouffer à l'avance
d'éventuelles revendications... Comment réclamer quoi que ce soit à son patron
lorsqu'il a eu la bonté de remplacer votre franchouillarde Clio de fonction par
une VW Golf avec des jantes alliage ? Allons, ne soyez pas ingrat... Si vous
êtes performant, le boss vous gratifiera dans deux ans d'une Audi A3. Un luxe
inespéré ? Pas forcément : en matière de véhicule d'entreprise, le TCO, Total
Cost Of Ownership, calcul sophistiqué (et variable selon son officine) du coût
global d'utilisation d'une voiture d'entreprise, fait loi. A l'intérieur de ce
barème, la valeur de revente estimée occupe une place prépondérante : les
modèles chic ne sont pas forcément les plus chers, car ils décotent (parfois
beaucoup) moins. De quoi relativiser les largesses de votre N + 12, même si celui-ci
est soumis à une forte pression fiscale. Car, en France, où l'automobile a
toujours été considérée comme un bien somptuaire, les entreprises rament pour
rouler.
Pour Louis Daubin,
directeur du magazine professionnel Kilomètres Entreprise, les pouvoirs publics
ont encore du chemin à parcourir. «Les ventes aux sociétés constituent l'une
des portes de sortie de la crise actuelle. En Grande-Bretagne, 70 % des voitures
sont vendues aux entreprises. En France, nous sommes encore loin de ce chiffre.
La fiscalité anglaise est extrêmement favorable aux salariés, qui ne paient pas
d'impôts sur les avantages en nature, mais aussi aux entreprises avec l'impôt
sur les sociétés et la TVS. Notre politique n'est pas incitative... c'est elle
qui a fait disparaître le haut de gamme français.» Autre bizarrerie bien de
chez nous, particulièrement gênante en plein débat sur la fiscalité écologique
: un système qui favorise outrageusement le diesel, à triple titre. D'abord
parce que le gazole est toujours moins taxé que l'essence, mais aussi parce que
les dispositifs fiscaux sont conçus... sur mesure. Ainsi la TVS (taxe sur les
véhicules de société), dont le mode de calcul est basé sur les émissions de
CO2, favorise-t-elle naturellement les diesels, car moins émetteurs de gaz à
effet de serre (mais posant des problèmes de pollution, dont les particules
fines). Ultime aberration : les entreprises peuvent récupérer 80 % de la TVA sur
le gazole, mais zéro sur l'essence. Kafkaïen. En matière de véhicules
d'entreprise plus qu'ailleurs, la fiscalité fait loi. Les modèles hybrides, qui
cartonnent, lui doivent tout : non seulement ils bénéficient d'un bonus de 4
000 € maximum, mais ils ouvrent le droit à une exemption de TVS pour... huit
trimestres. Ecolo ? Non, juste corporate. C.Au.
- DIS-MOI
DANS QUOI TU ROULES, JE TE DIRAI TA PLACE DANS L'ORGANIGRAMME...
Une voiture de
fonction, c'est le Jolly Jumper du salarié. A la fois une compagne de route et
une médaille d'honneur.
140 g : niveau de CO2 au-delà
duquel la taxe annuelle double pour les véhicules de société.
- LA CHEF DE PRODUIT : RENAULT CLIO
Efficace mais speed,
le commercial moderne a besoin du meilleur outil qui soit.... La nouvelle Clio,
déjà en tête des ventes, a tout pour lui plaire : des moteurs frugaux, une
grande polyvalence d'usage et un look valorisant. Une bonne affaire pour nombre
de petites entreprises, qui souhaitent rester propriétaires de leurs autos.
Le Graal de l'homme
qui commence à réussir dans la vie est ici : la Série 3 de BMW, connue
pour son agrément de conduite, sa qualité de fabrication impeccable et son look
sportif qui situe tout de suite les ambitions de son conducteur... Chic, mais pas
dispendieuse : ses moteurs et ses niveaux d'émission font référence.
- LA CHEF DE FAB : CROSSOVER HYBRIDE
Rouler économique sans
trucider la planète ? Le rêve. Les hybrides bénéficient d'une exemption de
taxe sur les véhicules de société pendant deux ans. Avec les avantages fiscaux
liés aux diesels et au bonus de 3 795 €, cette 3008 Hybrid4, déjà
confortable, bien fabriquée et douce à conduire, est une affaire redoutable,
car elle consomme très peu eu égard à son gabarit.
Entre deux rendez-vous
avec le consultant en restructuration et le cost-killer du contrôle de gestion,
notre homme gère son temps avec une rigueur de métronome. Hyperéquipée et dotée
d'un agrément de conduite à la pointe, la Golf VII est la meilleure compacte du
marché. Avantage majeur : une décote moins forte que les françaises, pour
une valeur de revente plus élevée.
- L'ATTACHÉ DE PRESSE : RENAULT TWIZY
Pour faire parler de
soi, rien de mieux que le gadget du moment bardé d'autocollants : le
petit quadricycle électrique de Renault n'a certes pas beaucoup d'autonomie
(environ 70 km), mais il conviendra aux stricts urbains qui aiment se garer
partout sans recracher un gramme de C02, ni aucun polluant. En plus, il est fun
à conduire...
- LA SECRÉTAIRE DE DIRECTION : OPEL ADAM
Difficile pour un
salarié dans le coup de résister à la meilleure concurrente directe de la
Fiat 500 : la petite Opel Adam, qui n'existe qu'en essence
(attention, TVA non récupérable), son intérieur nickel et ses possibilités de
personnalisation jamais vues sur le marché : 61 000 pour l'extérieur
et 82 000 pour l'intérieur !
Sa réussite est
derrière lui. Plus besoin de ramer, ses journées sont devenues plus cool. Alors
il cherche le plaisir : l'A7, grand coupé à cinq portes d'Audi, comblera
cet homme exigeant par sa qualité de finition stratosphérique, sa silhouette
unique et ses performances de vraie sportive...
- L'INFORMATICIEN : TOYOTA AURIS HYBRID
Fasciné par les
systèmes compliqués, notre geek roule beaucoup, mais abhorre le diesel, de plus
en plus contesté. Et, même s'il ne peut récupérer la TVA sur le sans-plomb
(seuls les diesels le peuvent, à 80 % mais ça pourrait changer !), il
a choisi une hybride essence, pour sa douceur de fonctionnement en ville et ses
consommations plancher. Un pionnier !
- LA DIRECTRICE MARKETING : CITROËN DS5
A défaut de posséder
un jet privé, autant demander à son boss la voiture qui s'en rapproche le plus.
Disponible en hybride diesel, avec un bonus de 4 000 € et une
exemption de taxe sur les véhicules de société pendant deux ans, cette frugale
DS5, au style et à la finition unique n'est presque plus un caprice...
45 % des voitures
particulières vendues en 2012 l'ont été à des entreprises ou à des
collectivités - 4 500 : entreprises françaises possédant une flotte de
plus de 500 voitures.
Les constructeurs ont
tous développé des cellules spéciales pour les entreprises. Pour les artisans,
Renault Tech, par exemple, équipe sur mesure ses utilitaires. Les constructeurs
allemands (BMW, Audi, Mercedes), quant à eux, rivalisent de raffinement pour
proposer des bureaux mobiles high-tech pour PDG du CAC.
Source marianne.net